Introduction Littérature Poésie Chanson, musique et danse Peinture-Sculpture Cinéma Les derniers mots
Pour accueillir au mieux cet automne, avant de partager les regards portés par certains artistes sur la vigne, ses vendanges et ses breuvages, respectons la tradition, celle qui prévaut quand on est en bonne compagnie, Trinquons ! Cette pratique moyenâgeuse qui consiste à heurter les verres de façon à ce qu’un peu de liquide de son propre godet se transvase dans celui du voisin était surtout un gage de survie. Boire un peu du contenu du verre offert rassurait sur le risque éventuel d’être empoisonné ! Alors, ensemble : « À Noé, patriarche digne, qui le premier planta la vigne ! » Eh oui, il semble que Noé, homme du terroir, planta le premier une vigne. Cependant, en boire jusqu’à l’ivresse ne lui porta pas vraiment chance !
Hortus Deliciarum, encyclopédie chrétienne réalisée entre 1159 et 1175
Noé et la Vigne
20 Noé commença à cultiver le sol et planta de la vigne. 21 Il but du vin et devint ivre, si bien qu’il se dénuda au milieu de sa tente. 22 Cham, le père de Canaan, vit la nudité de son père et en parla à ses deux frères qui se trouvaient à l’extérieur. 23 Alors Sem et Japhet prirent un manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculons et couvrirent la nudité de leur père. Comme ils détournaient la tête, ils ne virent pas la nudité de leur père. 24 Lorsqu’il eut fini de cuver son vin, Noé apprit ce que lui avait fait son fils cadet 25 et dit : « Maudit soit Canaan ! Qu'il soit le dernier des esclaves pour ses frères ! » 26 Il dit encore : « Béni soit l'Eternel, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave ! 27 Que Dieu élargisse le territoire de Japhet, qu'il habite dans les tentes de Sem et que Canaan soit son esclave !»
(Genèse 9, 20 à 27)
Rabelais
(Gargantua -Chapitre V)
Les propos des bien ivres
Puis entrèrent en propos de resieuner1 on propre lieu2. Lors flacon d’aller, jambons de trotter, gobelets de voler, breuses3 de tinter : « Tire ! — Baille — Tourne ! — Brouille4 ! — Boutte à moi, sans eau ; ainsi, mon ami. — Fouette-moi ce verre gualentement5. — Produis-moi6 du clairet, verre pleurant7. — Trêves de soif8 ! — Ha, fausse fièvre, ne t’en iras-tu pas ? — Par ma fy9, ma commère, je ne peux entrer en bette10. — Vous êtes morfondue, m’amie ? — Voire11. — Ventre saint Quenet12 ! parlons de boire. — Je ne bois qu’à mes heures, comme la mule du pape. — Je ne bois qu’en mon bréviaire13, comme un beau père gardien14. — Qui fut premier, soif ou beuverie ? — Soif, car qui eût bu sans soif durant le temps d’innocence ? — Beuverie, car privatis presupponit habitum15. Je suis clerc. — Fœcundis calices quem non fecere disertum16? — Nous autres innocents ne buvons que trop sans soif. — Non, moi, pécheur, sans soif, &, si non présente, pour le moins future17, la prévenant comme entendez. Je bois pour la soif à venir. Je bois éternellement. Ce m’est éternité de beuverie & beuverie d’éternité. — Chantons, buvons, un motet18 entonnons19 ! — Où est mon entonnoir20 ? Quoi ! Je ne bois que par procuration21 ! — Mouillez-vous pour sécher, ou vous séchez pour mouiller ? — Je n’entends point la théorique ; de la pratique je m’aide quelque peu. — Hâte ! — Je mouille, j’humecte, je bois, & tout de peur de mourir. — Buvez toujours, vous ne mourrez jamais. — Si je ne bois, je suis à sec, me voilà mort. Mon âme s’enfuira en quelque grenouillère22. En sec jamais l’âme n’habite. — Sommeliers, ô créateurs de nouvelles formes, rendez-moi de non buvant buvant23 !
