Pourquoi
« Dis, papa, pourquoi, quand on est vieux, on va mourir ? »
Pourquoi ? Le philosophe nous explique que cette question, exprimant le désir de connaître la cause, est le fondement de la réflexion philosophique, vouée à la recherche de cette connaissance.
Tout bachelier, au seul énoncé de cette recherche, évoquera (en principe !) la théorie aristotélicienne des quatre causes, en particulier la cause finale, mère de la branche la plus noble de la philosophie : la métaphysique. Le susdit bachelier pourrait aussi, par ce goût du paradoxe inhérent à la jeunesse, l'appeler la cause première. C'est la cause sans cause, d'où tout découle. Ou encore : le moteur non mu. Ou encore : Dieu. Vous me suivez ?
Et pourquoi ai-je choisi ce sujet ? Parce que vouloir savoir pourquoi est le propre de l’homme. Le louveteau demande-t-il à sa mère : « Pourquoi suis-je loup et non renard ? Pourquoi mangeons-nous de la viande ? Pourquoi dois-je tuer pour manger ? Pourquoi ? » ?
Rabrouer systématiquement l’enfant qui veut savoir pourquoi, même si sa question est parfois lassante, ou gênante, c’est couper les ailes à sa raison prenant son essor, c’est tuer sa curiosité, c’est en fait le priver de l’exercice de son humanité. Voilà le vice fondamental du « pédagogisme » moderne. Quand ma sœur a passé l’épreuve pratique du CAPES, consistant à faire cours (en l’occurrence d’allemand) à une classe, une élève lui a demandé le pourquoi de telle anomalie grammaticale. Voyant dans cette question une preuve non seulement d’intérêt, mais aussi d’intelligence, ma sœur a expliqué, après avoir félicité l’élève. Fatale erreur ! L’inspecteur indigné l’a blâmée : « Vous n’aviez pas à expliquer ! L’élève doit seulement assimiler la langue par imprégnation. » Quelle cruauté à l’égard d’une jeune intelligence !
J’ai eu le bonheur de grandir auprès de parents eux-mêmes curieux, qui jamais ne m’ont répondu : « parce que c’est comme ça ! » La réponse peut être différée, simplifiée, parfois ignorée, mais elle existe. Et voilà une autre merveille : chercher le pourquoi est le fondement non seulement de la métaphysique, mais aussi de la science. J’imagine le jeune Newton demandant : « Dis, papa, pourquoi les pommes tombent par terre ? »
Chercher à connaître le pourquoi est le propre d’un esprit libre. Aussi est-ce parfois périlleux, car les faibles, effrayés par les pourquoi, blâment et parfois condamnent ceux qui les prononcent. Demander « pourquoi » en matière de morale, voire de religion, c’est flirter avec le danger ; et avec le courage. Socrate en est mort, mais sa mort a été la matrice de la philosophie occidentale.
En revanche, il est des domaines situés au-delà de la raison, au-delà du pourquoi : l’inspiration, l’intuition, le sentiment, l’héroïsme, la foi. Un critique écrit, au sujet de la célèbre amitié entre Montaigne et La Boétie : « Montaigne se demande pourquoi on se demandait parfois pourquoi il aimait son ami ». Montaigne, homme raisonnable s’il en est et fort curieux d’explorer toutes sortes de pourquoi, se résout à accepter le mystère. « Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
Le mystère englobe et dépasse la raison silencieuse.
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