L'enfer et le paradis
Un conte chinois nous dit qu’un jour, comme on le lui demandait, un sage donna sa définition du paradis et de l’enfer.
Il voyait ce dernier occupé par des hommes attablés devant un énorme plat de riz, mais mourant cependant de faim, pour la seule raison que leurs baguettes mesuraient deux bons mètres !
Entrant au paradis, il reconnaissait les mêmes hommes assis à la même table, mais heureux, comblés et en bonne santé. La raison en était toute simple : chacun se servait de ses baguettes pour nourrir son semblable assis en face.
Les contes anciens, pour simplistes et peu nuancés qu’ils soient dans l’allégorie qu’ils présentent, montrent en général la dualité qui constitue l’une des caractéristiques de notre condition. Ils vont ainsi directement au but de façon à marquer toute la différence essentielle entre deux situations.
L’enfer et le paradis sont justement des illustrations extrêmes. En ne pratiquant pas la solidarité, l’homme ainsi vu vit une situation désagréable, car il est dans le non- partage et son outil pour communiquer avec l’autre n’est pas adapté. Il va donc s’en chercher un qui soit plus adéquat ou l’utiliser différemment. Mais son attitude montre peut-être d’abord qu’il n’a pas compris la nécessité de s’adapter à une situation et d’être soucieux d’autrui.
Aujourd’hui plus encore qu’hier, cette notion de solidarité (le mot est proche de solidité) ressurgit en raison de multiples situations difficiles que vivent des gens, situations dont ils ont du mal à se tirer ou pour lesquelles ils ne bénéficient d’aucun secours parfois. Il y a des détresses de toutes sortes, des besoins urgents et criants jamais ou peu entendus, jamais ou peu résolus. Et chacun sait que, dans les situations délicates, nous avons tendance à ne pas voir et ne pas entendre, ce qui nous évite l’effort indispensable, celui qui pourrait se révéler salutaire. Bien entendu, il faut pour cela se sentir concerné et agir, enfin, selon ses possibilités. Mais trop souvent, nous dressons des constats d’impuissance et, au lieu de dire que l’on peut essayer, on fait l’inverse.
Le paradis de l’histoire est cet endroit où, justement, existent attention, partage, souci de l’autre… Bien sûr, si celle-ci ne précise pas que nous disposons d’autres baguettes, c’est peut-être à dessein, pour montrer que l’on peut se servir des mêmes, pourtant trop longues, pour nourrir celui qui est attablé en face de nous. Et la différence réside justement dans cette intention, cette idée de partage et de « chose que l’on fait pour l’autre » non forcément pour en recevoir un remerciement, mais pour éprouver le plaisir du don sans retour, simplement parce que l’on peut lire la satisfaction sur le visage de celui qui reçoit.
L’une des solutions à nos problèmes, quels qu’ils soient, à nos problèmes sociétaux donc, n’est-elle pas de rompre l’isolement et ainsi de bannir tout comportement individualiste qui n’aurait pour but, à plus ou moins long terme, que de nous éloigner des autres et de nous enfermer dans une sorte de tour d’ivoire propice à tourner en rond, autour de soi, sans penser même à jeter un coup d’œil par la fenêtre.
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