C’est une ferme abandonnée, au milieu d’un pré, à une dizaine de mètres d’un petit cours d’eau qui serpente à travers bois entre les fougères.
Lorsque Hector et Phil sont tombés dessus par hasard, ça a été un vrai coup de foudre. Et bien sûr, la première escapade de ces vacances de Pâques a pour but la découverte de l’intérieur de cette maison perdue. Toute une aventure !
Déjà, impossible d’y aller à vélo ! Le parcours se fait à pied, avec des clôtures à franchir, des parcs à vaches à contourner ou à traverser, et surtout, le cours d’eau à franchir. Le seul pont qu’ils peuvent à la rigueur emprunter se situe en amont à trois kilomètres. Pfff, trop loin ! Comme tous les deux sont astucieux, ils trouvent une solution. Ils construisent un radeau de fortune avec des planches attachées avec des cordes à trois fûts métalliques pour flotter.
Bon, le premier essai n’est pas très concluant, Hector se retrouve avec de l’eau jusqu’aux fesses, donc le voilà obligé de se déshabiller pour faire sécher ses vêtements au soleil.
Heureusement la suite est plus agréable, et en milieu d’après-midi, ils parviennent tous deux à traverser le cours d’eau.
Objectif : visiter la ferme abandonnée pour peut-être s’y arranger une pièce secrète.
Après avoir parcouru un dernier parc, ils se retrouvent devant la bâtisse.
— Par où on rentre ? demande Phil.
— Par le rez-de-chaussée, regarde c’est au niveau du sol, il n’y a pas de porte… On doit pouvoir accéder aux étages par là…
Aussitôt dit, aussitôt fait, ils se dirigent vers l’une des ouvertures et là, surprise !
— Mince, c’est une étable !
— Tu as raison, oh punaise, ça pue là- dedans…
— Normal, c’est une étable je te dis… C’est la bouse qui sent comme ça…
— Purée, ça cocote ! Où sont les vaches ?
— Quelque part dans le parc, je suppose… Ou alors, elles boivent à la rivière…
— Tu parles, on en vient ! On les aurait vues…
— Bon, en tout cas, il n’y a pas d’accès ici pour monter dans les étages… On va faire le tour des murs… On finira bien par trouver un endroit pour entrer…
En longeant les façades de la ferme, ils finissent par trouver une ouverture dont l’accès est barricadé sommairement avec des planches, une vieille échelle, un tonneau et des cageots divers. En deux temps, trois mouvements, ils dégagent tout cela et parviennent à s’infiltrer dans une sorte de couloir qui sent le moisi. En le suivant dans la pénombre, ils parviennent au pied d’un escalier en bois un peu bancal. Avec prudence, ils gravissent les marches qui craquent à chacun de leurs pas. Le moindre craquement du bois les fait se figer, guetter le moindre indice d’effondrement, puis comme il ne se passe rien, ils poursuivent leur ascension avec prudence, jusqu’au craquement suivant.
Finalement, ils parviennent à l’étage et commencent à visiter les pièces dont aucune porte n’est fermée.
— C’est vraiment une maison abandonnée. Il n’y a pas de meubles, la tapisserie est pourrie et se décolle des murs, analyse Hector.
— Je suis sûr qu’il doit y avoir plein de bestioles là-dedans !
— Ça, c’est sûr ! Oh, regarde, il y a encore un escalier ! Il doit conduire au grenier celui-là… Allez, on y va…
Quelques minutes et craquements plus tard, ils se retrouvent devant une porte fermée à clef.
— Qu’est-ce qu’on fait ? On la défonce à coups de pied? demande Phil.
Hector regarde autour de lui à la recherche d’un madrier ou d’une petite poutre qui, d’après lui, serait plus efficace que leurs pieds. C’est à ce moment-là qu’il voit, accrochée à un clou près du haut de l’encadrement, une clef.
— Tu crois que c’est la clef qui ouvre cette porte ? demande Phil.
— Je n’en sais rien, mais on va le savoir tout de suite. Fais-moi la courte échelle !
Phil se positionne le dos au mur, joint ses mains entre ses cuisses. Il suffit qu’Hector y place un pied et se dresse pour décrocher la fameuse clef. Il l’introduit dans le trou, la tourne une fois et au cliquetis du pêne, comprend que la serrure est déverrouillée. Le suspense est intenable. Au moment où il va baisser la poignée, Phil pose sa main sur son épaule.
— Attends !
Hector se fige et tourne la tête vers lui.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Et s’il y avait un mort dans la pièce ?
— T’es cinglé, toi ! Qu’est-ce que tu veux qu’un mort fasse ici ?
— Bon, déjà, s’il y en avait un, il ne pourrait pas faire grand-chose, puisqu’il serait mort. Je veux dire que peut-être quelqu’un l’aurait caché là…
— L’assassin ?
— Ben oui, celui qui l’aurait tué !
— Ah, tu regardes trop la télé, toi ! Arrête de te faire du cinéma ! Allez… on rentre…
Hector baisse la poignée, pousse la porte lentement qui gémit dans un grincement digne d’un film d’horreur.
