La dernière rando
Le sac à dos trônait dans l’entrée. Depuis six ans qu’ils étaient tous deux en retraite, le rite était immuable: chaque jeudi, après un repas consistant, Nathalie et François partaient arpenter la boucle de randonnée du village. Huit ou onze kilomètres, selon la météo, deux heures trente minimum d’exercice !
Combien de fois avaient-ils effectué ce parcours? Un certain nombre de fois vous auraient-ils répondu. Les yeux fermés, ils étaient en mesure de le revivre dans les moindres détails !
Ce jour-là, la météo se montrait clémente, le vent rafraîchissait quelque peu l’atmosphère, mais en marchant bien équipés, les conditions seraient supportables.
Treize heures trente : Nathalie rajouta une bouteille d’eau et un paquet de mouchoirs dans le sac. Ils se mirent en route.
Pour traverser la départementale très passante, ils empruntèrent le tunnel creusé sous la route pour rejoindre le chemin blanc.
Après le pont qui enjambait le petit cours d’eau, la progression se montrait plus difficile, il fallait gravir la pente de plus en plus abrupte. François, grand fumeur, était toujours à la traîne, il lui fallait s’arrêter régulièrement pour souffler.
Cette fois, ils arrivèrent en même temps au croisement ! À droite, un chemin rejoignait un hameau qui était rattaché au village, tout droit, on rejoignait le parcours. Après avoir soufflé un peu, ils prirent sur la gauche pour effectuer la petite boucle qui rallongeait l’itinéraire.
Après une centaine de mètres entre champs et parcs, on entrait dans les bois. Quelquefois, pour profiter de l’ambiance, ils s’asseyaient sur le banc en pierre avant de bifurquer vers la droite pour franchir le gué et pénétrer dans la forêt. La côte était plutôt raide, mais au début de l’été, la dégustation d’énormes fraises des bois adoucissait l’effort. Quand ils parvinrent dans la zone agricole, le vent leur fouetta le visage. Les cheveux en bataille, ils arrivèrent au Blanc Chêne. Rituellement, ils prenaient quelque repos sur le banc de pierre, immanquablement, ils finissaient par manipuler glands et cupules. L’hiver, c’est là qu’ils buvaient leur café.
Il suffisait alors de suivre le chemin qui longeait une forêt et vous menait à travers parcs et champs. Parfois, ils pensaient à apporter du pain dur pour les chevaux… Ils respiraient à pleins poumons, profitant du calme et de la vue sur la nature, avec, en arrière-plan, le château d’eau qui signalait le village.
Il fallait traverser une petite route pour rejoindre le chemin un peu plus loin sur la droite. À nouveau, ils finirent par pénétrer dans une forêt. Au carrefour du souvenir, devant le monument signalant le lieu de l’arrêt de la bataille de la Marne, Nathalie s’assit sur un nouveau banc en pierre et ouvrit son sac à dos. Derrière elle se trouvait la petite parcelle qu’elle venait d’acquérir. Elle s’y dirigea, sortit l’urne funéraire de son sac, dévissa le couvercle et répandit les cendres de François au pied d’un grand chêne.
À présent, elle était définitivement seule ! Ne restait qu’une urne vide dans son sac…
Les larmes aux yeux, elle suivit le chemin pour remonter vers le village.
Aurait-elle encore le courage et la force de revenir seule en ces lieux ?
|