En se réveillant un matin dans son lit à côté de Phil, son cousin souvent en vacances chez lui, Hector réfléchit à ce qu’ils vont pouvoir faire dans la journée. Jouer aux billes ? Pas drôle ! Aux cow-boys et aux Indiens ? À deux, ce n’est pas rigolo ! Aux soldats ? Bah, ils n’ont même pas de mitraillettes ! Ah, c’est sûr, autrefois, au temps des chevaliers, ça devait être bien : un cheval, une armure, une lance, un bouclier… Mais ça, c’était au Moyen-Âge…
Soudain, Hector pense qu’il a trouvé une idée.
— Phil ? Phil ? Réveille-toi ! Réveille-toi !
Phil ouvre un œil et se demande où il est.
— Hein ? Quoi ?... Qu’est-ce qui se passe ?
— J’ai trouvé une super idée pour aujourd’hui. Je sais ce qu’on va faire…
Phil, encore endormi, soupire, ferme les yeux et se met la tête sous l’oreiller qu’Hector retire à deux mains et lance à l’autre bout de la chambre.
— Phil, nom d’une pipe, réveille-toi ! Je te dis que j’ai trouvé une idée géniale…
Phil se retourne, ouvre enfin les yeux qu’il frotte de ses deux poings, et demande :
— Tu aurais pu attendre que je me réveille pour me le dire… Bon, alors… On va faire quoi ?
Tout excité, Hector lance :
— On va construire un château fort !
— Quoi ? Mais tu es cinglé ! Tu sais ce que c’est un château fort ? Il faut monter des murs, il faut des pierres, du ciment… Et puis il faut faire des remparts, des tours, un pont-levis… Non, là, franchement, je crois qu’on n’aurait pas dû finir le vin qui restait dans les verres hier soir sur la table quand ton père et ta mère ont raccompagné Grand-père et Grand-mère à leur voiture. Ça t’est monté à la tête, mon pauvre Hector…
— Ne dis pas de bêtises ! Tu en as bu plus que moi. C’est pour ça que tu ne comprends rien et que tu n’arrives pas à te réveiller. Oui, on va construire un château fort, mais pas un vrai… Un faux… Avec des bottes de paille !
Soudain intéressé, Phil dresse une oreille.
— Avec des bottes de paille ?
— Eh oui ! Tu n’as pas remarqué, hier, dans le champ qu’on a traversé pour aller faire des arcs dans le bois ? Il y a plein de bottes de paille rectangulaires… Ça fait comme de grosses briques… Il suffit qu’on les rassemble et on pourra les empiler pour faire les murs de notre château fort.
— Ça va se casser la figure ! On n’est pas du métier… Et les remparts ? On fera comment ?
— J’ai observé comment faisaient les maçons pour construire les murs des maisons du nouveau lotissement. Il suffit de faire une première rangée de bottes de paille en carré et de décaler la seconde pour qu’elles se chevauchent. On continue comme ça les autres rangées et petit à petit, le mur se monte…
— Trop fort, Hector ! Et les remparts… comment on va faire ?
— Ah là, là ! Toi, tu ne n’aurais pas pu travailler au Moyen-Âge… Réfléchis deux secondes ! Quand on aura monté le mur et qu’il sera assez haut, on posera une botte, on laissera un espace vide, une autre botte, un espace, une botte et hop-là, le tour est joué !
— Et les tours, justement ?
— Oh, toi alors, tu ne comprends rien à la construction ! On verra. C’est ce qui se monte en dernier. Allez, on se lève, on s’habille, on déjeune et on y va !...
Un peu plus tard dans la matinée, Hector et Phil parviennent au fameux champ où sont alignées des bottes de paille tous les vingt mètres.
— Tu vois, je te l’avais dit… Il suffit de les rassembler au même endroit et à nous le château fort…
À cette époque, les grosses balles de paille rondes n’existaient pas encore. La paille était rassemblée en bottes qui pesaient alors entre sept et vingt kilos.
Hector et Phil commencent à porter chacun les bottes une à une, lorsqu’elles ne sont pas trop lourdes, et à deux quand elles le sont.
Au bout d’une heure, ils en ont rassemblé une bonne quarantaine et commencent à être fatigués. Assis sur l’une d’elles, ils se reposent cinq minutes en suçant des bonbons qu’Hector a pensé à emporter avec lui pour leur donner des forces.
