Pierre-François Nicolas

Imaginez la scène : devant un groupe d’élèves attentifs, un professeur envoie du monoxyde de carbone dans une cage de verre où se trouve un chien. Très vite la pauvre bête s’écroule asphyxiée. On sort l’animal qui ne respire plus et le professeur s’approche avec un dispositif électrique, choque la poitrine du pauvre toutou qui… reprend vie à la stupeur générale. À notre époque, l’usage d’un défibrillateur ne surprend plus personne, mais en 1786, avouez qu’il y avait effectivement de quoi étonner les gens. Et qui est donc ce magicien capable de ranimer un chien victime des gaz ? Un médecin pharmacien chimiste cirier inspecteur des mines, bref un génial touche-à-tout, en un mot, un Meusien!

Pierre-François Nicolas naît à Saint-Mihiel en 1743 dans une famille aisée de propriétaires terriens. Il est d’abord élève du collège des chanoines de sa ville natale, puis intègre le collège des jésuites de Saint-Nicolas-de-Port où il se montre particulièrement brillant. À la fin de ses études, il collectionne les diplômes et détient même une maîtrise ès arts ce qui est rare à cette époque, ce diplôme étant réservé à une certaine élite. Impressionnés, ses maîtres envisagent de l’engager comme professeur, mais malheureusement pour eux, cet esprit curieux a découvert par hasard la physique et la chimie et il a décidé de consacrer le reste de sa vie aux sciences.

Pour fuir les jésuites, il intègre l’armée et pendant la guerre de Sept Ans il seconde le pharmacien du régiment où il sert. Il finit son temps au poste d’apothicaire et son mentor lui conseille de s’inscrire à la Faculté de Nancy pour obtenir sa maîtrise en pharmacie. C’est chose faite en 1768 et Pierre-François achète une officine rue du Pont Mouja à Nancy. Il se marie l’année suivante et son beau-père, fabricant de cierges et de chandeliers, lui confie qu’à son décès, son entreprise va disparaître faute d’un maître-cirier, titre que personne dans la famille n’a réussi à obtenir. Qu’à cela ne tienne ! Pierre-François fait son apprentissage en un temps record et propose à la corporation un chef d’œuvre de fin d’études qui lui vaut le titre de maître. L’entreprise est sauvée, il peut retourner à sa pharmacie. Mais le train-train l’ennuie vite et il accepte d’occuper les fonctions d’inspecteur des mines de Lorraine et d’Alsace. Il analyse les eaux de plusieurs villes, non pour déterminer leur degré de pollution (on n’en est pas encore là), mais pour analyser les minéraux qu’elles contiennent et l’usage médical qu’on peut en espérer. Ses travaux permettront quelques années plus tard à des villes comme Plombières-les-bains d’étayer de façon scientifique les bienfaits de leurs cures thermales.

Avec toutes ses activités, on pourrait croire qu’il n’a plus une minute à lui… Erreur ! En 1776, avec Michel de Tennetar, un médecin de la ville, il crée un cours privé de chimie qui se déroule dans l’arrière-boutique de sa pharmacie. Une lettre patente du roi permet de transformer ce cours privé en chaire de chimie dont les cours seront assurés à l’Université par les deux hommes.

Pour se livrer totalement à ce nouveau challenge, Pierre-François cède l’officine à son neveu et fait transférer son laboratoire à la Faculté, sans demander de compensation financière. Mais très vite, leur différence de statut provoque des tensions insurmontables entre les deux hommes. Seul le médecin, qui a le titre de professeur, est rémunéré tandis que Pierre-François qui n’est « que » démonstrateur ne touche quasiment rien. Pire, alors qu’il a déjà fourni le laboratoire, c’est lui qui doit acheter le matériel nécessaire aux expériences avec ses propres deniers. Il continue cependant et fait même imprimer un livre de cours de théorie-pratique de chimie pour aider les élèves alors qu’il n’est pas officiellement leur professeur.

La rupture est inévitable. Michel de Tennetar quitte Nancy, laissant la chaire de professeur vacante. Aucun médecin ne se présentant pour prendre la place, Pierre-François effectue alors ses études de médecine en un temps record et passe son doctorat en 1781.

Une fois titulaire de la chaire de chimie, il effectue pour l’Université des travaux aussi variés que la mise au point d’un procédé pour extraire le phosphore des os, des études sur l’utilisation de l’électrothérapie, la création d’un matériel et de procédés nouveaux pour la distillation des eaux-de-vie et parvient même à faire décoller un aérostat gonflé à l’hydrogène en 1783. Bref, tout l’intéresse.

Lorsque la Révolution éclate, républicain convaincu, il se lance dans la politique et occupe de nombreux postes à responsabilité à Nancy. Sa vie de famille s’en ressent à tel point que les deux époux se séparent « physiquement» en 1793. Pierre-François devient « Terre végétale », un prénom qu’il a trouvé dans le nouveau calendrier révolutionnaire. D’abord capitaine de la Garde nationale, il devient juge de paix au sein du comité des «Douze sans-culottes » pendant la Terreur, dans le sillage du sinistre Marat-Mauger à qui on doit des centaines d’arrestations. Cette proximité lui vaut d’être arrêté en 1794, au moment de la chute de Robespierre, aussi, ayant réussi à passer au travers des mailles du filet, il préfère prudemment retourner à sa chaire de professeur.

Nommé à Strasbourg, il refuse de s’y rendre, car il n’y a pas de laboratoire et il refuse d’y transférer le sien. Il reste donc à Nancy où il dispense quelques cours dans une Faculté totalement désorganisée puis brusquement, en 1798, il cède pour une somme dérisoire au département tout le contenu de son laboratoire (instruments, produits et machines) et quitte en urgence la ville, y laissant femme et enfants. On ignore la raison de cet exil précipité, mais une chose est sûre, il ne remettra jamais les pieds en Lorraine.

Il va d’abord s’installer à Paris où il travaille brièvement avec Chaptal, notamment sur une méthode pour naturaliser les animaux, avant d’accepter un poste de professeur de physique et chimie à la Faculté de Caen qui a su traverser les tumultes de la révolution sans grands dommages grâce à son Ecole de médecine. Nicolas est installé dans ses fonctions en 1801, mais ses cours de chimie ne commencent que quelques mois plus tard, car son nouveau  laboratoire établi au Collège du Mont n’est pas encore prêt. Pendant la décennie qu’il passe à Caen, il publie de nombreux mémoires sur ses expériences, notamment ses travaux sur le diabète mettant en évidence que le sucre contenu dans les urines d’un diabétique est d’une autre nature que le sucre que nous consommons. Ces travaux lui valent encore d’être cité dans les manuels d’histoire de la médecine.

Il prend sa retraite en 1811, mais sa pension ne lui parvenant que de façon sporadique, il doit continuer à enseigner la thérapeutique et la matière médicale dans les hôpitaux. Il décède cinq ans plus tard à l’âge de 73 ans dans une situation proche de la misère.

Outre la création de la chaire de chimie à Nancy, on doit à ce touche-à-tout scientifique de nombreuses améliorations du matériel et des procédés techniques dans à peu près tous les domaines puisqu’il s’est ingénié à tout tester, à tout construire et à tout analyser, de la composition de la sève à celle des roches et des fluides organiques comme le sang et l’urine, pour comprendre un monde qu’on connaissait encore si mal.