Introduction Littérature Poésie Chanson, musique et danse Peinture-Sculpture Cinéma Les derniers mots
Dans le dernier numéro du Porte-Plume, on s’était dit rendez-vous dans… (Tiens, j’ai l’impression que ce début de phrase a déjà été utilisé !) Pour nous, le délai n’était que de trois mois. Nous y sommes, Près de la cheminée ! Nous aurions pu évoquer à ce moment tout le symbolisme de cette dernière ! L’esprit, le centre de la maison, le fameux « foyer ». On prétend que la couleur de la fumée qui s’en échappe, selon qu’elle s’élève claire et blanche ou se traine en noircissant le ciel, indique une table hospitalière ou une triste misère certainement empreinte d’un peu de sorcellerie… Portail entre deux univers, lien entre un ancrage physique et le monde spirituel, les esprits y entrent ou en ressortent, bienveillants ou maléfiques. Le Père Noël l’emprunte toujours pour pénétrer dans les maisons ? Et dans une yourte, le poêle se trouve immuablement entre les poteaux centraux et la cheminée se dresse symboliquement à travers le tono, large ouverture qui sert à la fois de fenêtre sur le ciel et d'aération. Nous aurions pu… Mais, mieux vaut commencer l’année en chantant ! Alors, Marry Poppins vous y invite !
Philippe DELERM
Éloge du feu de cheminée (Article paru dans le Figaro du 12 décembre 2014)
La première maison que j'ai habitée en Normandie, pendant les années soixante-dix, n'avait pas de cheminée. C'était déjà un beau terrier, rempli de livres, de photos, d'affiches d'exposition. Quand des amis la découvraient, venus souvent de la région parisienne, ils finissaient toujours par s'étonner : — Il n'y a pas de cheminée ? Martine, ma compagne, me regardait et souriait doucement, complice. Il n'y avait pas de cheminée, mais tout invitait à en parler, à s'étonner de son absence. Nous aimions bien cette question. Nous espérions bien que tout était cheminée. Passants de la maison, vous regardiez les murs d'images et vous restiez dans le cercle blond de nos lampes. Assis dans le velours râpé, les pieds posés sur la paille un peu rêche des tapis, vous buviez un vin chaud, vous disiez joliment : — Il ne manque qu'une cheminée ! Elle ne vous manquait pas, puisque vous en parliez. Mais elle flambait dans le vin chaud, dans la lumière de la lampe, dans la rousseur du chat qui venait se faire caresser. Dire qu'il manquait une cheminée, c'était à l'évidence affirmer de la façon la plus pudique que vous étiez bien et que vous n'étiez pas pressés de retrouver les bouchons de l'autoroute.
On l'aura compris, le terme de cheminée n'était utilisé - c'est presque toujours le cas - que de façon métonymique. En parlant de cheminée, on désigne le feu pratiqué dans la cheminée, pas la construction elle-même. L'expression «feu de cheminée» est équivoque, et la périphrase «feu dans la cheminée» semble inutilement lourde.
La construction compte pourtant. Je l'ai réalisé en m'installant au début des années quatre-vingt dans ma très ancienne maison nouvelle, celle que j'habite encore aujourd'hui. Voilà quelques jours, c'était dimanche, et après le déjeuner les amis sont venus s'engourdir avec nous autour de la cheminée, espacer les bavardages et partager un bien-être palpable et facile, dans la pièce où j'écris ce texte aujourd'hui. Ma maison fut anciennement une ferme - des habitants du village aiment à nous dire qu'ils venaient y chercher le lait. Mais elle connut encore auparavant une période bourgeoise, d'où subsistent quelques lambris et deux ou trois cheminées de marbre noir avec quelques volutes prétentieuses et pattes de lion sur les côtés. Dans les autres pièces, les cheminées sont plus sobres et rustiques, juste encadrées de bois. Cette alternance compte pour moi, elle est ce qui représente le mieux la variété des vies qui sont passées là avant la mienne.
