Fribourg12 jeux de mots 112024

par FRIBOURG
(
Joëlle FRIgnet et Daniel DuBOURG)

 

Lettre d'invitation et retour

Monsieur Bernard Lermite
52 rue des coquecigrues
Poule-Dreuzique
à             Madame Marie-Germaine Enbato
            70, rue des coquecigrues
            Poule-Dreuzique

                                                                              Poule, le 9 juin courant

 

Chère Madame Enbato,
Chère Marie-Germaine,

       Je vous ai si souvent vue passer devant mes fenêtres, ces dernières années, si souvent ne jamais songer à vous arrêter, gravir les marches du perron pour venir sonner à ma porte et me donner de vos nouvelles et bavarder autour d’une tisane ou d’un déca, qu’il m’est venu à l’idée de vous inviter très officiellement, pour votre centième anniversaire (dont je note la date depuis fort longtemps, pour le coup !), à partager un repas en ma compagnie, ce que vous accepterez, j’espère, de bonne grâce. J’ai hâte de vous revoir, depuis le temps que nous ne nous sommes pas vus de visu.
       Rassurez-vous, vu nos âges, nous ne mangerons rien qui puisse nous causer du tort et mettre notre santé en péril. Rien que du doux et du digeste ; pas d’excès !

     Je cuisinerai du foie ou des rognons ou des tripes, des abats, quoi ! car vous m’avez, autrefois, dit manger de bon cœur, ce genre de plat. À ce propos, j’ai quelques succès vinyle, dont Waterloo, que je me ferai un plaisir de passer sur ma chaîne Hi-fi, si vous en avez envie. 

     J’ai tenté modestement de m‘inspirer d’heureux chefs pour la réalisation des mets, avec toutes les difficultés que supposent ces diverses préparations, et la délicatesse, la précision dont il faut faire preuve. Je vous proposerai des plats faciles à mâcher, étant donné l’état présupposé des tabourets de nos salles à manger respectives accueillant, au moins pour ce qui me concerne, un équipement intégralement décrochable.

      Mon pâtissier-traiteur m’avait proposé des pets de nonne ou des religieuses, mais il me préparera finalement une forêt noire de taille et d’estoc, sans crème, afin qu’elle ne soit pas indigeste. Tout bien réfléchi, je placerai dessus une grosse bougie pour le siècle accompli. Ainsi, vous n’aurez qu’une bougie à souffler !

      Je voulais vous mijoter une palette à la diable. Mais j’y ai renoncé, car je ne souhaite pas alourdir le repas, en vous proposant une carte à rallonges, vu nos âges. Nous pourrions, en effet, avoir quelques troubles digestifs, tout au long de l’après-midi, voire en soirée et nuitamment.

       Nous prendrons un très modeste apéritif sans alcool, accompagné d’un jésus de derrière les fagots et de petits gâteaux salés, un peu ramollis, qu’il me reste.

       L’après-midi, sauf si vous voulez faire une petite sieste, nous pourrons regarder ensemble un film de cape et d’épée, de loin en loin, la journée s’écoulera et, de fil en aiguille, nous pourrons aussi évoquer des souvenirs, de bouche à oreille. Ça économisera mes prothèses auditives.

       J’imagine que vous serez vêtue de pied en cape et que vous aurez à cœur de mettre l’une de vos tenues préférées.

       Vous reconnaîtrez bien ma maison, de brique et de broc, que vous trouverez en léger désordre, car la dame qui vient pour le ménage court, en ce moment, de ville en ville.  

       Mon téléphone fixe, comme mes idées, est très souvent en panne. Et puis, je ne supporte plus mon portable que je n’entends plus que de loin en loin, et c’est pour cela que je vous envoie ce courrier que j’aurais pu vous passer de la main à la main. J’espère que l’enveloppe est assez timbrée et affranchie, comme moi, pour vous parvenir. Au cas où vous ne recevriez pas cette lettre, dites-le-moi, de vive voix.

       Ma table sera garnie d’un bouquet de roses blanches que je vous offrirai de bon cœur, au moment de votre départ.

