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Ce mois-ci, Monique BERNARD

07 21 monique bernard

Biographie

Monique a été une autrice non meusienne invitée dans la bibliothèque du site de PLUME. Pour découvrir sa biographie et sa bibliographie, nous vous proposons de vous rendre sur sa page archivée en cliquant sur ce lien.


Ecriture

« Agacée depuis longtemps par une habitude française, dont même la plupart des femmes de ce pays n’ont pas conscience, j’ai décidé de prendre la plume pour illustrer cette misogynie héritée de l’époque napoléonienne. Aux lectrices (et lecteurs) d’en juger. »

Au nom de la femme
ou
les tribulations d'une Française en Europe

(Dernière partie)

Je possédais un appartement en France que j’avais hérité de mes parents. Mais comme j’avais quatre frères, je devais les dédommager en leur versant leur part. Mon mari m’aida financièrement et en retour je lui vendis quelques mois plus tard pour la somme qu’il m’avait avancée la moitié de l’appartement. Ainsi nous en devenions copropriétaires. Quelle ne fut pas alors ma surprise de constater que le courrier concernant l’appartement n’était plus désormais adressé à mon nom, mais seulement au sien ! Nous avons un bien en commun en Allemagne, et nous recevons toujours le courrier au nom de Monsieur Felden et Madame Martin. Mais en France je n’existais plus ! Cet appartement qui avait appartenu à mes parents, où j’avais passé mes vacances dans ma jeunesse, n’était plus le mien au regard des administrations. Seule l’EDF continua d’envoyer une facture à moi seule, puisque j’avais signé le contrat à l’époque où je l’avais acquis et où j’en étais encore seule propriétaire. Les finances publiques envoyèrent leurs factures pour les taxes foncières et d’habitation au nom de mon mari, accompagnées d’un TIP rédigé à son nom, mais portant mention d’un numéro de compte bancaire qui était le mien, mais qu’on lui avait apparemment attribué ! Je signai donc la première fois un TIP de mon nom pour régler une facture adressée à mon mari. Encore cette sensation d’être en porte à faux, de me trouver dans l’irrégularité et d’en commettre une. De plus j’étais furieuse. J’étais quand même propriétaire à cinquante pour cent de cet appartement qui me venait de mes parents, qui avait d’abord été enregistré chez un notaire comme m’appartenant, et dont je venais juste par acte notarié de céder l’autre moitié à mon époux. Jusque-là c’était moi qui recevais le courrier, et soudain mon nom n’était même plus mentionné. Je me sentais dépossédée. J’écrivis une lettre pour protester, sans aucun résultat. Le courrier suivant fut encore envoyé uniquement à mon mari avec référence à mon compte en banque censé être le sien. Alors je pris les grands moyens. J’écrivis une lettre au service des impôts en leur expliquant que mon mari allemand ne comprenait pas le français, qu’il était incapable de déchiffrer les courriers qu’on lui envoyait et qu’il n’avait pas de compte en France pour faire effectuer les paiements. Je terminai par une menace, les impôts ne seraient plus payés si les courriers n’étaient pas libellés sous les deux noms. Cette menace fit enfin son effet et nous eûmes alors d’amusantes surprises. Je reçus un avis d’imposition pour la taxe d’habitation adressé à Monsieur Felden Nikolaus ou Madame Martin Pascale. Cela me convenait tout à fait. Mais j’éclatai de rire en lisant le libellé en tête des taxes foncières : Monsieur Felden Nikolaus, époux Martin Pascale, et en dessous Madame Felden Pascale, née Martin ! Rien à faire, c’était très drôle, cet « époux Martin », mais personne n’était disposé à me rendre mon patronyme ! Je me contentai de cette correction et attendis la suite, qui se solda très vite par un retour aux vieilles habitudes, la taxe d’habitation n’étant de nouveau adressée qu’à mon mari, de même pour la taxe foncière, sur laquelle figura tout de même un jour la mention « propriété indivise » suivie de mon nom.

