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Par Daniel DUBOURG

À chacun sa béquille

Dans Le chien sage, Khalil Gibran nous conte l’histoire un chien écouté et respecté par ses pairs, qui se rend, un jour, à une assemblée de chats devant lesquels l’un des leurs tient un étrange discours :

— Si vous priez avec suffisamment de foi, il tombera du ciel, des souris.

« Ce n’est pas cela que j’ai appris, pense le chien qu’on dit sage, mais plutôt que, si les miens prient avec assez de ferveur, ce sont des os qui tomberont du ciel, et non des souris l »

Au quotidien, il n’est pas rare de rencontrer des orateurs, prédicateurs, des bonimenteurs venant entretenir des assemblées devant lesquelles ils s’efforcent de promouvoir, si ce n’est de vanter les vertus des causes et des produits qu’ils défendent. L’aspect mercantile est parfois très évident, quand il est question de vendre, voire de se vendre pour faire du nombre et susciter des adhésions.
L’ensemble des mécanismes utilisés pour y parvenir est maintenant connu, ce qui n’empêche pas les uns, les autres, y compris nous-même, de, parfois, tomber dans le panneau.

Quand il est question de matériels et d’objets de consommation, cela prête assez peu à conséquence (encore que !), car le bluff, la tromperie sur la matière, précisément, sont assez rapidement décelables et, de ce fait, permettent de ne plus se faire abuser. Par contre, quand il s’agit de sujets touchant aux idées, aux sentiments, aux positions métaphysiques, aux conceptions sociétales, aux relations à soi-même, aux autres et au monde, d’une manière générale, les choses deviennent bien plus délicates.

Bien sûr qu’il est humain de défendre les idées qui nous habitent et nous traversent, d’autant que, y croyant, nous voulons les promouvoir pour nous attacher des adeptes. Ce faisant, elles nous donnent un sentiment légitime d’appartenance à un groupe, et nous sécurisent. Je ne suis pas le seul à penser ainsi, et si d’autres pensent comme moi, c’est que mes idées ne sont pas forcément si mauvaises. Derrière cette position, peut se cacher la crainte de se retrouver isolé.

Chaque religion, chaque église, chaque chapelle, quelle qu’elle soit, auraient tendance à vanter les vertus et les bienfaits qu’elle défend et qui fondent leur raison d’être, leur existence.

Quelle est l’idée directrice présidant au fondement de telle ou telle théorie, de telle ou telle philosophie ou autre conception ? Où se situent la marque et le rôle de l’humain, les interactions entre humains, tous ces points devant constituer des marqueurs permettant de reconnaître, proche ou lointaine, fréquente ou espacée, l’existence de la Vie, de la Pensée, de l’Amour, de la Créativité ?

L’homme à la tribune, comme face à lui-même, ne devrait-il pas, avant de prendre la parole pour penser à transmettre, soucieux de convaincre ou haranguer, avoir préalablement fait le point, avec pour seule exigence, de dire qu’il existe d’autres théories, d’autres conceptions que celles qu’il défend, afin de permettre la comparaison et l’évaluation, afin d’aider chacun, chacune à se forger une opinion personnelle ?

Vouloir convaincre, à tout prix, en utilisant tous les moyens, en brandissant parfois la peur, le chantage, le mensonge et la menace, comme en sont entachés le terrorisme, le totalitarisme et toute autre forme d’annexion de la pensée, dans le seul but de dominer, permet-il la liberté de penser, celle qui aide à se découvrir, à se sentir heureux et responsable ?

Si nous partons du principe que nous avons une béquille, un point d’appui nous permettant à la fois de tenir en équilibre et d’avancer, il serait intéressant de nous interroger sur sa nature et son utilité.

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