Mais pour le feu, c'est toujours la même que nous utilisons. Et c'est le feu qui compte. Je crois que les invités ne distinguent même pas consciemment les pattes de lion. Car le feu, c'est d'abord une idée. Une certaine façon d'être ensemble, où l'on n'est pas dispensé d'inviter les atmosphères d'auberge à la Dickens, avec les passagers de la diligence transis de froid et de pluie venant se réchauffer - sans négliger le renfort d'un grog à l'eau-de-vie. Il y a aussi les images anciennes de l'école, où la sérénité de la vie domestique ne pouvait se concevoir sans l'arrière-plan d'une flambée, ni sans l'espace du cantou, où les vieux oubliaient leurs articulations meurtries. On y faisait chauffer la soupe. Car pendant des centaines d'années, le feu fut d'abord utile. Moyen de chauffage qui appelait la convergence, le rapprochement. Les zones restées froides dans les pièces l'étaient davantage, gagnaient aussi avec la nuit un pouvoir d'inquiétude, un imaginaire de secrets menaçants. Pour aller du feu de la pièce à vivre à celui de la chambre à coucher, il y avait un océan d'obscurité et de froidure à traverser, qui parlait tant à l'imaginaire des enfants. Parfois, la chambre n'était même pas chauffée, on se contentait d'un moine passé entre les draps du lit, une curieuse luge où l'on accrochait un poêlon plein de braises. Au matin, les carreaux des fenêtres se constellaient d'un délicat décor de gel.
Pour moi, venu à l'ère du baby-boom, ces images-là sont bien présentes, mais immergées dans la petite enfance, quand on allait dans la ferme des grands-parents. Tout le reste de ma vie, je n'ai connu qu'un feu de luxe. Et je crois que c'est le meilleur. Pas de nécessité. Pas d'utilité. Du feu pour le plaisir. Celui de lire seul devant les flammes, celui de partager - et même le plaisir d'installer la flambée, qui n'est pas le moins pacifiant, ni le moins délectable.
Car le luxe du feu est singulier. Il n'éclabousse pas les autres, il n'exclut pas. Il a ce pouvoir étonnant de réveiller toutes les ombres du passé - ou plutôt toutes les lumières. Et dans le présent il invite, il rapproche. Comme il est bon ce temps du feu que ne cautionne aucun désir d'efficacité - sinon celle d'être bien, et d'être ensemble ! Il rend sacrilèges les couleurs criardes, le babil fatiguant de la télévision. Le feu est beau. Quand on veut lui redonner valeur utile en le gratifiant d'un insert - comme ce mot lui-même est pincé, mesquin, technique! -, on lui vole ce qui est devenu sa raison d'être: créer une vie chaude qui contient tout le meilleur des vies passées, la quintessence d'être bien.
Et puis voilà que vient cette nouvelle désolante et ridicule, ce petit crime contre le plus exquis et le plus convivial de la civilisation. Le feu peut s'interdire !