— On aurait dû prendre une lampe. On ne voit rien du tout là-dedans… Drôle d’odeur, tu ne trouves pas ?
— Un cadavre ?
— Oh, arrête avec ça ! Ça sent le renfermé, c’est tout. Il doit bien y avoir une fenêtre…
Une fois que leurs yeux se sont habitués à l’obscurité, ils aperçoivent des rais de lumière à travers des volets.
— Là, il y en a une !
Hector se laisse guider par le peu de lumière du jour, trouve à tâtons la poignée de la fenêtre, la tourne, ouvre les deux battants, sent le crochet de fermeture des volets, le soulève… et pousse enfin les volets, alors que la lumière extérieure se déverse dans la pièce.
Et là, stupeur !
Deux fauteuils en cuir, ou plutôt en croûte de cuir tant ils sont vieux, trônent au milieu de la pièce autour d’une petite table ronde sur laquelle sont posées des canettes de bière vides.
— Oh, il faut se tirer ! Il y a du monde qui habite là, chuchote Phil, pas rassuré du tout. Si les gens arrivent, on est cuits…
— Mais non, regarde ! Les bouteilles sont couvertes de toiles d’araignées… Ça fait un bail que plus personne ne vient ici… Et tu sais quoi ?
— Non, mais je sens que tu vas me le dire…
— Puisque plus personne ne vient ici, nous allons faire le ménage et ce sera notre repaire secret. D’accord ?
Juste à ce moment, de drôles de bruits se font entendre.
— Des fantômes ! gémit Phil.
Hector sort sur le palier pour mieux entendre et déterminer la nature de ces bruits. En se penchant à une rambarde, il voit à l’étage en dessous un vieux plancher, troué par endroits, et c’est là qu’il comprend. Il retourne dans la pièce pour retrouver Phil qui ne l’avait pas suivi.
— C’est bon, je sais ce que c’est…
— C’est quoi ?
— Ce sont les vaches qui sont rentrées dans l’étable au rez-de-chaussée, tu sais, le premier endroit où nous sommes allés quand on est arrivés…
— Ah, oui, avec les bouses…
— Ouais, ben le bruit, ça vient des vaches…
— Tu es sûr ?
— Mais oui, viens voir ! On les aperçoit à travers des trous dans le plancher…
En approchant à petits pas timides de la rambarde, Phil aperçoit les ruminants à travers le plancher. C’est là que lui vient une fabuleuse idée qui enthousiasme aussitôt Hector.
— Oh, j’ai trouvé un truc génial !
— Quoi ?
— Dans la pièce, il y a un fagot de roseaux séchés. On n’a qu’à faire des anneaux. On descend sur le plancher et celui qui mettra le plus d’anneaux sur les cornes des vaches aura gagné… Il suffit de bien viser par les trous du plancher… Qu’est-ce que tu en dis ?
— Je dis que c’est une idée géniale. Allez, au travail !
Un quart d’heure plus tard, les deux cousins sortent de la pièce avec chacun dix anneaux fabriqués avec les roseaux séchés. Ils descendent avec précaution l’escalier vers l’étage inférieur, sans parler et en essayant de faire craquer les marches le moins possible pour ne pas effrayer les vaches et les faire fuir.
Parvenu, sur le plancher, Phil s’agenouille près d’un trou et attend qu’Hector se positionne près d’un autre un peu plus éloigné. Sauf que… À un moment donné, alors qu'il pose le pied, une partie du plancher vermoulu s’effondre brusquement. Hector n’a pas le temps de crier. Phil l’a juste vu disparaître à travers le plancher… pfuittt !.. vers le rez-de-chaussée.
Et au rez-de-chaussée, c’est le branle-bas de combat. Hector se retrouve à califourchon sur l’arrière-train d’une vache, tourné vers sa queue.
Qui a le plus peur ? Hector ? La vache ?
Les deux sans doute.
La vache affolée se sauve en meuglant vers l’extérieur.
Hector, déséquilibré par la fuite en avant de la vache, bascule devant lui et tombe par terre, le visage dans… une bouse !
Tout s’est passé si vite qu’Hector ne s’est pas rendu compte de tout ce qui se passait.
— Ça va ? Tu ne t’es pas fait mal ?
Hector lève sa tête de la bouse, se retourne, et aperçoit la bouille de Phil à travers un trou du plancher. Lorsque celui-ci voit la bouse dégoulinante sur le visage de son cousin, il éclate de rire.
— Ouais, ben, ce n’est pas drôle, lâche Hector en s’essuyant comme il peut avec le revers de ses manches.
— Tu vois, ajoute Phil entre deux éclats de rire, je savais bien que tu étais plus lourd que moi. C’est pour ça que le plancher s’est effondré…
— La ferme ! lance Hector sur un ton rageur.
Tout se termine près du cours d’eau pour un lavage de vêtements, et d’une toilette, surtout du visage d’Hector, pour effacer la matière et surtout l’odeur, mais qui restera longtemps imprégnée dans sa mémoire.
Bien sûr, le soir à la maison, ni l’un ni l’autre ne racontent l’aventure.
Ça reste un secret.
Bien plus secret que… le repaire, où ils n’ont d’ailleurs plus jamais remis les pieds.