1. goûter -2. sur place -3. brocs – 4. mélange (vin et eau) - 5. vide-moi ce verre gaillardement – 6. exhibe-moi – 7. débordant – 8. assez de soif - 9. par ma foi – 10. boisson, se mettre à boire – 11. oui vraiment – 12. nom de saint facétieux (signifie quenotte, ou petit con) – 13. il existait des bouteilles en forme de bréviaire – 14. supérieur d’un couvent – 15. la privation présuppose la possession – 16. quel est l’homme que les coupes fécondes n’a pas rendu éloquent ? – 17. Moi, au contraire, qui suis pécheur, je ne bois pas sans soif. Si je n’ai pas soif présentement, je bois au moins pour ma soif future. - 18. chant d’église à plusieurs voix – 19. jeu de mot, entonner un chant - 20 mon verre – 21. les autres boivent à ma place – 22. marécage à grenouilles – 23. l’âme qui est esprit, ne peut habiter dans le sec (St Augustin ?)
Gabrielle ADAM
(Pour l'amour de la vigne)
— Au fond, je crois tout simplement que tu n’aimes pas la vigne. Pierre se redressa brusquement, sortant de son apathie. Quoi ? Lui, ne pas aimer la vigne ? Oh que si, il l’aimait ! Il la connaissait par cœur depuis qu’il avait fait ses premiers pas dans ses rangées de terre mêlée du fin gravier qui avait d’ailleurs donné leur nom à un de leurs grands crus classés. Depuis presque trente ans, il ne s’était jamais lassé des dessins que formaient les noirs sarments tortueux, sur les jeunes pousses tendres des feuilles qui en sortaient au printemps en se dépliant peu à peu, sur les minuscules grains verts qui grossissaient de jour en jour et changeaient de couleur au fur et à mesure de leur maturation, sur la rosée translucide qui s’attardait le matin sur ces derniers, sur les fruits enfin mûrs qui ressemblaient à de précieux rubis. Il s’inquiétait des fortes pluies qui menaçaient parfois les précieuses récoltes. Il s’enchantait de voir les grappes tomber les grappes une à une dans les hottes des vendangeurs, finissant par former de fragiles montagnes violettes. Il aimait se mailer aux travailleurs saisonniers de septembre, au grand dam de son père qui jugeait que ce n’était pas sa place. Il respirait avec délice l’odeur du raisin que l’on presse, il contemplait longuement les énormes fûts de chêne qui abritaient les riches nectars dans les sombres caves voutées, au fond desquelles il errait souvent, seul. Puis il allait se poster devant les centaines de bouteilles sagement couchées dans leurs casiers. Et il connaissait et aimait le bon vin, un peu trop parfois. Mais il savait que son père, cet homme aux cheveux gris plaqués en arrière et aux yeux perçants abrités derrière des lunettes à l’austère monture d’acier, lui reprochait surtout de ne pas aimer le côté commercial de la vigne, les chiffres et les prix, les marges et les bénéfices, les problèmes d’exportation et de publicité, les discussions à n’en plus finir avec les intermédiaires, les palabres interminables des conseils d’administration et autres réunions. Ces dernières, parfois impromptues auxquelles M. Debrezac le convoquait souvent au pied levé comme s’il était corvéable à merci, comme s’il fallait toujours se plier à la toute-puissance du chef de famille et de l’entreprise.