Charles DICKENS (Un chant de Noël)
Au moment où Scrooge mettait la main sur la serrure, une voix étrange l’appela par son nom et lui dit d’entrer. Il obéit. C’était bien son salon ; il n’y avait pas le moindre doute à cet égard ; mais son salon avait subi une transformation surprenante. Les murs et le plafond étaient si richement décorés de guirlandes de feuillage verdoyant, qu’on eût dit un bosquet véritable dont toutes les branches reluisaient de baies cramoisies. Les feuilles lustrées du houx, du gui et du lierre reflétaient la lumière, comme si on y avait suspendu une infinité de petits miroirs ; dans la cheminée flambait un feu magnifique, tel que ce foyer morne et froid comme la pierre n’en avait jamais connu au temps de Scrooge ou de Marley, ni depuis bien des hivers. On voyait, entassés sur le plancher, pour former une sorte de trône, des dindes, des oies, du gibier de toute espèce, des volailles grasses, des viandes froides, des 94 cochons de lait, des jambons, des aunes de saucisses, des pâtés de hachis, des plumpuddings, des barils d’huîtres, des marrons rôtis, des pommes vermeilles, des oranges juteuses, des poires succulentes, d’immense gâteaux des rois et des bols de punch bouillant qui obscurcissaient la chambre de leur délicieuse vapeur. Un joyeux géant, superbe à voir, s’étalait à l’aise sur ce lit de repos ; il portait à la main une torche allumée, dont la forme se rapprochait assez d’une corne d’abondance, et il l’éleva au-dessus de sa tête pour que sa lumière vint frapper Scrooge, lorsque ce dernier regarda au travers de la porte entrebâillée. « Entrez ! s’écria le fantôme. Entrez ! N’ayez pas peur de faire plus ample connaissance avec moi, mon ami ! »
Colette Prisons et paradis "Le feu sous la cendre" (1932)
La cendre... Beau mot pour commencer un article mortificatoire ! Que ne l'ai-je réservé pour mon article de carême ? Et pulverem reverteris... C'est qu'à vous dire vrai, la cendre n'éveille en moi que de gourmands souvenirs. Gens de la ville, quand je vous parle " cendre ", vous entendez " escarbilles ", ou bien ce résidu gris comme le fer, pesant comme lui, qu'on retire, à pleins seaux du calorifère, de la salamandre, de la grille à coke. Je vous plains. La cendre, dans le plus frais de mon souvenir, c'est... comment écrire ? C'est la fleur du feu, sa blanche écume, son inséparable, son impondérable duvet, - c'est la cendre de bois. Le feu de bois, le seul vrai feu, le feu sentimental, romanesque, primitif, m'a tenue l'hiver au seuil de sa grotte, autrefois, tels les poussins tardifs qu'on élevait sous le manteau de la cheminée. Grand feu de bois, échevelé entre ses coussins de cendre légère, blanche et bleue et voletante comme le chinchilla ! Pour le nourrir dignement, ma mère prélevait, sur les abattages de ses fermes, l'orme, le hêtre, le bouleau, et les souches du vieux bois fruitier les plus cornues, en forme de diables, de roches caverneuses, de rhinocéros, à l'exclusion du chêne et du châtaignier... Ce dernier mot évoque une des deux maximes d'éducation pratique qui ont régi mon enfance : " Ne mange pas la bouche ouverte, et ne jette jamais dans la cendre une épluchure de châtaigne ! " C'est que la cendre, fine mouture, était promise à la lessive. Où vous a-t-on élevés pour que vous ignoriez qu'une pelure de châtaigne, un brandon de chêne mal carbonisé, peuvent tacher toute une lessive ? J'oublie que vous êtes, lecteurs, jeunes et citadins, et que vous lessivez au savon... Dans ce temps lointain où j'apprenais à respecter la cendre, couvrir le feu pour la nuit, réveiller le lendemain matin son ardeur capitonnée de cendres, j'apprenais aussi que la cendre de bois cuit, savoureusement, ce qu'on lui confie. La pomme, la poire, logées dans un nid de cendre chaude, en sortent ridées, boucanées, mais molles sous leur peau comme un ventre de taupe, et si " bonne femme " que se fasse la pomme sur le fourneau de cuisine, elle reste loin de cette confiture enfermée sous sa robe originelle, congestionnée de saveur, et qui n'a exsudé - si vous savez vous y prendre ! - qu'un seul pleur de miel. Et je ne parle pas seulement du turban de cendre rouge dont nous coiffions le " four-de-campagne ", merveilleux et simple appareil de cuivre où