Ecrire en français
« L’on voudrait avoir cent langues pour se faire connaître »
(Blaise Pascal)
Pourquoi j’écris ? Tout simplement parce que j’ai des choses à raconter: mes souvenirs, mes émotions, mes frustrations, une injustice, un rêve – ou un cauchemar. J’écris parce que je suis. J’écris parce que je veux transmettre une histoire dictée par un besoin intérieur qui me pousse à coucher sur le papier, en prose ou en vers, des idées et des pensées qui sont à moi, qui sont moi. J’écris pour m’évader de la réalité ou, au contraire, pour me rappeler à moi-même et à ceux qui voudront bien me lire. J’écris pour ouvrir la porte à un passé ténébreux ou à un avenir que je voudrais moins sombre. J’écris parce que je veux être lu, car l’écriture est aussi, à mes yeux, une arme de combat.
Pourquoi j’écris en français ? En écrivant, je me laisse guider par mon désir de ressusciter certains visages aimés effacés par les hommes ou par le temps. Et le français a sur la langue acquise, l’hébreu en l’occurrence, sinon une prééminence évidente, du moins un avantage naturel octroyé par la force du lien ombilical, un droit d’aînesse, la supériorité de l’état privilégié de la langue maternelle. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une supériorité syntaxique, lexicologique ou sémantique de la première sur la seconde, mais tout bonnement de l’avantage de la primauté. Traducteur par prédilection et par métier, je sais pertinemment que toutes les langues sont des œuvres d’art, que toutes sont fonctionnelles à la géographie, aux conditions de vie et aux modalités oscillantes des besoins, des désirs, des émotions et des frustrations de celui qui la parle. Toutefois, une langue maternelle n’est pas seulement un instrument d’échanges : c’est la première structure de bruits organisés qui nous a vu naître. Si je suis aujourd’hui à cheval sur deux cultures, condamné à vivre entre deux moyens d’expression et de communication qui se complètent ou s’opposent, c’est au rythme du français que j’ai évolué. Durant mes vingt premières années, il y a eu le français et l’argot parisien. Plus ou moins consciemment, je retombe toujours sur le français, comme le chat retombe toujours sur ses pattes, même si je maîtrise l’hébreu et que je l’aime au point d’avoir mal lorsqu’on le dégrade. Ecrire en français signifie pour moi parler de mon enfance, c’est évoquer les couleurs de ce petit village de Picardie qui fut mon paradis - mais aussi la porte de l’enfer. Ecrire en français, c’est raconter les souvenirs d’un enfant de quatre ans qui découvrait le monde et ses miracles avec des mots français qui avaient les couleurs et les odeurs de la France. Alors, à David et à Marianne, à mes deux amours, je fais cette confidence :
Hier le patois et l’argot étaient mes dialectes,
Aujourd’hui mon parler est celui de la Bible,
De chacun de ces héritages, je me délecte,
Pourtant le dilemme est trop souvent pénible.
Multiple richesse, identité composite, terrible dualité,
Patrimoines douloureux, l’un d’un passé ténébreux
Qui déportait les enfants en toute légalité,
L’autre qui m’a sauvé des eaux, moi l’Hébreu.
MICHAEL ADAM - Beer-Shéva
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