J.J. Rousseau
(Julie ou la Nouvelle Héloïse)
La fête des vendanges ou le sentiment de l'égalité
Depuis un mois les chaleurs de l’automne apprêtaient d’heureuses vendanges ; les premières gelées en ont amené l’ouverture ; le pampre grillé, laissant la grappe à découvert, étale aux yeux les dons du père Lyée, et semble inviter les mortels à s’en emparer. Toutes les vignes chargées de ce fruit bienfaisant que le ciel offre aux infortunés pour leur faire oublier leur misère ; le bruit des tonneaux, des cuves, les lègrefass qu’on relie de toutes parts, le chant des vendangeuses dont ces coteaux retentissent ; la marche continuelle de ceux qui portent la vendange au pressoir ; le rauque son des instruments rustiques qui les anime au travail ; l’aimable et touchant tableau d’une allégresse générale qui semble en ce moment étendu sur la face de la terre; enfin le voile de brouillard que le soleil élève au matin, comme une toile de théâtre pour découvrir à l’œil un si charmant spectacle : tout conspire à lui donner un air de fête ; et cette fête n’en devient que plus belle à la réflexion, quand on songe qu’elle est la seule où les hommes aient su joindre l’agréable à l’utile. Vous ne sauriez concevoir avec quel zèle, avec quelle gaieté tout cela se fait. On chante, on rit toute la journée, et le travail n’en va que mieux. Tout vit dans la plus grande familiarité ; tout le monde est égal, et personne ne s’oublie. Les dames sont sans airs, les paysannes sont décentes, les hommes badins et non grossiers. C’est à qui trouvera les meilleures chansons, à qui fera les meilleurs contes, à qui dira les meilleurs traits. L’union même engendre les fôlatres querelles ; et l’on ne s’agace mutuellement que pour montrer combien on est sûr les uns des autres. On ne revient point ensuite faire chez soi les messieurs ; on passe aux vignes toute la journée : Julie y a fait une loge où l’on va se chauffer quand on a froid, et dans laquelle on se réfugie en cas de pluie. On dîne avec les paysans et à leur heure, aussi bien qu’on travaille avec eux. On mange avec appétit leur soupe un peu grossière, mais bonne, saine, et chargée d’excellents légumes. On ne ricane point orgueilleusement de leur air gauche et de leurs compliments rustauds ; pour les mettre à leur aise, on s’y prête sans affectation. Ces complaisances ne leur échappent pas, ils y sont sensibles ; et voyant qu’on veut bien sortir pour eux de sa place, ils s’en tiennent d’autant plus volontiers dans la leur… Le soir, on revient gaiement tous ensemble. On nourrit et loge les ouvriers tout le temps de la vendange ; et même le dimanche, après le prêche du soir, on se rassemble avec eux et l’on danse jusqu’au souper… Ces saturnales sont bien plus agréables et plus sages que celles des Romains. Le renversement qu’ils affectaient était trop vain pour instruire le maître ni l’esclave ; mais la douce égalité qui règne ici rétablit l’ordre de la nature, forme une instruction pour les uns, une consolation pour les autres, et un lien d’amitié pour tous.
(Cinquième partie : Lettre VII - La fête des vendanges ou le sentiment de l’égalité)
Honoré de Balzac
(Le Lys dans la vallée)
Nous arrivâmes à l’époque des vendanges, qui sont en Touraine de véritables fêtes. Vers la fin du mois de septembre, le soleil, moins chaud que durant la moisson, permet de demeurer aux champs sans avoir à craindre ni le hâle ni la fatigue. Il est plus facile de cueillir les grappes que de scier les blés. Les fruits sont tous mûrs. La moisson est faite, le pain devient moins cher, et cette abondance rend la vie heureuse. Enfin les craintes qu’inspirait le résultat des travaux champêtres où s’enfouit autant d’argent que de sueurs, ont disparu devant la grange pleine et les celliers prêts à s’emplir. La vendange est alors comme le joyeux dessert du festin récolté, le ciel y sourit toujours en Touraine, où les automnes sont magnifiques. Dans ce pays hospitalier, les vendangeurs sont nourris au logis. Ces repas étant les seuls où ces pauvres gens aient, chaque année, des aliments substantiels et bien préparés, ils y tiennent comme dans les familles patriarcales les enfants tiennent aux galas des anniversaires. Aussi courent-ils en foule dans les maisons, où les maîtres les traitent sans lésinerie. La maison est donc pleine de monde et de provisions. Les pressoirs sont constamment ouverts. Il semble que tout soit animé par ce mouvement d’ouvriers tonneliers, de charrettes chargées de filles rieuses, de gens qui, touchant des salaires meilleurs que pendant le reste de l’année, chantent à tous propos. D’ailleurs, autre cause de plaisir, les rangs sont confondus : femmes, enfants, maîtres et gens, tout le monde participe à la