Il y a quelques années nous décidâmes de vendre cet appartement pour en acheter un plus grand et le cirque recommença. Sur l’acte d’achat, la notaire fit une erreur, malgré mon avertissement préalable la priant de faire attention. Mon nom figure bien, correctement indiqué sur l’acte notarié au titre d’acheteur conjoint avec mon mari, mais lorsqu’il fallut signer électroniquement, l’emplacement prévu portait de nouveau « Madame Felden Pascale a signé ». Je m’en aperçus après avoir apposé mon paraphe, comme il se doit « Pascale Martin ». Lorsque je vis l’acte imprimé, je fis remarquer à la notaire qu’en face de la mention Madame Felden se trouvait la signature de Madame Martin. Elle ne s’en offusqua pas. Elle me déclara avec désinvolture que cela n’avait aucune importance et refusa d’effectuer le moindre changement ! Alors là, même si les notaires établissent de faux documents, où va-t-on ? Pour la vente de l’ancien appartement, je fus particulièrement vigilante et tout se passa bien. Le document d’expertise de l’appartement portait même les mentions du mandant : Monsieur Felden Nikolaus et Madame Martin Pascale, épouse de M. Felden Nikolaus, exactement ce que j’aurais souhaité voir figurer sur mes autres documents.

Mais je n’en étais pas encore au bout de mes peines. L’avis de taxes foncières fut de nouveau adressé à mon mari seul avec référence du compte bancaire – toujours le mien ouvert sous mon seul nom – d’où serait effectué le prélèvement, mais attribué une fois de plus sur le TIP à mon mari. Je le signai de mon nom. Rien n’était réglé. Nous avions un syndic pour l’immeuble dans lequel se trouvait notre nouvel appartement de vacances en France. Les courriers furent adressés – comment aurait-il pu en être autrement ? – à mon époux seul, alors qu’il avait bien été signalé que nous étions copropriétaires à 50% chacun. Je protestai une fois de plus pour demander qu’on ajoute mon nom sur l’adresse, et nous eûmes alors la surprise de recevoir des courriers intitulés « M. ou Mme Felden et Martin Nikolaus et ». Mon prénom n’apparaissait pas, la place dévolue à l’adresse étant trop courte, et apparemment on n’avait pas songé à l’écrire sur la ligne suivante. Avouez que ça peut prêter à confusion quand le patronyme est aussi un prénom. Qui était ce Nikolaus Martin dont le nom apparaissait soudain ? Toute protestation me sembla inutile devant cette obstruction systématique et je m’en tins là. Entre nous, est-ce si difficile de faire apparaître les deux noms l’un sous l’autre sur une adresse ? M. Felden Nikolaus et (ligne suivante) Mme Martin Pascale. Politesse oblige, il serait même plus correct de faire passer Madame avant Monsieur. Mais pour qui se prend-elle, cette féministe invétérée ! Pourquoi la femme passerait-elle désormais avant l’homme ? N’en demandons pas trop, dans un souci d’égalité je proposerais simplement d’adopter l’ordre alphabétique, injuste pour ceux dont le nom commence par une des dernières lettres de l’alphabet, mais qui aurait le mérite de traiter à égalité l’homme et la femme (ou disons plutôt la femme et l’homme par ordre alphabétique, puisque la lettre F précède le H !).

Un jour j’eus l’idée d’établir pour mon mari une procuration pour mon compte bancaire français, vu que nous l’alimentions tous les deux régulièrement. L’imprimé qu’on me fit signer portait à ma grande surprise l’intitulé : « Madame Felden, etc. donne procuration… ». Je protestai encore une fois avec véhémence, mais l’employé de la banque me dit une fois de plus que cela n’avait aucune importance, et je signai donc de mon nom Martin l’acte officiel. Ce brave homme ne semblait pas trouver anormale cette disparité entre le nom et la signature !! Je commençais à y être habituée, et malgré mon insistance rien ne fut corrigé. Mais bizarrement je continuais à recevoir mes relevés de compte ainsi que mon carnet de chèques sous mon nom, ce qui me semblait l’essentiel.