— Allez, maintenant, on peut commencer le mur…
Et voilà nos deux maçons du Moyen-Âge qui forment un premier carré avec les bottes de paille en les alignant les unes à côté des autres.
— Si on en met cinq par côté, le mur va se monter vite…
— On pourra juste faire deux rangées avec ce qu’on a ramassé…
— Bah, on ira en rechercher… Ça ne manque pas…
Deux heures plus tard, ils sont obligés de reconnaître qu’il en faudrait beaucoup plus pour construire le château fort en entier.
Malgré tout, ils ont pu monter deux murs sur cinq rangées de hauteur grâce à des bottes collées les unes aux autres en forme d’escalier.
— Elle est géniale ton idée de l’escalier, dit Hector à Phil. Maintenant on va pouvoir construire le rempart…
Comme il le lui avait expliqué le matin, les créneaux du rempart commencent à se dessiner en ménageant des espaces vides entre les bottes au-dessus de la cinquième rangée.
Alors que fiers d’eux ils prennent du regard possession de leur vaste territoire, par les créneaux, au loin, ils voient approcher LE dragon… Il approche à toute vitesse… Il grossit de plus en plus… Et il rugit… Et il grogne…
— C’EST QUOI ? demande Phil effrayé.
— PUNAISE ! C’EST LE PAYSAN DANS SA VOITURE, répond Hector aussi effrayé que son cousin, IL FONCE SUR NOUS ! ON S’BARRE…
Et voilà les deux chevaliers qui prennent la poudre d’escampette, abandonnant leur château fort pour se réfugier dans le bois à proximité…
Hector, plus vieux d’un an que son cousin, court bien plus vite et réussit à disparaître dans la végétation. Mais Phil se fait rattraper par le monstre qui le coince à l’orée du bois contre les arbres. Tremblant de peur devant le capot de la voiture, il regarde avec des yeux écarquillés le paysan qui est descendu et le domine de sa haute stature, les poings sur les hanches.
Hector, de loin et caché, entend quelques mots :
— Alors, petits chenapans, ça vous amuse ?
— M’sieur, M’sieur, s’écrie Phil en pleurant, s’il vous plaît, je vais faire pipi sur moi…
Qu’est-ce qu’il raconte ? se demande Hector toujours tapi dans un fourré.
Après plusieurs minutes où il ne se passe plus rien, Hector entend le moteur de la voiture qui s’éloigne, puis Phil :
— Hector ! Hector ! Viens vite ! Il est parti…
Hector sort de sa cachette et rejoint son cousin qui l’attend, fier comme un chevalier qui a combattu le monstre.
Et il l’a combattu tout seul ! songe Hector, un peu piteux et plein d’admiration pour son cousin.
— Alors ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
— Oh pas grand-chose, répond Phil, il m’a juste demandé si ça nous amusait de jouer avec ses bottes de paille… Et puis il m’a aussi demandé comment on s’appelait…
— J’espère que tu ne lui as pas dit que mon nom c’était Hector HÉROT et toi Phil DEFERRE ?
— T’es fou ! Je suis trop malin. J’ai inversé nos deux noms. Je lui ai dit que je m’appelais Phil HÉROT et toi Hector DEFERRE…
— Et tu t’es pissé dessus ? demande Hector, inquiet ?
— Mais non, lance Phil, c’était pour lui faire croire que j’avais peur…
— Mais tu as quand même pleuré…
— Penses-tu ! J’ai fait semblant, ricane Phil en haussant les épaules crânement.
Devant l’intelligence et la ruse de son cousin, Hector reste bouche bée d’admiration. Cette réaction ne manque pas de faire bomber de fierté le torse de Phil.
Bien contents de s’en sortir à si bon compte, Hector et Phil retournent à la maison, en espérant toutefois, malgré la ruse de Phil, que le paysan ne parviendra pas à savoir où ils habitent. Papa et maman ne seraient pas contents d’apprendre ce qu’ils ont fait avec les bottes de paille…
Ce qu’ils ignorent, c’est qu’il n’y a aucun risque. Sans le savoir, les deux cousins ont bien avancé le travail du paysan.
Il va pouvoir rouler moins longtemps dans le champ avec son tracteur et son plateau.
Les bottes de paille qu’ils ont rassemblées vont lui faire gagner du temps.
Et sans doute sourira-t-il lorsqu’il verra disparaître… le château fort !