s'élaboraient, feu dessus, feu dessous, les meilleurs plats du monde, ceux qui cuisent longuement, étouffés, sans évaporation, repliés, si j'ose écrire, sur eux-mêmes. Notre " four-de-campagne ", ancien, façonné au marteau, abritait de patientes daubes, des rouelles aux carottes et aux girolles, qui ne perdaient rien de leur volume ni de leur jus. Dans la cendre seule, la pomme de terre devient une farine de choix. Foin de la " patate " gluante qui a pris en cuisant, même dans la vapeur, autant d'eau qu'une éponge ! Un chaudron à trois pieds, haut jambé, contenait une cendre tamisée, qui ne " voyait " jamais le feu. Mais farci de pommes de terre qui voisinaient sans se toucher, campé sur ses pattes noires, à même la braise, le chaudron nous pondait des tubercules blancs comme neige, brûlants, écailleux, auxquels un beurre froid et raide, salé, concassé en petits dés, donnait tout leur prix. Trop chère pour nous, la truffe du Périgord cédait la place, l'hiver, à la truffe de Puisaye qui est grise, à peu près insipide, et dont le parfum abuse l'ignorant. Mais, grise ou noire, enfermez la truffe, brossée, dans une papillote de papier huilé, glissez-la, au-devant du feu, dans une taupinière de cendre très chaude. Égrenez, au sommet du tumulus minuscule, de menues braises, - l'inspiration, la légèreté de main aidant, vous exhumerez, une demi-heure plus tard, des truffes pour la croque au sel. La betterave rouge peut profiter, après, du lit tout chaud, et embaumé par la truffe. Vous l'arroserez, à peine salée, mieux poivrée, d'huile d'olive, et vous l'accompagnerez d'un panache de céleri blanc. Et le vinaigre ? Vinaigrez, si vous y tenez, mais recourez au vinaigre de vin, qui est doux. Je connais des cheminées parisiennes où l'on brûle encore - c'est parure plutôt que nécessité - des bûches imposantes. Mais j'y cherche en vain la cendre, le talus, l'amphithéâtre de cendre qui fait majestueux le bûcher et chaude la cheminée. Un esprit d'ignorance, de froide propreté commande qu'on vide tous les matins la cheminée, comme si cendre, détritus, épluchures, étaient un seul et même déchet. Un grand courant d'air circule autour du feu, dévore le bois et chasse l'intimité, la rêverie, l'égale chaleur. Que je n'aime pas ces maisons où l'on emporte la cendre à pelletées comme une incongruité de chat ! Cuite, recuite, rougie vingt fois, remuée à la pincette, vannée à la pelle, la cendre ne quittait l'âtre, dans le pays de mon enfance, que pour descendre à la cave sèche et servir de linceul aux fromages, les fromages plats et minces de l'Yonne et du Loiret, qui y passaient deux mois, trois, parfois six mois. Ils en sortaient comme d'une catastrophe pompéienne, quasi pétrifiés. Mais leur pulpe était devenue de cire transparente, jaune, d'une homogénéité singulière, et d'un goût ami du vin rouge, de la noix d'hiver et de la salade de pissenlit. J'ai gardé pour la fin la recette d'un poulet à la cendre et à la glaise... Elle semble barbare. Elle rappelle celle du poulet chinois, scellé dans la laque, sauf que le poulet à la cendre demande qu'on l'englue, emplumé, dans l'argile lisse, la glaise des sculpteurs. Il ne faut que le vider avec soin, le poivrer et le saler intérieurement. Sa graisse, prisonnière, suffit à tout. La boule d'argile et son noyau gallinacé subissent une crémation assez longue au sein d'une cendre épaisse, de toutes parts entourée de braises qu'on attise, qu'on renouvelle. La molle argile, au bout de trois quarts d'heure, est un œuf de terre cuite. Brisez-le : toutes les pennes, une partie de la peau, restent attachées aux tessons, et la perfection sauvage du tendre poulet vous incline vers une gourmandise un peu brutale et préhistorique...
Anatole FRANCE
(La rôtisserie de la Reine Pédauque)
— C’est le moment, dit mon père, de déboucher une de ces bouteilles, que je tiens en réserve pour les grandes fêtes, qui sont la Noël, les Rois et la Saint-Laurent. Rien n’est plus agréable que de boire du bon vin, quand on est tranquille chez soi, et à l’abri des importuns. À peine avait-il prononcé ces paroles, que la porte s’ouvrit et qu’un grand homme noir aborda la rôtisserie, dans une rafale de neige et de vent.
— Une Salamandre ! une Salamandre ! s’écriait-il.
