Jean-François Didier Attel de Luttange
Il y a cinq ans, en 2017, la bibliothèque municipale de Verdun organisait conjointement avec le musée de la Princerie, une exposition intitulée « Attel de Luttange, ce célèbre inconnu ». Le titre à lui seul ne pouvait qu’attirer mon attention, bien entendu, mais quand j’ai appris que l’homme était un amoureux des livres, je me suis dit que je ne pouvais faire moins que de lui consacrer un article, en commençant par sa famille.
Les Attel étaient une famille dont la noblesse remontait au roi René, duc d’Anjou, de Bar et de Lorraine et accessoirement roi de Naples. L’ancêtre de la famille était un gentilhomme de sa suite, et il se fit anoblir à Naples avec le titre de baron d’Attella, une bourgade de Campanie proche de Naples. De retour en France, il fit franciser son nom en « Attel ». Les barons d’Attel appartenaient à la « noblesse d’épée » et se distinguèrent sur divers champs de bataille. Le père de Jean-François, par exemple, participa à la guerre d’indépendance des Etats-Unis et puis obtint une affectation dans l’armée royale au début de la Révolution. Et notre Meusien ?
Jean-François naît en 1787 à Verdun, ville natale de sa mère. Mais il doit quitter cette ville en 1792 lorsque son père, refusant de servir la République, émigre pour rejoindre l’armée de Condé. Bien entendu, on confisque tous les biens de la famille. A leur retour en France, en 1803, ils sont d’abord placés en résidence surveillée à Verdun, puis rayés de la liste des émigrés, ce qui leur permet de retrouver une grande partie de leurs biens. Jean-François, pendant ce temps, fréquente le lycée des jésuites (actuel lycée Buvigné) où il se montre bon élève, particulièrement intéressé par les langues anciennes (latin et surtout grec), mais malheureusement extrêmement dissipé, ce qui lui vaut un passage dans un lycée de Nancy avant d’intégrer l’école militaire de Metz dont il sort lieutenant du Génie. Il aurait pu suivre la voie des armes comme tous ses ancêtres, mais sa santé n’est pas florissante et il doit se tourner vers la littérature. Comme il est (et restera) célibataire, sa fortune lui permet de vivre sans se soucier du lendemain (seul héritier de la famille, il fait partie des « rentiers ») et très vite, après avoir hérité des livres de son père et de son oncle, il décide de constituer sa propre bibliothèque avec tous les livres qu’il jugera dignes d’intérêt. Au fil de ses rencontres, il va rassembler toutes sortes d’ouvrages et même certains livres maçonniques (il aurait fréquenté la loge de Metz avec le titre de Chevalier de la Rose-Croix). Passionné d’histoire ancienne, il est élu en 1829 à la Société des Antiquaires de France, qui n’est pas une assemblée de brocanteurs, mais une société savante qui a pour but d’étudier et de faire connaître la langue, l’histoire, les arts et la littérature des sociétés antiques (grecque, romaine, celtique) ainsi que la société française moyenâgeuse. Cette société existe encore de nos jours et siège au Musée du Louvre.
À partir de 1833, il en devient membre résident et s’installe pendant 5 ans à Paris pour participer aux travaux de cette société qui se réunit 3 fois par mois.
Mais notre homme est un touche-à-tout qui se lasse vite et en 1838, après avoir fait paraître deux romans ayant pour fond la période médiévale « Un page de Charles le Téméraire » et « L’héroïne d’Orléans » (qui ne rencontrent pas grand succès), il abandonne ses fonctions et rentre à Metz.
Tout en continuant à faire publier de temps à autre des ouvrages aussi variés que des traités sur les mathématiques, des romans littéraires « L’épouse, ou Mystère et fatalité », quelques œuvres musicales et même un opéra, qui ne rencontrent pas l’adhésion dont il rêvait, il agrandit mois après mois sa collection de livres. On y trouve de tout, des livres de valeur, mais aussi des livres plus modestes, tous lus et annotés de sa main. Ses préférés ? Les livres de Walter Scott (il les a tous et en plusieurs versions), les poèmes d’Acréon (poète grec du 6e siècle avant J.-C.) et 52 versions de « L’imitation de Jésus-Christ » en grec, en latin, en français, en italien, dans tous les formats et dans plusieurs éditions. Pour les trouver, il n’hésite pas à parcourir de longues distances afin d’assister à une vente.
En 1857, malade de la syphilis et souffrant d’un cancer de la lèvre, il entreprend de rédiger un catalogue de tous ses livres qu’il souhaite léguer à la bibliothèque de Verdun, soit pas moins de 3000 ouvrages. Il n’aura pas la force de l’achever totalement et décédera en 1858 à Metz. Par testament, il demande à être inhumé au cimetière du Faubourg-Pavé à Verdun et lègue à la ville, outre ses livres, une quantité d’objets hétéroclites, mais souvent de grande valeur glanée au long de sa vie, dont quatre peintures italiennes et flamandes du XVIIe siècle et une collection de camées reproduisant les fresques de la galerie Farnèse. Cela méritait bien le « merci » en forme d’exposition et même de concert que lui a adressé la mairie de Verdun au cours de ces dernières années …
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