Airy de Verdun
L’inconnu de ce jour est un homme d’Église né à l’époque mérovingienne, c’est dire si les sources historiques qui parlent de lui sont sujettes à caution ! Je devrais donc vous livrer cette biographie avec circonspection et en conjuguant tous mes verbes au conditionnel. Entendez-le donc ainsi si vous êtes sceptique, ou laissez-vous porter par cette aventure, après tout, cela ne fait de mal à personne !
Notre héros naît vers 521 à Harville. Je dis « vers », car à cette époque, point d’état civil et point de registre de baptême dans les églises, en tout cas, pas pour les paysans. Car cet enfant de simples paysans aura plus tard l’honneur de partager la table de plusieurs rois. Le genre de destin qui n’arrive pas à tout le monde, admettez-le !
La mère de notre inconnu est en train d’accoucher au beau milieu du champ de blé où elle travaillait à la moisson lorsque passe un groupe de chasseurs dont fait partie le roi Thierry 1er, fils aîné de Clovis. Celui-ci décide alors de devenir le parrain du nouveau-né. Le nom exact qu’on donne à cet enfant est assez flou. Sans doute Agericus, ce qui signifie « né dans un champ ». Ce prénom, sans doute un peu compliqué à prononcer pour des gens qui ne connaissent pas le latin, évolue rapidement en Aguy, puis Airy.
Grâce à ce parrain inattendu, Airy va bénéficier de privilèges dont aucun petit paysan ne peut rêver à cette époque. Le roi Thierry veille en effet à ce qu’il reçoive une éducation soignée (donc religieuse). Airy est ordonné prêtre à trente ans et il va prendre ses fonctions auprès de Saint Désiré, évêque de Verdun, auquel il est destiné à succéder. Quatre ans plus tard, Airy monte sur le trône épiscopal. Son existence ne passe pas inaperçue, car Grégoire de Tours, l’historien des rois francs, le mentionne à plusieurs reprises dans ses chroniques. Il est même considéré comme un homme influent à la Cour du roi Sigebert 1er, fils de Clotaire, un autre fils de Clovis.
Airy est généralement décrit comme œuvrant à soulager les malheurs des plus pauvres et à leur donner de l’instruction. C’est tout à fait probable étant donné son propre parcours. On lui attribue aussi la construction de la première maison-Dieu, c'est-à-dire du premier hôpital de Verdun, bien que les documents officiels mentionnant cet établissement datent de 1093. Mais après tout, il pouvait exister avant qu’on en parle et les documents antérieurs ont pu se perdre… disons donc ce pourrait être plausible. Ce qui l’est beaucoup moins, ce sont les anecdotes qui suivent, mais c’est tellement savoureux que je n’y résiste pas.
Tout d’abord, apercevant un condamné à mort, il lui accorde sa grâce et les liens du condamné tombent miraculeusement au sol sans que personne n’y touche. Plus tard, un songe divin lui indique l’endroit où sont inhumés St Maur, St Salvin et St Arateur, trois précédents évêques de Verdun dont les sépultures ont été perdues. Ils sont alors exhumés en grande pompe et leurs restes placés dans des châsses.
Cerise sur le gâteau : le tonneau ! Recevant le futur roi Childebert II (fils de Sigebert) à Verdun, il fait servir un banquet, mais le vin manque. Alors il bénit le dernier tonneau qui va fournir pendant toute la soirée un vin de qualité sans jamais se vider. Plus fort que les Noces de Canna ! D’ailleurs, si vous avez la chance de voir un jour une représentation de St Airy, cherchez bien ! Il y a toujours un tonneau caché dans un coin de la sculpture, de la mosaïque ou du vitrail !
Loin d’être impressionné par ce miracle, Childebert II se montrera moins réceptif que son père aux avis d’Airy, lorsqu’il lui succédera en 581, et les deux hommes vont souvent s’affronter, notamment au sujet du droit d’asile qui permet aux hommes pourchassés de se placer hors de portée de la justice royale en se réfugiant dans une enceinte consacrée.
En 588, Airy meurt et il est enterré dans une chapelle qui porte son nom. En 1037, on déplace son corps pour l’inhumer dans la cathédrale de Verdun et on construit sur l’emplacement de son ancien tombeau l’abbaye bénédictine Saint Airy qui sera saccagée puis détruite à la révolution. Ne restent alors de lui qu’une cuiller et des couteaux lui ayant appartenu et qui sont pieusement conservés à la cathédrale, mais eux aussi disparaissent au siècle dernier.
Donc, me direz-vous, il ne reste plus rien ? Que nenni ! Beaucoup d’endroits du Verdunois perpétuent sa mémoire : une église aux Souhesmes, une rue à Belray, et, à Verdun même, un canal et un quai portent encore son nom !
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