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Croqué par le caricaturiste SEM,
Maurice Bertrand se déchaine librement,
lors d’une soirée parisienne. |
Un autre dessin de SEM : Maurice Bertrand expulsé du Maxim’s |
Grand animateur des folles soirées parisiennes des années 1900, Maurice Bertrand fut un incroyable promoteur du champagne. Et son plus grand consommateur…
Un gentleman en détresse
L’anecdote remonte aux années 1900, un soir, à Paris… En costume de gala et haut de forme, un gentleman rondouillard et moustachu s’appuyait tant bien que mal à un réverbère de l’avenue de l’Opéra. Il ne pouvait plus bouger, trop grisé par sa soirée. Un passant s’inquiéta de le voir ainsi et voulut le secourir :
- Monsieur, tout va bien ?
- On ne peut mieux, mon ami. J’attends…
- Mais… Qu’attendez-vous donc ?
- Je regarde passer les maisons. Et lorsque je verrai passer la mienne, j’y entrerai.
L’ami Maurice
Ce gentleman qui s’accrochait à son lampadaire, c’était Maurice Bertrand. Tellement amoureux du champagne qu’il en buvait toute la journée. Ivre de bonheur, dès 10 heures du matin... Pourtant ce Normand, fils de notaire, n’était pas n’importe qui. Esprit brillant à la mémoire prodigieuse (il connaissait par cœur tous les contes de Voltaire), Maurice était connu, apprécié et recherché dans les plus hautes sphères.
Un de ses meilleurs amis était Alphonse Allais. C’est Alphonse qui avait affublé Maurice du surnom de « champagnographe ». Allais mourut en 1905 et Maurice - qui partageait décidément tout avec ses amis - épousa sa veuve Marguerite l’année suivante. A son mariage, on retrouvait notamment Georges-Victor Hugo (fils de Victor) et Alfred Capus (directeur du Figaro).
Malgré ses frasques et ses impertinences, tout le monde l’aimait. Il était le représentant à Paris du champagne de Saint Marceaux puis d’Heidsieck & C° Monopole. Avec lui, il n’était pas question de communiquer de manière solennelle ou prétentieuse sur le champagne. Le champagne était vu comme le compagnon indispensable du rire et de la fête et c’est uniquement sur ce thème qu’il l’introduisait dans les milieux parisiens.
Ivre de son propre rire
Sur Maurice, les anecdotes et les histoires sont nombreuses. Des histoires drôles, bien sûr...
Inamovible client du Maxim’s (y’avait-il meilleur endroit pour s’amuser et faire connaître ses vins ?), il baptisait les nouveaux arrivants en leur versant du champagne sur la tête, prétendant être l’archevêque de la religion des bienheureux Tzous-Tzous.
- Ne m’en veuillez pas, ajoutait-il. Je suis à jeun, je ne suis pas dans mon état normal !
Une autre fois, à la tête d’une procession funéraire, il arriva au Maxim’s en corbillard. Quatre croque-morts descendirent du véhicule et en sortirent un cercueil qu’ils conduisirent à l’intérieur du restaurant. Un Maurice Bertrand en larmes expliqua aux personnes attablées :
- Eh oui, mon cher vieil ami est là, entre quatre planches… Je vous propose de le saluer une dernière fois.
Il ouvrit le cercueil… Et que vit-on ? Un jéroboam de champagne ! Il le déboucha alors et invita les clients à le partager avec lui, à la santé d’Eugène Cornuché, le patron de Maxim’s !
Un autre moment piquant fut sa réaction en apprenant le décès de son ami chercheur Paul Ravaut qui s’était accidentellement grillé à mort en s’allumant une cigarette alors qu’il prenait un bain de térébenthine. « Sa dernière cuite, remarqua finement Maurice. »
Surprise, surprise !
Il est un fait qu’il aimait rire de tout et, par-dessus tout, qu’il aimait piéger ses amis, quitte à prendre quelques risques. Ainsi, il dissimulait parfois un pyrogène allumé sous son chapeau. Cela lui permettait de faire son petit effet lors du débouchage des bouteilles : quand les bouchons sautaient, c’était aussi son chapeau qu’il faisait exploser !
Dans le même registre, il provoqua quasiment une petite émeute en ville. Cette fois, il n’avait pas loué un corbillard, mais un omnibus qui circulait dans Paris. Déguisé en contrôleur, il avait piégé les passagers : « C’est la fête du directeur, disait-il… Les voyages sont gratuits et nous vous offrons une coupe de champagne. » Le périple dura trois heures. Et, puisque la règle était de ne servir qu’une coupe par voyage, Maurice encourageait les gens à refaire un nouveau trajet pour se resservir ! Mais certains passagers eurent l’alcool mauvais, ils devinrent agressifs dans leur désir de reprendre du champagne et c’est la police qui dut intervenir pour calmer les esprits.
Immortalisé par SEM
La popularité n’a rien d’éternel. Aujourd’hui, on aurait peut-être complètement oublié Maurice Bertrand s’il n’y avait eu le caricaturiste et affichiste Georges Goursat, dit SEM, grand illustrateur de son époque et parfois dessinateur publicitaire du champagne Heidseick, pour immortaliser les folies de Maurice.
Sem avait surnommé Maurice « le monsieur de chez Maxim’s ». Il le trouvait très représentatif des excès de son époque et en avait fait une de ses plus mémorables têtes de turc, croquant son camarade dans toutes sortes de situations : en buveur ivre, en farceur, en fêtard, en danseur, en conducteur de calèche, en passager de montgolfière… Il est facile de retrouver Maurice dans les lithographies de SEM. Celle où il est expulsé du Maxim’s, sous le regard satisfait des belles dames, fait partie des grands classiques.
Source : Cet article a été écrit avec l’aide de l’association SEM qui entretient la mémoire du célèbre caricaturiste (www.sem-caricaturiste.info). Merci à ses membres.
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La vie parisienne
Il faut replacer les comportements dans leur contexte. La vie parisienne en 1900 fut un grand mouvement d’optimisme, d’ouverture, de légèreté, de fête… Le Moulin Rouge, le Chat Noir, Maxim’s, l’Exposition Universelle, les tavernes, les théâtres, les fêtes foraines…. Qu’ils soient riches ou pauvres, les hommes – mais aussi les femmes, assoiffées d’émancipation - apprenaient à vivre autrement. Ils sortaient le soir pour voir ou être vus, ils mangeaient, buvaient et s’amusaient jusqu’au bout de la nuit et ils se réveillaient parfois, incrédules, sur une chaise de cabaret ou dans le lit d’une chambre d’hôtel, aux côtés d’une personne inconnue.
Forcément, dans cet univers en effervescence, le champagne ne pouvait tenir qu’un rôle majeur. Il coulait à flots. Surtout que, dans la capitale, le roi des vins pouvait compter sur un ambassadeur impayable : le sublimissime, l’invraisemblable, le délirant Maurice Bertrand…