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Par Édith PROT

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Suzanne JANNIN

Nous sommes le 26 mai 1953, à Long-Xuyen, en peine guerre d’Indochine, et il pleut. C’est la période de la mousson et les orages se succèdent autour de Saïgon. Deux officiers entendent soudain le bruit d’un moteur au-dessus de leur tête. La nuit tombe et on y voit mal, mais suffisamment pour reconnaître un avion français criblé de balles qui perd rapidement de l’altitude. Ils se regardent, inquiets, car il n’y a pas de terrain d’aviation à proximité. Soudain, le moteur crachote puis cesse de se faire entendre, et l’avion continue en planant dans l’obscurité. Ils se précipitent et assistent alors à une scène hallucinante : le pilote parvient à se poser en pleine nuit et sur un terrain de football, sans autre dommage que la casse de son train d’atterrissage. Les blessés graves qu’il transportait sont immédiatement transférés à l’hôpital où ils seront sauvés. Et le pilote, me direz-vous ? C’est… une Meusienne !

Suzanne Jannin, née en 1912 à Belleville-sur-Meuse, est la fille d’un négociant en charbon. Elle passe son BAC en Meuse puis fait des études de chirurgie dentaire à la faculté de Nancy. C’est là qu’elle découvre l’aviation, à l’école de Nancy-Tomblaine. En 1939, elle obtient à la fois son brevet de pilote et son diplôme de chirurgien-dentiste. Après avoir exercé quelques mois à Delle, dans le Territoire de Belfort, elle ouvre son propre cabinet à Verdun en 1940 et dirige en parallèle le négoce de charbon de son père. Pas par désœuvrement, bien entendu, mais parce que cela lui permet de cacher dans ses coupes de bois, non loin du tunnel de Tavannes, des réfractaires au STO et des évadés, car, depuis le début de l’occupation, elle appartient à la Résistance. Chez les FFI où on la connaît sous le pseudonyme de « Michèle », elle sert d’agent de liaison entre les maquis, transporte armes et documents, convoie les parachutistes tombés en Meuse vers la frontière Suisse et fabrique des faux papiers et des tampons officiels. En 1944, elle échappe de peu à son arrestation et rejoint l’armée française où on l’affecte dans les Auxiliaires Féminines de l’Armée de Terre avec le grade de lieutenant.

Après la libération de Verdun, lorsqu’on crée à partir des groupes FFI de la Meuse le 150e régiment d’infanterie, elle est choisie pour en être la marraine eu égard à ses états de service. En 1945, apprenant que son frère a été libéré, mais doit rester en Allemagne faute de moyen de transport, elle emprunte un 4x4 pour se rendre au camp de transit de Memmingen. C’est là que son frère est bloqué avec un grand nombre de prisonniers de guerre. Elle qui n’était venue que pour lui, découvre que rien n’est prévu de sitôt pour les autres, alors elle décide d’organiser elle-même leur rapatriement en se procurant des véhicules sur place. Elle poursuivra cette mission de rapatriement pendant quatre mois, permettant ainsi à 650 prisonniers de retrouver la France.

La paix revenue, elle reprend un temps son ancienne vie, entre son cabinet de dentiste et l’aéro-club de Verdun dont elle est devenue présidente. Mais cette vie l’ennuie désormais, car elle veut devenir pilote dans l’armée de l’air, alors elle vend son cabinet. Malheureusement, même si en 1946 des femmes comme Elisabeth Moseli ont obtenu leur diplôme de pilote de chasse, l’état-major s’est empressé de prendre prétexte d’un accident mortel antérieur pour leur interdire de voler et les reverser dans des emplois administratifs. Lorsqu’éclate la guerre d’Indochine, Suzanne pense qu’en faisant valoir ses nombreuses médailles civiles et militaires (Croix de guerre, Légion d’honneur, médaille de la Résistance) et ses brevets de pilotage, elle peut obtenir un poste de pilote, mais c’est peine perdue. Qu’importe, elle s’engage comme capitaine-dentiste et part pour Saïgon. C’est là que le général Chassin, qui connaît ses qualités de pilote, trouve une astuce pour qu’elle puisse voler, mais elle doit pour cela accepter d’être rétrogradée au rang de caporal-chef dans l’armée de l’Air. Elle n’hésite pas un instant et obtient son détachement à Thann-Son-Nhut. Elle s’y montre largement à la hauteur de sa tâche et, même si ses collègues masculins la surnomment « Miss », aucun ne voit en elle une pin-up de calendrier, mais bien un camarade de combat.

Jannin

Elle effectue 290 sorties dont 86 missions de guerre avant de rentrer en France en 1954, lestée de plusieurs médailles supplémentaires et quitte l’armée de l’Air en 1957 pour ouvrir un cabinet dentaire à Paris. En 1960 elle épouse un de ses patients, Gustave Delvoye, et part s’installer à Mons-en-Baroeul, dans la banlieue de Lille, où il est ingénieur. C’est là qu’elle décède en 1982, à l’âge de 70 ans.

On cite volontiers le nom de Caroline Aigle (qui vécut une partie de son enfance en Meuse) pour évoquer l’ouverture de l’armée de l’Air aux femmes puisqu’elle fut la première femme pilote de chasse en 1999. C’est oublier un peu vite ceux d’Elisabeth Moseli, qui aurait pu l’être 53 ans plus tôt, et de Suzanne Jannin, caporal ailé de la guerre d’Indochine. Heureusement la mémoire de cette battante est toujours honorée par ceux qui l’ont connue, aussi bien dans sa ville d’adoption (la cour sud du Fort Macdonald à Mons-en-Baroeul porte son nom) que dans son village natal de Belleville-sur-Meuse qui a inauguré récemment un square Suzanne Jannin.

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