ULtracrépidarianisme

Voici un mot que je viens de découvrir, et vous savez comment sont les amoureux des mots… Il a fallu que je me renseigne, que je cherche, que je comprenne.
Et en fait, je me suis rendu compte que, comme Monsieur Jourdain, je faisais de la prose sans même en avoir conscience ! Je pratiquais l’ultracrépidarianisme sans le savoir !

D’où vient donc ce mot un peu barbare ? Il est issu d’une locution latine : « sutor, ne supra crepidam », signifiant « cordonnier, pas plus haut que la chaussure ». Cette curieuse expression signifie en réalité qu’une personne ne peut se permettre de se consacrer à une tâche autre que celle correspondant à ses compétences (en l’occurrence, pour le cordonnier, s’en tenir à la chaussure, et pas plus haut).
Il paraît que cette citation latine proviendrait d’une histoire vraie, rapportée par un artiste peintre des années 380 avant J.C., en Grèce.
Ce peintre avait exposé des toiles à la vue des passants dans la rue, et il écoutait les critiques de ceux qui passaient devant sa maison. Un cordonnier se serait adressé à lui en lui faisant remarquer une erreur sur un des tableaux, à propos d’une lanière de chaussure. L’artiste accepta la critique, en constatant le métier de l’homme qui l’avait émise.
Mais le lendemain, le même homme revint, et constatant l’erreur corrigée, critiqua également la jambe dessinée sur le même tableau. L’artiste, cette fois, aurait répondu au cordonnier de se limiter à ce qu’il connaissait, à savoir la chaussure, et rien au-dessus.
L’ultracrépidarianisme est ainsi issu de ces termes latins, et décrit donc de manière péjorative les personnes qui émettent des avis sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas, et à propos desquels ils n’auraient aucune compétence.

À la réflexion, il me semble que notre société manie avec beaucoup d’aisance ce concept d’ultracrépidarianisme. En effet, nous avons des milliers d’experts sur les réseaux sociaux : des épidémiologistes, des tacticiens militaires, des docteurs en géopolitique, des experts en économie et en droit… Bref, nous sommes spécialistes en tout !
J’ai repensé à un film des années 70 « Je sais rien, mais je dirais tout », comédie signée par Pierre Richard, qui n’est pas forcément restée dans les chefs-d’œuvre du siècle, mais dont le titre a le mérite d’expliquer l’ultracrépidarianisme.

Mais, comme toujours, vous savez bien que tout est affaire de nuance, de dosage, car à abuser de cette accusation d’ultracrépidarianisme, on tombe aussi parfois dans la réduction au silence de tout un chacun, sur des sujets pourtant accessibles.

Ah… Quelle belle langue nous avons !