Et, sans prendre garde à personne, il se pencha sur le foyer dont il fouilla les tisons du bout de sa canne, au grand dommage de frère Ange, qui, avalant des cendres et des charbons avec son potage, toussait à rendre l’âme. Et l’homme noir remuait encore le feu, en criant : « Une Salamandre !... Je vois une Salamandre », tandis que la flamme agitée faisait trembler au plafond son ombre en forme de grand oiseau de proie.
Mon père était surpris et même choqué des façons de ce visiteur. Mais il savait se contraindre. Il se leva donc, sa serviette sous le bras, et, s’étant approché de la cheminée, il se courba vers l’âtre, les deux poings sur les cuisses.
Quand il eut suffisamment considéré son foyer bouleversé et frère Ange couvert de cendres :
— Que Votre Seigneurie m’excuse, dit-il, je ne vois ici qu’un méchant moine et point de Salamandre.
Au demeurant, j’en ai peu de regret, ajouta mon père. Car, à ce que j’ai ouï dire, c’est une vilaine bête, velue et cornue, avec de grandes griffes.
— Quelle erreur ! répondit l’homme noir, les Salamandres ressemblent à des femmes, ou, pour mieux dire, à des Nymphes, et elles sont parfaitement belles. Mais je suis bien simple de vous demander si vous apercevez celle-ci. Il faut être philosophe pour voir une Salamandre, et je ne pense pas qu’il y ait des philosophes dans cette cuisine.
— Vous pourriez vous tromper, monsieur, dit l’abbé Coignard. Je suis docteur en théologie, maître ès arts ; j’ai assez étudié les moralistes grecs et latins, dont les maximes ont fortifié mon âme dans les vicissitudes de ma vie, et j’ai particulièrement appliqué Boèce, comme un topique, aux maux de l’existence. Et voici près de moi Jacobus Tournebroche, mon élève, qui sait par cœur les sentences de Publius Syrus.
L’inconnu tourna vers l’abbé des yeux jaunes, qui brillaient étrangement sur un nez en bec d’aigle, et s’excusa, avec plus de politesse que sa mine farouche n’en annonçait, de n’avoir pas tout de suite reconnu une personne de mérite.
— Il est extrêmement probable, ajouta-t-il, que cette Salamandre est venue pour vous ou pour votre élève. Je l’ai vue très distinctement de la rue en passant devant cette rôtisserie. Elle serait plus apparente si le feu était plus vif. C’est pourquoi il faut tisonner vivement dès qu’on croit qu’une Salamandre est dans la cheminée. Au premier mouvement que l’inconnu fit pour remuer de nouveau les cendres, frère Ange, inquiet, couvrit la soupière d’un pan de sa robe et ferma les yeux.
— Monsieur, poursuivit l’homme à la Salamandre, souffrez que votre jeune élève approche du foyer et dise s’il ne voit pas quelque ressemblance d’une femme au-dessus des flammes.
En ce moment, la fumée qui montait sous la hotte de la cheminée se recourbait avec une grâce particulière et formait des rondeurs qui pouvaient simuler des reins bien cambrés, à la condition qu’on y eût l’esprit extrêmement tendu. Je ne mentis donc pas tout à fait en disant que, peut-être, je voyais quelque chose.
À peine avais-je fait cette réponse que l’inconnu, levant son bras démesuré, me frappa du poing l’épaule si rudement que je pensai en avoir la clavicule brisée.
