Le petit chat
(Suite et fin)
Le col présentait une dilatation de quatre centimètres. On arrivait donc au jour de l’accouchement. La sage-femme introduit un gel au fond du vagin d’Angèle afin de ramollir le col et accélérer le travail. On prépara le berceau, on protégea le lit. Tout était prêt, il suffisait de surveiller et d’attendre.
À chaque contraction, la mère prenait la main d’Angèle qui la serrait de toutes ses forces et au plus fort de la douleur, elle y plantait même les ongles !
Vers 17 heures, le père rentra des champs et vint aux nouvelles, on lui annonça l’imminence de la naissance d’ici quelques heures. Tout ça, c’était l’affaire des femmes et il partit s’occuper de la traite et de l’entretien de ses vaches. Quant à François, il n’était toujours pas rentré.
L’horloge de la cuisine venait juste d’égrener dix-huit coups lorsque la sage-femme déclara que le moment était venu de pousser. Chaque fois qu’Angèle se redressait, elle broyait la main de sa mère. Madame Leduc continuait à la rafraîchir. C’était dur, épuisant, Angèle avait l’impression que le bébé remontait après chaque poussée. Elle était épuisée et se mordait les lèvres désespérément…
La tête du bébé commença à s’engager, Madame Leduc conjugua alors ses efforts à ceux d’Angèle, à chaque poussée, elle appliquait fortement ses poings fermés sous le diaphragme de la maman pour permettre au bébé de franchir le col. Angèle était dans un état second.
Soudain, elle eut l’impression qu’on lui arrachait les tripes. Un vagissement retentit.
« C’est un garçon ! »
Angèle entendit résonner ces mots au lointain, elle était épuisée et avait la sensation de se vider de son sang. Elle se sentait dans un état comateux. Elle n’avait qu’une envie, rester étendue là, et ne plus bouger.
Mais déjà, après avoir coupé le cordon, la sage-femme lui appuyait sur le ventre et l’exhortait à pousser pour procéder à la délivrance.
Pendant ce temps, la mère et Madame Leduc procédèrent aux soins et à l’installation du bébé dans la chambre voisine.
Après avoir vérifié que tout se passait bien pour la maman, la sage-femme lui fit boire un breuvage amer. Angèle ne tarda pas à entrer dans le sommeil.
Françoise alla ensuite s’enquérir de l’état du bébé. Tout lui avait semblé normal lors de l’expulsion, mais sait-on jamais !
Michel, fraîchement emmailloté était dans les bras de Madame Leduc qui lui donnait sa première tétée. Il prenait bien et tout se passait normalement.
« Petit bonhomme, je te souhaite tout le bonheur du monde ! »
Rassurée, elle alla mettre de l’ordre dans la pièce à côté, la mère l’aida à ramasser le linge souillé.
« Angèle nous a vraiment fait un beau p’tit gars ! Robuste et vigoureux ! Sinon, je repasserai demain matin vers dix heures pour les soins à la maman, elle devrait être réveillée. Il faudra lui faire prendre ces comprimés pour stopper la montée de lait! Madame Leduc, vous transmettrez mes vœux à Colette ! »
Quand Angèle émergea, la matinée semblait déjà bien avancée, un rayon de soleil filtrait à travers les lamelles des volets. Elle se sentait vidée, le corps endolori, ses lèvres brûlaient et ses seins lui paraissaient prêts à exploser. Elle tendit l’oreille, en quête d’éventuels pleurs de son bébé. Une odeur de lessive qui bouillait sur la cuisinière lui chatouilla les narines.
La mère arriva vite à son chevet.
« Mon petit ne réclame pas sa tétée ?
- Angèle, tu dois être courageuse, ton petit s’est étouffé une heure après sa naissance, on n’a rien pu faire, c’est la volonté de Dieu, il a certainement préféré ne pas laisser vivre un enfant sans père. Tu dois prier pour ton petit ange.
- Je ne l’ai même pas tenu dans mes bras, il est parti sans même une caresse de sa maman!
- Tu étais trop faible et nous n’avons pas voulu courir le risque de te perdre !
- Et maintenant, où est-il ?
- Il repose sous le grand chêne, près de tes grands-parents, prends ces cachets et repose-toi encore un peu, Françoise va bientôt venir pour tes soins, je t’aime ma chérie ! »
Angèle se laissa aller et, entourée des bras de sa mère, elle pleura sa douleur.
Quelques jours plus tard, elle commença à se lever et arpenter la cuisine, le petit chat n’était plus là pour se frotter contre ses jambes en ronronnant, elle se sentait très lasse, il lui tardait de se rendre sur la tombe de son fils et lui dire combien elle l’aurait aimé. La mère avait beau lui dire qu’elle était jeune, qu’elle aurait sûrement d’autres enfants, elle ne parvenait pas à se faire une raison. Enfin, elle fut capable de marcher un peu plus longtemps. Derrière le jardin, à l’extrémité du grand pré, trônait le grand chêne. Un petit rectangle de terre avait été retourné et quelqu’un avait maladroitement dessiné une croix avec des cailloux.
Quinze jours après le drame, le facteur apporta un télégramme : un petit Jean venait de faire son apparition au foyer de Colette et François.
***
En ces temps-là, en s’y prenant bien, on pouvait donner un bébé comme on donnait un petit chat !
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