dive cueillette. Ces diverses circonstances peuvent expliquer l’hilarité transmise d’âge en âge, qui se développe en ces derniers beaux jours de l’année et dont le souvenir inspira jadis à Rabelais la forme bachique de son grand ouvrage. Jamais les enfants, Jacques et Madeleine, toujours malades, n’avaient été en vendange ; j’étais comme eux, ils eurent je ne sais quelle joie enfantine de voir leurs émotions partagées ; leur mère avait promis de nous y accompagner. Nous étions allés à Villaines, où se fabriquent les paniers du pays, nous en commander de fort jolis ; il était question de vendanger à nous quatre quelques chaînées réservées à nos ciseaux ; mais il était convenu qu’on ne mangerait pas trop de raisin. Manger dans les vignes le gros co de Touraine paraissait chose si délicieuse, que l’on dédaignait les plus beaux raisins sur la table. Jacques me fit jurer de n’aller voir vendanger nulle part, et de me réserver pour le clos de Clochegourde. Jamais ces deux petits êtres, habituellement souffrants et pâles, ne furent plus frais, ni plus roses, ni aussi agissants et remuants que durant cette matinée. Ils babillaient pour babiller, allaient, trottaient, revenaient sans raison apparente ; mais, comme les autres enfants, ils semblaient avoir trop de vie à secouer ; M. et Mme de Mortsauf ne les avaient jamais vus ainsi. Je redevins enfant avec eux, plus enfant qu’eux peut-être, car j’espérais aussi ma récolte. Nous allâmes par le plus beau temps vers les vignes, et nous y restâmes une demi-journée. Comme nous nous disputions à qui trouverait les plus belles grappes, à qui remplirait plus vite son panier ! C’était des allées et venues des ceps à la mère, il ne se cueillait pas une grappe qu’on ne la lui montrât. Elle se mit à rire du bon rire plein de sa jeunesse, quand arrivant après sa fille, avec mon panier, je lui dis comme Madeleine : « Et les miens, maman ? » Elle me répondit : « Cher enfant, ne t’échauffe pas trop ! » Puis me passant la main tour à tour sur le cou et dans les cheveux, elle me donna un petit coup sur la joue en ajoutant : « Tu es en nage ! » Ce fut la seule fois que j’entendis cette caresse de la voix, le tu des amants. Je regardai les jolies haies couvertes de fruits rouges, de sinelles et de mûrons ; j’écoutai les cris des enfants, je contemplai la troupe des vendangeuses, la charrette pleine de tonneaux et les hommes chargés de hottes !... Ah ! Je gravai tout dans ma mémoire, tout jusqu’au jeune amandier sous lequel elle se tenait, fraîche, colorée, rieuse, sous son ombrelle dépliée. Puis je me mis à cueillir des grappes, à remplir mon panier, à l’aller vider dans le tonneau de vendange.
Ann Mah
(La Mémoire des vignes)
Une brume flottait sur les vignes, de fines gouttelettes en suspension qui estompaient les villages au loin et accentuaient la couleur des feuilles qui se détachaient sur le gris du ciel. C’était le troisième matin des vendanges ; mes manches étaient trempées de rosée, mes mains, froides et grasses, mon dos était douloureux chaque fois que je me penchais ou me baissais. Et pourtant, malgré les inconforts physiques, la beauté du lieu m’enchantait encore – l’air, soyeux et pur, les claquements des sécateurs et le gravier qui crissait sous les talons, les vignes rangées en ordre sur les pentes douces. À cette heure, avant que le soleil soit éclatant et ardent, le paysage offrait une palette de couleurs sublime, les grappes de pinot noir, de gros amas d’un violet soyeux, le chardonnay d’un vert céladon, les grandes feuilles d’un émeraude chatoyant, la précieuse terre dessinant de larges trainées d’un brun roux. « Salut, tout le monde ! Ça va ? » Nico se tenait à côté de la cabotte, la cabane rustique en pierre. « J’ai apporté le casse-croûte, poursuivit-il en français, en brandissant un panier en osier. Finissons cette parcelle et nous mangerons avant de charger. D’accord ? » Quelques-uns approuvèrent et nous nous penchâmes à nouveau ; les autres, plus expérimentés, avançaient à vitesse soutenue et constante dans les vignes, tandis que, bien plus lente, je prenais du retard. Je finis enfin ma rangée et trainai mon seau jusqu’à la brouette. Les autres vendangeurs se mirent à charger des caisses de raisin à l’arrière du pick-up tandis que Nico, placé à coté, notaient tous les chargements qui passaient. Dans le panier à pique-nique, je pris le dernier sandwich, un bon morceau de baguette contenant une épaisse tranche de pâté de campagne et une rangée de cornichons ; je m’assis sur une caisse retournée et commençai à manger.
Vendanges
Les choses qui chantent dans la tête Alors que la mémoire est absente, Écoutez ! c'est notre sang qui chante... Ô musique lointaine et discrète !