— Mon enfant, me dit-il aussitôt, d’une voix très douce, en me regardant d’un air de bienveillance, j’ai dû faire sur vous cette forte impression, afin que vous n’oubliiez jamais que vous avez vu une Salamandre. C’est signe que vous êtes destiné à devenir un savant et, peut-être, un mage…
Feodor RAJAMKOVSKY
Marie COLMONT
(Michka, Editions Père Castor)
À chaque village, à chaque maison, le Renne s’arrêtait et Michka, entrant à pas de loup, mettait dans la cheminée un chemin de fer, un pantin, une trompette, tout ce qui lui tombait sous la main en fouillant dans le grand sac. Michka s’amusait comme un fou ; s’il était resté, sage petit joujou, dans la maison d’Elisabeth, aurait-il jamais connu une nuit pareille ? De temps en temps, cependant, il pensait : « Et ma bonne action dans tout ça ? » Alors, on arriva à la dernière maison ; c’était une cabane misérable, à la lisière d’un bois. Michka fourra la main dans le grand sac, tourna, fouilla : il n’y avait plus rien ! - Renne ! ô Renne ! Il n’y a plus rien dans le grand sac ! - Oh ! gémit le Renne. Dans cette cabane, il y avait un petit garçon malade ; demain matin, en s’éveillant, verrait-il ses bottes vides devant la cheminée ? Le Renne regardait Michka de ses beaux yeux profonds. Alors Michka fit un soupir, embrasse d’un coup d’œil la campagne où il faisait bon se promener tout seule et, haussant les épaules, levant bien haut ses pattes, une, deux, une, deux, pour faire sa bonne action de Noël, enta dans la cabane, s’assit dans une des bottes, et attendit le matin…
J.K.ROWLING (Harry Potter et la chambre des secrets)
— Et ne bouge pas, sinon tu risques de tomber dans la mauvaise cheminée, dit Ron.
— Mais surtout ne panique pas et ne sors pas trop tôt. Attends le moment où tu verras Fred et George.
En s’efforçant de garder tous ces conseils en mémoire, Harry prit une pincée de poudre de cheminette et s’approcha du feu. Il inspira profondément, jeta la poudre dans l’âtre et fit un pas en avant. Les flammes n’étaient pas plus chaudes qu’une brise tiède. Il ouvrit la bouche pour donner l’adresse et avala aussitôt un nuage de cendres.
— Che…che…min de tra…verse, balbutia-t-il en toussant.
Il eut alors l’impression d’être aspiré dans un tourbillon géant. Il lui sembla quille tournait sur lui-même à toute vitesse dans un grondement assourdissant. Il essaya de garder les yeux ouverts, mais les flammes vertes qui dansaient devant ses yeux lui donnaient mal au cœur…Son coude heurta quelque chose de dur et il colla ses bras le long du corps en continuant de tourner, tourner, tourner…À présent, c’était comme si des mains glacées le giflaient à toute volée…Il entrouvrit les yeux derrière ses lunettes et vit défiler un flot indistinct de cheminées qui lui laissait apercevoir en un éclair des maisons inconnues…Les sandwiches au bacon remuaient dangereusement dans son estomac…Il referma les yeux, espérant de toutes ses forces que tout s’arrête enfin…et tomba tète la première sur un sol de pierre froide en sentant ses lunettes se briser sous le choc.
Hans Christian ANDERSEN
(1805-1875 Contes) (La bergère et le ramoneur)
(Extrait final)
Alors, le ramoneur la regarda droit dans les yeux et dit :
- Mon chemin passe par la cheminée, as-tu le courage de grimper avec moi à travers le poêle, d'abord, le foyer, puis le tuyau où il fait nuit noire ? Après le poêle, nous devons passer dans la cheminée elle-même ; à partir de là, je m'y entends, nous monterons si haut qu'ils ne pourront pas nous atteindre, et tout en haut, il y a un trou qui ouvre sur le monde.
Il la conduisit à la porte du poêle.
- Oh ! Que c'est noir, dit-elle.
Mais elle le suivit à travers le foyer et le tuyau noirs comme la nuit.
- Nous voici dans la cheminée, cria le garçon. Vois, vois, là-haut brille la plus belle étoile.
Et c'était vrai, cette étoile semblait leur indiquer le chemin. Ils grimpaient et rampaient. Quelle affreuse route ! Mais il la soutenait et l'aidait, il lui montrait les bons endroits où appuyer ses fins petits pieds, et ils arrivèrent tout en haut de la cheminée, où ils s'assirent épuisés. Il y avait de quoi.
