Lacorde dominique 226 plume retro22025
Ce mois-ci, nous vous proposons de retrouver un texte écrit par
Dominique LACORDE, ex-auteur de PLUME, qu'il a présenté dans la rubrique "Alors, quelle nouvelle ?" du Porte-Plume d'octobre 2020

Brouhaha dans la gare

André n’a jamais dit à personne ce qu’il a vu ce jour-là dans la gare. En effet, tous les jours, il entre comme un somnambule dans ce hall immense qui le happe ; il se sent perdu. Des hommes, des femmes, des enfants courent partout. Il se demande après quoi ? Il observe ce manège de folie. Lui est tranquille. Il s’est levé ce matin comme les autres. Il a fière allure. Son chapeau sur la tête lui donne un air altier. Rasé de frais, sa peau sent la fraîcheur du matin. Depuis son balcon, il a humé l’air du matin. Ce grand homme semble dominer tous les autres qui l’entourent. Il a tout son temps. La vie lui a donné tout ce qu’il était en droit d’attendre : une femme adorable qu’il aime toujours, de beaux enfants qui lui rendent visite très souvent. Après une légère sustentation, comme tous les jours, ses pas l’ont conduit dans ce hall, juste par curiosité et par habitude. Il a ses repères.

Son chien tenu en laisse le tire au milieu de ce tohubohu, au milieu de ce flot de voyageurs dont il se demande où ils courent. Il se sent entrainé malgré lui dans cette marée humaine. Y-a-t-il encore une grève, se demande-t-il ? Et tous, angoissés par la peur de ne pas avoir leur train, foncent vers un quai qui les délivrera de cette peur. Le cri strident d’une locomotive qui s’éloigne comme sortant d’un trou à rat ajoute à leur panique. Son chien apeuré le tire encore plus fort ; il doit lui résister pour le maintenir en laisse. Il entend subitement le cri de désespoir d’un voyageur à qui l’on vient de dérober sa valise. Un policier accourt, affolé par autant de monde, incapable de maîtriser la situation.

Tout à coup des hurlements de stupeur interrompent ce calme apparent. Les voyageurs refluent en masse vers la sortie. Un passant en courant lui raconte qu’une femme a poussé un homme sur la voie au moment du passage d’un train. Le policier, complétement débordé, seul, court vers l’origine de ce cri ; dans la panique, il se trompe de quai et doit rebrousser chemin pour s’engager au milieu d’un groupe de personnes hagardes qui observent le spectacle d’un homme en train d’agoniser sur la voie sous les roues d’une locomotive. Un voyageur avisé appelle les secours en décrivant la situation du pauvre malheureux en hurlant « Faites vite… Faites vite !!! ». Tous s’agitent dans tous les sens. L’angoisse est à son comble, tous courent dans tous les sens. Une ambulance, de son pin-pon, ajoute à cette funeste ambiance. C’est la panique ! Que faire ?  

Antoine et Jeanne sont mariés depuis plus de cinquante ans. Les premiers émois de leur amour sont loin. Leur amour s’est éteint progressivement avec le temps. Et pourtant ils se sont aimés d’une passion dévorante qui les a emportés vers des rivages de plaisir. Jeanne est belle comme l’aurore et son Antoine était son beau chevalier. Mais la lassitude et la vie quotidienne, les habitudes et le temps ont effacé petit à petit cette passion dévorante. Ils se sont installés dans une vie routinière : maison, travail, enfants. Tous deux travaillaient ensemble : la même usine, les mêmes horaires, la même routine. La fatigue qui guette le soir, les weekends à ne rien faire, les vacances gâchées, autant de circonstances qui ont aggravé leur vie commune. Au fil des années, ils ont pu construire une vie confortable, construire leur maison et la remplir du cri de leurs enfants venus rapidement, trop rapidement. Jeanne n’a pas profité de sa jeunesse. Mariée jeune contre l’avis de ses parents, elle a très rapidement dû assumer des tâches trop lourdes pour ses frêles épaules.

Jules est malade. Un cancer grave le ronge et emplit toute sa vie. Il ne sait plus parler que de sa maladie. Il traîne dans son sillage une odeur de mort anticipée. Les médecins et l’hôpital sont son seul horizon. Dans l’immeuble, les personnes qui le croisent le fuient. Il tourne en rond. Il exprime parfois le désir d’en finir avec la vie, cette vie qui ne l’a pas favorisé. Tous habitent la même rue et il les connait.

Lequel est sous le train ?  

Il n’a jamais dit à personne ce qu’il avait vu ce jour-là… Et pour cause, il est aveugle depuis un malheureux accident de chemin de fer. Un train qui a déraillé et qui l’a blessé grièvement. Ce qui explique sa passion morbide pour les gares qu’il visite en aveugle avec son chien qui le guide ! Une manière pour lui d’exorciser son handicap ! 

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