La cigogne et les supporters
Une foule friande, impatiente, nerveuse ; des supporters qui vocifèrent, donnent de la voix et hurlent « qu’on va gagner » et vaincre l’adversaire. Beaucoup d’agitation, de la fureur et du mécontentement. Cette marée montante affluant vers les grilles, pressée de voir ses idoles éphémères. Une marée fatiguée par le voyage dans des autocars où les voix s’éclatent en scandant des slogans ébouriffant les esprits en guise d’échauffement gradué jusqu’aux gradins.
Ils ont payé cher, très cher parfois, un billet perforant le budget, mais on ne veut pas rater « ça ». Alors, ils en veulent forcément pour leur argent. Il y aura les resquilleurs, les profiteurs, ceux qui veulent investir à minima et ceux qui veulent profiter de l’aubaine pour se faire des ronds.
À l’arrivée dans le goulet qui drainera le flot échauffé et impétueux, ils attendent d’être déversés dans l’arène où s’ouvriront les jeux pour une poignée de minutes.
Forcément, l’impatience toujours attisée par l’excitation se mue peu à peu en piétinement, en nervosité extrême et incontrôlée, en colère. Ils sont venus pour en découdre par acteurs interposés. Les hommes de gradins ne sont pas les hommes de terrain, bien moins nombreux, mais porteurs, eux, de tous les espoirs de ceux qui vont les assister à coups de slogans, de bronca, de cornes et d’invectives quand tout ira mal, d’encouragements vocaux quand tout ira bien.
Alcool, attente, fatigue, promiscuités houleuses et voilà que les mailles d’un filet tendu lâchent. Débordements, violences incontrôlées, agressions en tous genres…
Les idoles du gazon placées sur un piédestal ont intérêt à grandement réjouir un public avide de victoire, qui ne partira qu’amplement satisfait pour une partie, déçu pour l’autre. Normal. Les vedettes sont pour la plupart payées très cher, selon la loi du système économique, afin de répondre à la satisfaction correspondant au niveau d’exigence des admirateurs.
Des énergies sont là, amassées, tendues vers un seul but.
Ailleurs, loin du théâtre au ballon rond, une cigogne déambule paisiblement entre les tables ombragées. Elle est venue se poser parmi les nombreux visiteurs assis calmement. Certains boivent, d’autres sortent une collation, d’autres encore regardent les photos engrangées dans leur appareil. Il y en a aussi qui, le nez au vent, semblent perdus dans leur rêverie matinale. Pendant que les oiseaux s’empressent de picorer des miettes tombées à terre, arrive clopin-clopant une file de canards accompagnés de deux oies blanches. Le silence est parfois piqué de cris et de rires d’enfants à la fois surpris et heureux d’avoir vu la loutre assoupie au fond de ses appartements ou les cormorans perchés au milieu d’une pièce d’eau.
Le lieu est calme, apaisant. Ce n’est pas un spectacle qu’attendent les visiteurs. Souvent poussant des chaises ou des voitures d’enfants, ils ont payé leur entrée. Sans surenchère et au prix acceptable, raisonnable qu’impose le fait de s’occuper de volatiles suivis et d’une espèce en voie de disparition. Cigognes, loutres, cormorans et autres sont à leur insu les vedettes d’un parterre surprenant aux comportements inattendus. Nul n’attend de prestation de la part d’êtres vivants qui n’attendent rien. On vient ici pour observer, découvrir, s’étonner et s’émerveiller. Pas de vainqueurs, pas de vaincus. Pas d’idoles ni de personnes payées à coups de milliers d’euros. Ça intéresse moins, forcément.
D’autres énergies sont rassemblées là, posées pour de bonnes raisons.
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