Jeanne Gérard
Encore une Jeanne ! De Jeanne Bécu à Jeanne Leleu en passant par Jeanne d’Arc, ce prénom semble vouer les Meusiennes qui le portent à un destin hors du commun ! Pourtant tout s’était ligué pour que jamais son souvenir ne parvienne jusqu’à nous. Elle a changé de nom, est partie vivre loin de la Meuse, et son village natal a été rayé de la carte. Et brusquement, en 1920, on évoque sa vie au Vatican… Inconnue, certes, mais inoubliable, cette Meusienne !
Jeanne Gérard naît à Cumières en 1752. Son père, Nicolas, est laboureur. Jeanne est la fille aînée d’une famille de neuf enfants et doit s’occuper de toute la fratrie après le décès de sa mère. Ce rôle va l’accaparer pendant une bonne partie de sa jeunesse et l’obligera même à refuser une demande en mariage. Une fois ses frères et sœurs établis, Jeanne, qui a maintenant 24 ans, entre dans la compagnie des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul, ces bonnes sœurs dévouées aux pauvres et aux malades qu’on a longtemps distinguées des autres nonnes grâce à leur cornette si caractéristique. (Souvenez-vous, la bonne sœur myope fonçant au volant de sa deux-chevaux dans la série des Gendarmes de Saint- Tropez !).
En 1789, Jeanne est à Arras, avec 6 autres sœurs. Elles ne se soucient guère de la Révolution qui gronde à Paris, car elles ont bien trop à faire : il faut s’occuper de l’hôpital, des pauvres et des nombreux enfants à secourir dans la ville. Cependant, la Révolution, elle, a décidé de s’occuper d’elles. Après les prêtres, c’est maintenant aux sœurs qu’on demande de prêter serment d’allégeance à la République. Elles n’en font rien de peur d’être obligées de quitter l’hôpital et d’abandonner les malades. Deux sœurs préfèrent aller se placer en lieu sûr en Belgique, mais les quatre autres continuent leurs activités sans que personne y trouve à redire.
Ce n’est qu’en 1794 qu’un commissaire de la République fraîchement débarqué à Arras s’émeut de la situation. Cet officier bien mal nommé (il s’appelle Joseph Lebon et ne possède pas le plus petit échantillon de bonté sur lui) les harcèle, produit de faux témoignages et leur fait subir toutes sortes de vexations. Il finit par les faire arrêter en février 1794 pour les soumettre à de longs interrogatoires dans l’abbatiale Saint-Vaast, ignorant les protestations de la population, car il n’y a désormais plus personne pour tenir l’hôpital. Finalement, après quatre mois, pour éviter les réactions des habitants d’Arras, il fait transférer les sœurs à Cambrai où elles ont condamnées à mort et exécutées le jour même, le 25 juin.
Lorsqu’elles arrivent au pied de l’échafaud, on leur retire leur cornette et par dérision, on place sur leur tête le chapelet qu’elles utilisaient pour leurs prières. C’est Jeanne qui est exécutée la première. En montant les marches, elle a cependant le temps d’entendre une de ses sœurs, Marie-Madeleine, faire une prophétie aux gens massés au pied de l’échafaud : « Chrétiens, ne vous désolez pas, vous ne mourrez pas, nous serons les dernières victimes. »
Vœu pieux ou intuition divine ? Toujours est-il que l’avenir va lui donner raison puisque le lendemain, 26 juin 1794, marque la fin de la Terreur et qu’on démonte aussitôt la guillotine de Cambrai. L’infâme Lebon, destitué, finira sur une autre guillotine, histoire d’apprécier au plus près le sort qu’il avait infligé à tant de monde.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais en 1920, Pie X, décidé à fournir à la France tout un panel de saints et de saintes pour contrer la laïcisation de l’État, entreprend de béatifier à tour de bras. Après Jeanne d’Arc, ce sont nos quatre sœurs martyres qui ont droit à sa sollicitude. Il faudra cependant attendre 1960 pour qu’un monument en forme d’autel élevé au centre du village martyr de Cumières (devenu Cumières-le-Mort-Homme après la Première Guerre mondiale) rende hommage à cette jeune femme.
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