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Pour ma toute première contribution à cette rubrique, je souhaitais vous faire découvrir (ou redécouvrir) un livre qui m'a tout simplement bouleversée. Oui, oui, bouleversée ! Le mot n'est en rien exagéré.
Daniel Keyes, qui est l'auteur du roman dont je vais vous parler, est un homme que je qualifierais de brillant. Pourtant, je ne connais de lui que ce livre et je ne m'aventurerai pas à vous parler de sa vie car je ne la connais pas. Néanmoins, ce qu'il a accompli en écrivant ce roman est, à mon sens, une véritable prouesse littéraire. Rien que ça !
« Des fleurs pour Algernon » est l'histoire de Charlie, un simple d'esprit qui rêve de devenir intelligent pour que les autres l'aiment enfin. Il va donc être sélectionné pour subir une opération qui aura pour but de développer son QI jusqu'à le propulser au tant convoité rang de surdoué.
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Son alter ego, Algernon, est une petite souris de laboratoire qui a elle-même bénéficié de la même opération et qui, au vu de ses résultats, a poussé les scientifiques à tester ce procédé sur un être humain.
Ainsi, Charlie et Algernon vont voir leur intelligence croître tout au long du récit au point de largement surpasser leurs pairs.
Qu'y a-t-il d'intéressant dans une telle histoire, me demanderez-vous ? En soi, pas grand chose s'il ne s'agissait que de suivre la vie banale de Charlie et le quotidien morne d'Algernon la souris. En revanche, ce qui est digne d'intérêt, c'est avant tout l'enjeu psychologique, mais également la manière dont l'auteur a posé son histoire sur le papier.
En effet, « Des fleurs pour Algernon » est un récit à la première personne, rédigé, à l'instar de « Dracula » de Bram Stocker, sous forme de journal intime, ou plutôt, de comptes rendus que doit écrire le personnage dans le cadre de l'opération qu'il a subie.
De ce fait, et puisque notre bon Charlie est un simple d'esprit au début du récit, il lui est très difficile de manier la langue correctement, plus encore de l'écrire. Le texte est donc, ne vous en déplaise, constellé de fautes en tous genres ! C'est illisible, à s'arracher les cheveux et, en même temps, on y devine la bonté et la bienveillance de ce personnage dont le seul souhait est d'être comme tout le monde. Il est « bête » et il le sait, mais ce n'est pas grave, car il est plein de bonne volonté.
Les jours s’enchaînent, les « conte randu » aussi, ainsi qu'il l'écrit. L'opération se passe à merveille et, petit à petit, un changement va se produire sur le personnage en même temps que sur sa façon d'écrire. Les fautes vont s'amenuiser, il va employer la ponctuation, mettre des tirets à ses dialogues, complexifier ses phrases et ses pensées. Et je ne vous parle là que de la forme du texte. Car si l'on s'attaque au fond, on se rend également compte que notre petit Charlie si benêt et gentil, va se complexifier également, pour le meilleur, mais surtout pour le pire.
Il va prendre conscience que le monde qui l'entoure n'est pas ce qu'il croyait, que les gens avec qui il aimait plaisanter ne faisaient que rire de lui, que l'Homme, en règle générale, n'est pas profondément bon. Bien au contraire. Il va être en colère. Contre les autres mais également contre lui-même qui était trop bête pour se rendre compte que « ses amis » se jouaient de lui. Au fil des lignes et des pages, le gentil petit Charlie qui m'attendrissait va se muer en un homme impatient, désagréable, colérique et condescendant qui ne m'inspirera plus, par moments, que du mépris.
Il finira même pas devenir plus intelligent que les scientifiques sensés l'étudier. Quand l'élève surpasse de loin son maître, que lui reste-t-il ? Une terrible solitude.
Lui qui voulait devenir intelligent pour être aimé, il réalise alors que le bonheur ne se trouve pas de ce côté de l'échelle de Wechsler. Il n'y a là que la solitude et l'incompréhension.
Et tout le génie de Daniel Keyes se trouve là ! L'enjeu du récit ne se trouve pas en la personne de Charlie mais bien dans ce que représente l'intelligence avec un grand « I »
Au début du récit, Charlie se trouve à gauche de l'échelle de Wechsler, une courbe en forme de cloche qui réunit, d'un côté les sousefficients mentaux, et de l'autre, les sur-efficients. Au milieu, réunissant 68% de la population, les gens dits « normaux » du fait de leur majorité. Charlie va ainsi passer de l'extrême gauche à l'extrême droite (bien entendu, je ne parle pas de politique) et se rendre compte que l'intelligence, bien loin de lui apporter l'amour de ses semblables et le bonheur, ne va faire que le tourmenter bien plus que sa bêtise ne l'aurait fait.
Car penser, c'est se demander pourquoi. Pour tout. Tout le temps. C'est se remettre en question. C'est douter de tout, surtout de soi. C'est se croire idiot et se savoir ignorant du monde tout en se sachant (paradoxalement) au-dessus des autres. C'est se sentir seul. Terriblement seul ! Car la différence isole aussi sûrement que le ferait un mur de briques.
A contrario, un cerveau dont les capacités neuronales sont plus faibles que la moyenne, c'est la certitude de ne pas être exposé à tout un pan de la réalité. C'est terrible, me direz-vous, mais l'est-ce tant que cela pour celui qui le vit ? J'en ignore la réponse. Néanmoins, il y a des jours où je songe qu'un esprit simple a plus de clés en main pour ouvrir les portes du bonheur que celui qui passe son temps à tout remettre en question.
Et s'il y a bien une chose que ce roman met en exergue, c'est cette interrogation. Vaut-il mieux être simple d'esprit et ignorer toute une partie de la réalité qui nous entoure, échappant ainsi à la mesquinerie, à l'hypocrisie et à la méchanceté humaine, ou avoir conscience de tout cela, au risque de s'y adonner à son tour ?
Dissertation de philosophie. Vous avez trois heures !
Sur ce, je vous souhaite bonne lecture et à bientôt pour un prochain « Plume a lu » !
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