Écoutez ! c'est notre sang qui pleure Alors que notre âme s'est enfuie, D'une voix jusqu'alors inouïe Et qui va se taire tout à l'heure.
Frère du sang de la vigne rose, Frère du vin de la veine noire, Ô vin, ô sang, c'est l'apothéose !
Chantez, pleurez ! Chassez la mémoire Et chassez l'âme, et jusqu'aux ténèbres Magnétisez nos pauvres vertèbres.
(P. Verlaine, 1844 - 1896, Jadis et naguère)
Les Quatrains
Rien ne m'intéresse plus. Lève-toi, pour me verser du vin ! Ce soir, ta bouche est la plus belle rose de l'univers...
Du vin ! Qu'il soit vermeil comme tes joues, et que mes remords soient aussi légers que tes boucles !
Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre, sans compagnons, sans amis, sans femme. Garde-toi bien de confier à personne ce secret. Un coquelicot fané ne refleurit jamais.
- Traduit du persan par E’TESSAM ZADEH -
Tant que j’ai ma raison, ma joie est incomplète ; Et dès que je m’enivre, hélas ! je perds la tête. Il existe un état entre ivresse et raison, Et c’est là qu’est la vie ; oh ! que je le souhaite !
Qu’il est doux ce vin rose et qu’il est bon d’entendre La harpe aux sons du luth mêler sa voix si tendre ! Le dévot qui jamais n’a pris la coupe en main, C’est lorsqu’il est très loin que je puis le comprendre.
Prends garde ! Tu vas être éloigné de ton âme, Car derrière un rideau céleste on te réclame ; Bois du vin : tu ne sais de quel endroit tu viens. Le mystère est au bout. Vis sans souci du blâme
Du poison de l’ennui l’antidote est le vin. Prends l’antidote, et puis, moque-toi du venin. Bois donc, assis sur l’herbe, avec des jeunes filles, Avant que sur ta tombe on ait fait un jardin.
A boire du bon vin sois donc habitué. Il réconfortera ton corps exténué. Quand tu verras venir un déluge de peines, Prends des outres de vin comme Arche de Noé.
(Omar Knayyam, 11ème siècle, Les 144 Quatrains)
L’âme du vin
Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles : « Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité, Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de lumière et de fraternité !
Je sais combien il faut, sur la colline en flamme, De peine, de sueur et de soleil cuisant Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ; Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,
Car j’éprouve une joie immense quand je tombe Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux, Et sa chaude poitrine est une douce tombe Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.
Entends-tu retentir les refrains des dimanches Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ? Les coudes sur la table et retroussant tes manches, Tu me glorifieras et tu seras content ;
J’allumerai les yeux de ta femme ravie ; A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs Et serai pour ce frêle athlète de la vie L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.
En toi je tomberai, végétale ambroisie, Grain précieux jeté par l’éternel Semeur, Pour que de notre amour naisse la poésie Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »
(Baudelaire, 1821 – 1867, Les Fleurs du Mal)
Trois jours de vendanges
Je l’ai rencontrée un jour de vendange, La jupe troussée et le pied mignon ; Point de guimpe jaune et point de chignon : L’air d’une bacchante et les yeux d’un ange.
Suspendue au bras d’un doux compagnon, Je l’ai rencontrée aux champs d’Avignon, Un jour de vendange.
* * *
Je l’ai rencontrée un jour de vendange. La plaine était morne et le ciel brûlant ; Elle marchait seule et d’un pas tremblant, Son regard brillait d’une flamme étrange.
Je frisonne encore en me rappelant Comme je te vis, cher fantôme blanc, Un jour de vendange.
* * *
Je l’ai rencontrée un jour de vendange, Et j’en rêve encore presque tous les jours. Le cercueil était couvert en velours, Le drap noir avait une double frange.
Les sœurs d’Avignon pleuraient tout autour… La vigne avait trop de raisins ; l’amour A fait la vendange.
