La fin des haricots
Mme Haydée Prime
Rue de Prozac
77747 La Tombe
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M. Jean Boutentrain
Rue de la Rigolade
07260 Joyeuse
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La Tombe, le 16 mars 2022
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Monsieur,
Je viens de terminer mes haricots et je crains fort que ceci ne mette un terme à nos relations épistolaires. Tout a une fin me direz-vous ; tout naît pour mourir un jour ; nul n’est éternel !
Après ces difficiles périodes que nous venons de traverser, je suis au bout du rouleau, je n’entrevois pas le bout du tunnel et j’ai envie que cela cesse !
Beaucoup de mes amis sont partis, sans espoir de retour. Athée, je ne puis croire à leur résurrection ou à nos retrouvailles dans un monde meilleur.
L’issue me semble fatale.
Vous, vous avez su être là et répondre à chacune de mes lettres et aussi, m’apporter une touche de votre jovialité. Ce dont je vous remercie.
L’envie d’écrire le mot ‘FIN’ au bas de cette page me titille… C’est peut-être un adieu.
Je vous souhaite des matins qui chantent, des oiseaux qui pépient sur le rebord de la fenêtre de votre chambre et des rayons de soleil qui se faufilent à travers les lattes de vos volets.
Et surtout : portez-vous bien !
H. Prime
M. Jean Boutentrain
Rue de la Rigolade
07260 Joyeuse |
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Mme Haydée Prime
Rue de Prozac
77747 La Tombe |
Joyeuse, le 18 mars 2022
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Madame,
Laissez-moi d’abord vous dire toute ma stupéfaction à la lecture de votre lettre ! Je ne m’attendais pas à un tel aveu qui frôle le désespoir, car rien ne laissait jusque-là présager une telle décision que je souhaite de tout cœur réversible.
Revenez donc, madame. En revenant, vous ne grossirez pas l’armée des fantômes hantant tant de nuits et traînant leurs chaînes sans plaisir, car « où y a d’la… »
Si la fin justifie les moyens, que justifie la vôtre entrevue, entre nous ? Ce n’est que si nous pensons que les carottes sont cuites, que nous en concluons que c’est la fin des haricots.
Vous évoquez aussi le bout du rouleau dont l’image me rappelle la publicité télévisée dans laquelle on voyait un bambin courir, un rouleau de papier-toilette à la main. Et je pense aussi à Raymond Devos disant qu’un bout de bois a deux bouts ! Vérifiez ! On doit dire « les deux bouts d’un bois », tout comme « les deux bouts d’un boudin ! »
Madame Prime, soyez primesautière. Retrouvez, je vous en conjure, la banane, la pêche ! Enfoncez le coing ! Cessez de vous presser le citron avec des idées noires ! Croquez à nouveau à belles dents la pomme de la vie ! Bref, évitez les pépins !
Je veux espérer que ma jovialité va une fois de plus faire mouche, sans botter en touche et sans en remettre une couche.
Et si tout a une fin, je vous dirai in fine qu’il faut bannir les maux de la fin pour que n’advienne pas la fin des mots : les mots-biles, les mots-tiffes, les mots-laids les mots-rues, les mots-roses, les mots-tard à mots-tôt…
Enfin, ayez le mot de la fin, le fin mot, et pour cela, jouez toujours et encore avec eux.
J’attends votre réponse, madame, celle qui me dira que vous allez mieux, enfin.
J. Boutentrain
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