Au-dessus d'eux, le ciel et toutes ses étoiles, en dessous, les toits de la ville ; ils regardaient au loin, apercevant le monde. Jamais la bergère ne l'aurait imaginé ainsi. Elle appuya sa petite tête sur la poitrine du ramoneur et se mit à sangloter si fort que l'or qui garnissait sa ceinture craquait et tombait en morceaux.
- C'est trop, gémit-elle, je ne peux pas le supporter. Le monde est trop grand. Que ne suis-je encore sur la petite table devant la glace, je ne serai heureuse que lorsque j'y serai retournée. Tu peux bien me ramener à la maison, si tu m'aimes un peu.
Le ramoneur lui parla raison, lui fit souvenir du vieux Chinois, du « sergentmajorgénéralcommandantenchefaux-piedsdebouc », mais elle pleurait de plus en plus fort, elle embrassait son petit ramoneur chéri, de sorte qu'il n'y avait rien d'autre à faire que de lui obéir, bien qu'elle eût grand tort.
Alors ils rampèrent de nouveau avec beaucoup de peine pour descendre à travers la cheminée, le tuyau et le foyer ; ce n'était pas du tout agréable. Arrivés dans le poêle sombre, ils prêtèrent l'oreille à ce qui se passait dans le salon. Tout y était silencieux ; alors ils passèrent la tête et... horreur ! Au milieu du parquet gisait le vieux Chinois, tombé en voulant les poursuivre et cassé en trois morceaux ; il n'avait plus de dos et sa tête avait roulé dans un coin. Le sergent-major général se tenait là où il avait toujours été, méditatif.
- C'est affreux, murmura la petite bergère, le vieux grand-père est cassé et c'est de notre faute ; je n'y survivrai pas. Et, de désespoir, elle tordait ses jolies petites mains.
- On peut très bien le requinquer, affirma le ramoneur. Il n'y a qu'à le recoller, ne sois pas si désolée. Si on lui colle le dos et si on lui met une patte de soutien dans la nuque, il sera comme neuf et tout prêt à nous dire de nouveau des choses désagréables.
- Tu crois vraiment ?
Ils regrimpèrent sur la table où ils étaient primitivement.
- Nous voilà bien avancés, dit le ramoneur, nous aurions pu nous éviter le dérangement.
- Pourvu qu'on puisse recoller le grand-père. Crois-tu que cela coûterait très cher ? dit-elle.
La famille fit mettre de la colle sur le dos du Chinois et un lien à son cou, et il fut comme neuf, mais il ne pouvait plus hocher la tête.
- Que vous êtes devenu hautain depuis que vous avez été cassé, dit le « sergentmajorgénéralcommandantenchef-auxpiedsdebouc ». Il n'y a pas là de quoi être fier. Aurai-je ou n'aurai-pas ma bergère ?
Le ramoneur et la petite bergère jetaient un regard si émouvant vers le vieux Chinois, ils avaient si peur qu'il dise oui de la tête ; mais il ne pouvait plus la remuer. Et comme il lui était très désagréable de raconter à un étranger qu'il était obligé de porter un lien à soncou, lesamoureux de porcelaine restèrent l'un près de l'autre, bénissant le pansement du grand-père et cela jusqu'au jour où eux-mêmes furent cassés.
La cuisine
Au fond, la crémaillère avait son croc pendu, Le foyer scintillait comme une rouge flaque, Et ses flammes, mordant incessamment la plaque, Y rongeaient un sujet obscène en fer fondu.
Le feu s’éjouissait sous le manteau tendu Sur lui, comme l’auvent par-dessus la baraque, Dont les bibelots clairs, de bois, d’étain, de laque, Crépitaient moins aux yeux que le brasier tordu.
Les rayons s’échappaient comme un jet d’émeraudes, Et, ci et là, partout, donnaient des chiquenaudes De clarté vive aux brocs de verre, aux plats d’émail,
A voir sur tout relief tomber une étincelle, On eût dit – tant le feu s’émiettait par parcelle – Qu’on vannait du soleil à travers un vitrail.
(Emile Verhaeren, Les flamandes)
Heureux qui comme Ulysse
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d’usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin, Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, Et plus que l’air marin la doulceur angevine.