(Alphonse DAUDET, 1840 - 1897, Les Amoureuses)
L'Ivrogne et sa Femme
Chacun a son défaut, où toujours il revient : Honte ni peur n'y remédie. Sur ce propos, d'un conte il me souvient : Je ne dis rien que je n'appuie De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus Altérait sa santé, son esprit, et sa bourse : Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course Qu'ils sont au bout de leurs écus. Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille, Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille, Sa femme l'enferma dans un certain tombeau. Là les vapeurs du vin nouveau Cuvèrent à loisir. A son réveil il trouve L'attirail de la mort à l'entour de son corps, Un luminaire, un drap des morts. " Oh ! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve ? " Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton, Masquée, et de sa voix contrefaisant le ton, Vient au prétendu mort, approche de sa bière, Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer. L'époux alors ne doute en aucune manière Qu'il ne soit citoyen d'enfer. " Quelle personne es-tu ? dit-il à ce fantôme. - La cellerière du royaume De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger A ceux qu'enclôt la tombe noire. " Le mari repart, sans songer : " Tu ne leur portes point à boire ? "
(Jean de La Fontaine, 1621 - 1695)
Trinquons
Trinquer est un plaisir fort sage Qu’aujourd’hui l’on traite d’abus. Quand du mépris d’un tel usage Les gens du monde sont imbus, De le suivre, amis, faisons gloire, Riant de qui peut s’en moquer ; Et pour choquer, Nous provoquer, Le verre en main, en rond nous attaquer, D’abord nous trinquerons pour boire, Et puis nous boirons pour trinquer.
À table, croyez que nos pères N’enviaient point le sort des rois, Et qu’au fragile éclat des verres Ils le comparaient quelquefois. À voix pleine ils chantaient Grégoire, Docteur que l’on peut expliquer ; Et pour choquer, Se provoquer, Le verre en main, tous en rond s’attaquer, Nos bons aïeux trinquaient pour boire, Et puis ils buvaient pour trinquer.
L’Amour alors près de nos mères, Faisant chorus, battant des mains, Rapprochait les cœurs et les verres, Enivrait avec tous les vins. Aussi n’a-t-on pas la mémoire Qu’une belle ait voulu manquer, Pour bien choquer, À provoquer, Le verre en main, chacun à l’attaquer : D’abord elle trinquait pour boire, Puis elle buvait pour trinquer.
Qu’on boive aux maîtres de la terre, Qui n’en boivent pas plus gaîment ; Je veux, libre par caractère, Boire à mes amis seulement. Malheur à ceux dont l’humeur noire S’obstine à ne point remarquer Que pour choquer, Se provoquer, Le verre en main, tous en rond s’attaquer, L’amitié, qui trinque pour boire, Boit bien plus encor pour trinquer !
(Pierre Jean de Béranger, chansonnier, 1780 - 1857)
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Il faut que je m’en aille (Graeme Allwright-1967)
Mes Souliers Sont Rouges (Le cycle du vin)
Tchin tchin (Richard Anthony-1963 )
Santé (Stromae)
How to sing Ein Prosit (Wurstfest)
Viens boire un petit coup à la maison (Licence IV)
Boire un canon c'est sauver un vigneron (Wazoo)
Et je bois (Yves Jamait)
Renaissancissimo !
Quand je bois du vin clairet (Tourdion by NVA)
Brindisi - "Libiamo" (Verdi-La Traviata)
"Vin ou bière" (Faust - Gounod - Kermesse)
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Tapisserie des vendanges, vers 1500
(Musée de Cluny)
La vigne rouge (Van Gogh)
Gueule de bois
ou Portrait de Suzanne Valadon (Toulouse Lautrec)
Monument de mère Géorgie, Tbilissi (Le plus ancien pays viticole au monde)
Hipp hipp Hurra (Peder Severin Kreder)
Rembrandt et Saskia (Picasso)
Sarcophage romain (Extase dionysiaque IIIe siècle de Pergé)
Grappes en vigne (Détails de pierre, Egypte 1350 av. JC)
Vigne (Art Nouveau-Louis Confort Tiffany)
Les vendangeuses (Pierre Auguste Renoir)
Octobre (Ouillage, Cathédrale de Chartres)
Boire et écrire de la poésie Rouleau ; encre sur soie (Yao Shou-Dynastie Ming, 1485)
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Après lecture de tout ou partie de cette rubrique, en levant notre verre pour le boire jusqu’à la dernier gorgée, attardons-nous encore un instant sur deux affiches à caractère disons…. plus régional !
Et osons un ultime clin d’œil sur deux dernières feuilles de la vigne, avant les vendanges tardives.
Les derniers mots reviendront à Napoléon Bonaparte qui disait :