       Vous aurez remarqué que je pratique encore pas mal le jeu de mots. C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’en empêcher. J’espère que cela ne vous dérange pas.

       Chère Marie-Germaine, je vous attends donc de pied ferme et de main molle, ce dimanche, vers midi.
       En attendant, je vous salue bien.

Bernard Lermite

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Madame Marie-Germaine Enbato
70, rue des coquecigrues
Poule-Dreuzique
à                         M. Bernard Lermite
                        52 rue des coquecigrues
                        Poule-Dreuzique


                                                                                      Poule, le 10 juin courant

Cher Monsieur Lermite
Cher Bernard,

      C’est avec un plaisir certain que je découvre votre missive ! Depuis le       temps que je réside dans le quartier, je pensais faire partie des meubles et n’être plus qu’une ombre. C’est tout à votre honneur de me consacrer un peu de votre temps ! Vous voudrez bien excuser mon écriture tremblotante.
      Je me réjouis d’avoir encore bon pied, bon œil. C’est donc mon déambulateur qui me mènera jusqu’à votre demeure. Je ne me sens pas susceptible de faire fausse route ni rester en carafe.

      Pour l’occasion, je me mettrai sur mon 31 et, bien que je sois certaine de flotter dedans, je ressortirai mon tailleur pied de poule des années 50. Je demanderai également à mon auxiliaire de vie de me mettre des bigoudis samedi soir et de nous remonter de la cave un apéritif-maison et aussi de nous procurer des têtes de nègre pour le goûter.

     Vous avez l’intention de mettre les petits plats dans les grands ! Le choix du menu montre une personne avisée, soucieuse de mon capital-osseux. (Je pense, vu que vous non plus n’êtes plus très jeune, que vous êtes au fait que les abats sont riches en vitamine D qui permet de fixer le calcium.) Quoi qu’il en soit, je ne suis pas du genre à cracher dans la soupe et suis sûre de me régaler !

      Waterloo ! Certes, il y a des ravages ! Mais pour vivre ce siècle, j’ai dû traverser bien des obstacles. Entre autres, la disparition de mon pauvre Marcel adoré, emporté par le chagrin de la disparition de notre fils unique. « The winners takes it all » cette chanson du groupe ABBA me renvoie toujours à l’inéluctabilité de l’événement….

    La vieillesse, n’est plus forcément le constat d’une défaite comme le grand Jacques l’a si bien chantée ! (Pour vous montrer que je ne suis pas restée imperméable aux nouvelles technologies, je vous invite à suivre ce lien) :

https://www.dailymotion.com/video/x7v68cn

     C’est plutôt une victoire sur le temps. Nous avons néanmoins mangé notre pain blanc et ne sommes plus que de vieilles croûtes !
    
100 ans ! Un siècle ! J’ai survécu à la guerre et la maladie : grippe, Covid, Alzheimer et j’en passe. On ne peut vraiment pas dire que je suis née de la dernière pluie ! J’ai la peau dure, je suis une dure à cuire !
    
  Et pour vous montrer que je reste vigilante et ne déraisonne pas, permettez-moi de m’interroger : comment faire pour signaler la non-réception d’un courrier dont on ne connait pas l’existence ? Envisagiez-vous de me donner un coup de fil ? Vous pouvez constater que j’ai encore les idées claires et qu’il n’est pas facile de me mener en bateau. J’ai toujours la tête sur les épaules !
    
  Je ronge mon frein et l’eau me vient à la bouche à l’idée de faire bonne chère. Les paniers repas de l’EHPAD sont d’une telle platitude ! Entre la poire et le fromage, nous pourrions peut-être pousser la chansonnette ? En souvenir du temps où nous faisions tous deux partie de la chorale municipale…
       Bon, il est temps pour moi de cesser mon bavardage, nous avons encore tant de choses à nous dire… Faisons-le de vive voix! J’ai hâte d’être à dimanche ! Encore merci de cette idée de génie et à bientôt !

       Et surtout, portez-vous bien !

Marie-Germaine Enbato

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