(Joachim Du Bellay, Regrets, 1558 )
La plainte du bois
Dans l'âtre flamboyant le feu siffle et détone,
Et le vieux bois gémit d'une voix monotone.
Il dit qu'il était né pour vivre dans l'air pur, Pour se nourrir de terre et s'abreuver d'azur, Pour grandir lentement et pousser chaque année Plus haut, toujours plus haut, sa tête couronnée, Pour parfumer avril de ses grappes de fleurs, Pour abriter les nids et les oiseaux siffleurs, Pour jeter dans le vent mille chansons joyeuses, Pour vêtir tour à tour ses robes merveilleuses, Son manteau de printemps de fins bourgeons couvert, Et la pourpre en automne, et l'hermine en hiver. Il dit que l'homme est dur, avare et sans entrailles, D'avoir à coups de hache et par d'âpres entailles Tué l'arbre ; car l'arbre est un être vivant. Il dit comme il fut bon pour l'homme bien souvent, Qu'à nos jeunes amours et nos baisers sans nombre Il a prêté l'alcôve obscure de son ombre, Qu'il nous couvrait le jour de ses frais parasols Et nous berçait la nuit aux chants des rossignols, Et qu'ingrats, oubliant notre amour, notre enfance, Nous coupons sans pitié le géant sans défense. Et dans l'âtre en brasier le bois geint et se tord. Ô bois, tu n'es pas sage et tu te plains à tort. Nos mains en te coupant ne sont pas assassines.
…………………
Et toi qui regrettais le grand ciel et l'air pur, Ô vieux bois, tu deviens un morceau de l'azur.
(Jean Richepin, La chanson des gueux)
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Je reviens chez nous (1968 - Jean-Pierre Ferland)
Sous les cheminées (Richard Séguin)
Heureux qui comme Ulysse (Ridan)
Ma cheminée est un théâtre (Claude Nougaro)
L'as-tu vu ce petit bonhomme (Teva Jeunesse)
Entrons dans la danse (Mary Poppins-Disney)
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Cheminée Casa Milà, La Pedrera,Barcelone (Gaudi)
Saint-Mihiel (Ligier Richier)
Paysans se réchauffant à côté du foyer (Brueghel)
Paysanne au foyer (Van Gogh)
Femme nue devant une salamandre (Félix Valloton)
Cheminée Villa Majorelle (Alexandre Bigot)
Quatre cheminées légendaires (Titanic)
La voix des cheminées (couverture) (F.Peeters, Koma)
Roubaix,
la ville aux mille cheminées... d'usine
Cheminées et toits de Paris
Le Kilauea et sa cheminée
la plus active de la planète
CHeminées de fées (Cappadoce)
Cliquez sur chaque affiche pour les agrandir
Peu de films trouvés dont le titre *avec la cheminée. Certes, il y a bien….
Landru
Germinal et ses cheminées
de ventilation des puits
Cendrillon
Mon voisin Totoro, et Le Voyage de Chihiro où apparaissent les Susuwararis, boules de suie travailleuses et facétieuses.
Le Père Noël est une ordure, au ciné et théâtre
On ne pouvait terminer qu’en chanson, danse et sourire, par l’évocation d’une autre cheminée célèbre, surtout pour les générations de loups...
Les trois petits cochons (Walt Disney - 1933)
... non sans avoir une pensée vers celui qui, sans doute épuisé de passer à travers nos cheminées, se repose un peu en lisant déjà les commandes pour l’année prochaine. Les lutins, là-bas, travaillent déjà !
Les derniers mots reviendront à Victor HUGOqui écrivait :
Et maintenant rendez-vous
le 1er avril...
Mais comme, comme ils disent qu’« Il n’y a plus d’saisons ! », ce sera pour une autre rubrique que Plume de saisons. Peut-être un truc sur le solstice de printemps, voire l’équinoxe d’été ! Eh oui, quand on vous dit que ça ne tourne plus rond !
En attendant, avec ou sans cheminée, que votre année puisse ressembler le plus possible à celle dont vous rêvez !