Pourquoi t'écris toujours pour les enfants ?
Je suis interviewée par des enfants d’une dizaine d’années. Ou bien est-ce moi qui me parle à moi-même ? Chers lecteurs du Porte-Plume, je vous laisse juges….
– Pourquoi « t’écris » toujours pour les enfants ?
– J’ai passé tant d’années avec vous, des décennies ! C’était super !
– Dis, n’exagère pas quand même ! Pas de langue de bois, s’il te plaît !
– Bon c’est vrai que certains soirs, je suis rentrée chez moi sur les rotules, les nerfs en pelote ! C’est vrai que certaines fins de trimestre, avec la surcharge de travail due aux évaluations (précision pour les non-enseignants !) je me demandais si Robinson Crusoé était vraiment malheureux sur son île déserte… Mais, sincèrement, je te dirai que 95% du temps, je me sentais heureuse parmi vous ! J’avais même une vision assez étrange : par moments, il me semblait qu’une légère couche de poudre de bonheur s’échappait du plafond de ma classe et recouvrait vos tables !
– Oh, oh, reviens sur terre et soyons cartésiens ! N’est-ce pas étrange de commencer une activité d’auteur pour enfants en publiant un fichier de mathématiques chez Armand Colin ? Jamais entendu parler d’un parcours pareil !
– C’est à cause d’une réforme !
– Quoi ?
– Je vous explique ! Voilà que dans les années 1990…
– Nous n’étions pas nés !
– Je sais, mais la terre tournait quand même ! Laissez-moi finir ! Je reprends. Voilà que dans les années 1990, on se mit à parler de cycles pour les classes primaires. Vous connaissez les cycles ?
– Bien sûr ! Nous sommes en CM, donc en cycle 3 !
– Avec ces cycles, était introduite l’idée de progressions individuelles : tout le monde vers le même objectif, mais chacun à son rythme ! Cela correspondait exactement à la pédagogie que je pratiquais dans ma classe. J’ai donc envoyé une lettre à la maison d’Édition Armand Colin, à Paris, pour lui en faire part. Elle fut intéressée et… en avant pour l’aventure ! (Oui, oui, vous avez bien entendu : j’ai envoyé une lettre et non un mail, car à cette époque Internet n’existait pas !)
– Pas possible !
– Si ! Je continue. Merci. Et puis, j’adorais enseigner les maths. Pendant les exercices, j’imaginais vos cerveaux en train de faire de la gymnastique sous votre boîte crânienne !
– Ah bon !
– Je vous fais de petits croquis !
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Échauffement des méninges |
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Saut de l'obstacle |
Réussite... |
... ou échec ! |
– Pas banal, il est vrai. Mais pourquoi as-tu ensuite écrit des livres de littérature ?
– J’aime bien rêver !
– « C’est qui tes héros ? »
– Vous ! Dans mes livres, je vous fais parler. Mais comme dans ma carrière, j’ai dû avoir environ 800 élèves, difficile de citer tous les prénoms ! Alors, j’ai imaginé « un Gabriel » en maternelles, « un Paul-Arthur » en CE, « un Mathieu », «une Domi » en CM et « un Alex » qui va jusqu’en 5e. Ce sont vos porte-parole en quelque sorte !
– De bons porte-parole ?
– C’est à vous de me le dire ! Mais dans mes textes, j’ai retranscrit vos questions, vos réflexions amusées ou caustiques, entendues sur le monde actuel. Et surtout… j’ai voulu que transpercent votre formidable joie de vivre et votre dynamisme : que de réactivité, d’enthousiasme, de doigts levés à la moindre question tout au long d’une journée de classe ! Donc hors de question qu’en lisant mes livres, vous soyez inertes comme des légumes ! Je vous donne la possibilité de donner votre avis, de dessiner, bref d’interagir avec mes héros !
– C’était bien pratique pour toi d’écrire des livres comme ça, car tu étais toujours avec nous !
– Oui. Mais c’est dur, dur, quand même ! Un vrai casse-tête : en CE2, vous connaissez tels mots, en CM2, vous pouvez en comprendre d’autres et il ne faut pas se tromper ! J’ai testé mes livres pendant 8 ans dans 8 différentes classes !
– Pendant 8 ans !
– Oui, mais là, je crois que c’est personnel. J’écris lentement. J’ai l’idée puis je la rectifie et je corrige encore et encore… Je ne me donne aucune date butoir. C’est terminé quand les textes me conviennent.
– Et ton dernier ouvrage : c’est un peu différent !
– Oui, je décris l’univers dans lequel vivaient vos grands-parents, dans les années 1950-1965.
– Comment t’est venue l’idée ?
– Un jour, en classe, j’ai dit machinalement que lorsque j’avais votre âge, les téléphones portables n’existaient pas. J’ai lu immédiatement la stupeur sur vos visages, comme si je vous avais confié avoir côtoyé les dinosaures ! Alors, je me suis dit qu’il serait certainement intéressant pour vous de découvrir les changements intervenus dans les moyens de communication, l’équipement de la maison, la place des animaux… Mais ce n’est pas tout ! À vous de décider ensuite, si être un enfant, c’est mieux maintenant ou c’était mieux autrefois ! À vous de poursuivre l’enquête auprès d’autres personnes !
– Nous ne voyons pas comment...
– Mystère et boule de gomme ! Vous n’avez qu’à feuilleter le livre et vous comprendrez vite !
– Bon, bon d’accord ! Autre question. N’écris-tu que pour les enfants par peur du monde des adultes ?
– Je vous demande pardon ?
– Tu as bien compris !
– Ce n’est pas possible d’aller toujours chercher midi à quatorze heures, comme ça ! J’écris pour les enfants, j’aime beaucoup : un point c’est tout. Dites…
– Quoi ?
– Regardez votre montre !
– Quatre heures ! Super : l’heure du goûter !
– Donc un rendez-vous à ne pas manquer !
– Donc un rendez-vous à ne pas manquer !
On vous quitte amis du Porte-Plume ou je vous quitte amis du Porte-Plume. M’a-t-on interrogée ou s’est-il agi d’un monologue ? Je vous laisse juges…
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