Quelques années plus tard, en application des textes relatifs à l’échange automatique d’informations (EAI) je reçus de la centrale de ma banque un document qui était adressé uniquement à Madame Felden, sans même la mention d’un prénom. Comment cela était-il possible, qui avait décidé de changer mon nom ? On me priait de remplir un formulaire pour compléter les informations d’auto certification de ma résidence fiscale. Or celle-ci se trouve en Allemagne, pays respectueux du nom des femmes, où je paie mes impôts et où l’administration fiscale s’adresse depuis toujours à Herrn und Frau Dr. Nikolaus Felden und Dr. Pascale Martin, comme il se doit (je préfère d’ailleurs que le prénom précède le nom, comme cela devrait être la règle si on en respecte l’étymologie !). Un numéro d’identification m’y a été attribué sous ce nom et une Madame Felden sans prénom est inconnue des services fiscaux allemands. Allait-on m’accuser un jour d’usurpation d’identité en vue de fraude fiscale ? Je commençais à en avoir assez. Je demandai donc à la banque française d’effectuer les corrections nécessaires, mais rien n’y fit. Devant mon insistance, le conseiller de ma filiale me fit savoir qu’on ne pourrait effectuer de « changement de nom » qu’au vu de ma carte d’identité dont je devais lui envoyer copie. Changement de nom !!! C’étaient eux qui avaient changé mon nom, je continuais à porter le même depuis ma naissance, mais pour qui se prenaient-ils ? J’essayai d’étouffer ma colère et me souvins à temps que ma carte d’identité portait encore les mentions « Martin, épouse Felden », et que cela ne servirait à rien de l’envoyer. J’étais en train d’en solliciter une nouvelle et je leur fis parvenir en attendant, pour preuve de mon identité et de ma bonne volonté, ma carte d’immatriculation consulaire, puisque je n’étais enregistrée au Consulat de France que sous mon nom de Martin. Ce document, semi-officiel quand même, ne trouva pas grâce auprès du conseiller de ma filiale, qui continuait pourtant à m’envoyer ses courriers au nom de Martin ! Allez y comprendre quelque chose. Il me signala qu’il en prenait note, mais que le « changement de nom » - ils y tenaient ! – ne pourrait s’effectuer qu’au vu de ma nouvelle carte d’identité. Enfin on me signala à la réception d’une photocopie de celle-ci quelques semaines plus tard que le changement serait fait selon mes vœux. Ce qui était la chose la plus naturelle du monde devenait une faveur.

En avez-vous assez de mes tribulations de femme française en Europe ? Juste une petite anecdote pour vous faire sourire avant de conclure, et que je relate d’autant plus volontiers qu’elle ne me concerne pas. Je connaissais une Française qui avait un compagnon allemand et un enfant commun. Ils avaient choisi de ne pas se marier – rien ne les y obligeait, mais ils auraient mieux fait de le faire pour éviter des ennuis à leur enfant. Cette histoire remonte à plusieurs décennies, car depuis la loi allemande a changé, mais je la trouve tellement savoureuse que je ne peux résister au plaisir de vous la narrer. Donc l’enfant, né hors mariage en Allemagne, avait été déclaré à l’état civil, comme la loi l’y obligeait, sous le nom de sa mère célibataire – seul cas où la femme pouvait transmettre son patronyme. Celle-ci lui avait transmis également la nationalité française, car les Français sont généreux et l’accordent à tout enfant né de père ou de mère française. Toutefois, ayant été reconnu par son père allemand, il avait hérité, au vu de la loi française, du nom de ce dernier, mais pas de sa nationalité, qui se transmettait en Allemagne par le père, mais uniquement si le couple était marié. L’enfant eut donc un acte de naissance allemand sur lequel il portait le nom de sa mère, et des papiers français attestant sa nationalité, sur lesquels il portait celui de son père !

Vive l’Europe !!!

FIN (qui n’en est pas une, car le cirque continue !)

Ecriture

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