Goethe aux environs de Verdun
(Première partie)
C’est vers la fin de l’été 1792, le 30 août, que Johan Wolfgang von Goethe (28.08.1749 – 22.03.1832), ce grand écrivain, poète, dramaturge et philosophe allemand est de passage dans la région de Verdun. En effet, ami et directeur des finances du duc Charles-Auguste de Weimar, général de cavalerie, il est convié à le suivre lors de la campagne guerrière contre la jeune République française révolutionnaire. Cette guerre proposée par le roi Louis XVI le 20 avril 1792, est entérinée par l’Assemblée législative contre le roi François II de Bohème et de Hongrie (qui devient en juillet empereur d’Allemagne). Dumouriez, alors ministre des Affaires étrangères, rêve d’un soulèvement des Pays-Bas contre la cour d’Autriche. Louis XVI, peu après, réfutant d’accepter en totalité la révolution, est menacé de destitution (insurrection et invasion des Tuileries). C’est alors que Frédéric Guillaume II de Prusse, après quelques mois de neutralité, décide de combattre avec les Autrichiens la jeune république pour remettre le roi Louis XVI sur le trône au sein d’une monarchie constitutionnelle.
Après avoir fait le siège de Longwy, les troupes prussiennes placées sous les ordres du duc de Brunswick, général en chef d’une colonne de 42.000 soldats et de l’armée des émigrés, se dirigent sur Verdun et s’arrêtent aux environs du village de Bras-sur-Meuse sis à quelques kilomètres au nord de la cité verdunoise. Cette armée puissante composée d’une cavalerie, de l’infanterie et de l’artillerie, s’installe dans ce secteur pour préparer le siège de Verdun. À l’issue d’une vaine entrevue avec le représentant du colonel Beaurepaire chargé de la défense de la cité à la tête d’une petite armée, les canons ennemis prennent position sur la côte de Belleville-sur-Meuse et entrent en action dans la nuit du 31 août au 1er septembre, semant ainsi la terreur parmi la population verdunoise. Cette canonnade engendre une réflexion chez les assiégés et aboutit à des pourparlers entre le comité de défense de la cité et le chef suprême des forces prussiennes. Après entente, la cité est considérée ville ouverte à compter du 2 septembre, ce qui cause une grande déception au colonel Beaurepaire, farouche opposant à la reddition. Celui-ci se jugeant trahi, afin de sauver son honneur, se suicide dans la nuit du 1er au 2 septembre vers 3 heures du matin.
À l’issue du siège, les Prussiens continuent leur périple de vainqueurs sur Valmy où ils sont défaits le 20 septembre au cours d’une bataille qui fait désormais date dans notre histoire, et ce, grâce à la témérité des généraux Kellermann et Dumouriez. Désormais vaincus, au cours de leur retraite vers la Prusse, ils repassent à nouveau dans la région de Verdun.
D’après son ouvrage « Campagne en France, Kampagne in Frankreich » Goethe, agent civil de la chancellerie est venu en tant qu’historiographe. Il y relate ses réticences à suivre son ami, le duc de Weimar. Arrivé dans la région de Verdun, il effectue notamment des balades en bord de Meuse. En effet, il s’installe dans le village de Bras avant de poursuivre son chemin pour assister à la bataille de Valmy. Ne participant pas au siège de la ville, nous pouvons supposer qu’il s’évade de ce quotidien guerrier en parcourant les cultures et les vignes de la côte de Froideterre en s’arrêtant à plusieurs reprises au bord d’une source où campent des soldats, que l’on appelle aujourd’hui « La fontaine du roi de Prusse ». Cependant nous pouvons affirmer qu’il parcourt les prairies en bordure de Meuse où il flâne aux abords d’une autre source appelée « La fontaine du goulot ». En cet endroit paisible, Goethe trouve la sérénité. Ce guerrier en herbe n’est nullement motivé pour cette campagne qui lui semble étrangère. Il se sent plutôt neutre, venu s’enrichir des us et coutumes des pays qu’il visite au cours de son périple contraint.
Goethe relate certains faits et anecdotes qui se sont manifestés lors de son passage.
Il décrit sans état d’âme sa présence qu’il ressent comme non nécessaire à la situation militaire. Il n’a que faire de ces décisions politiques auxquelles il n’adhère pas. Il se sent étranger à ce qui se passe, comme il le rapporte si bien « Je suis venu en amateur » et fait état de situations qui lui paraissent rocambolesques.
Je le cite « Le 30 août 1792, nous promettions que ce jour, qui devait nous amener devant Verdun, serait fertile en aventures… montant, descendant des collines, nous avions traversé Mangiennes, Damvillers, Wavrille, Ormont (à l’époque, écart d'Haumont-près-Samogneux), lorsqu’une détonation se fit entendre… C’est un homme qui chassant dans les vignes tire sur des oiseaux. Il est alors menacé de pendaison par un officier qui se ravise sur les contestations de ses pairs. Il est finalement puni de coups de plats de sabre afin qu’il ne recommence point cette activité à notre vue ». Puis il raconte une autre anecdote, je le cite à nouveau « Nous eûmes une rencontre aussi singulière qu’agréable. Deux hussards remontaient la côte, amenant une petite charrette à deux roues, attelée d’un seul cheval… Nous vîmes un petit garçon qui conduisait l’attelage et une fille ou jeune femme merveilleusement belle… Nul ne resta indifférent… Il se trouva que la jeune personne, habitante de Samogneux, ayant voulu fuir le danger, s’était jetée dans la gueule du loup ». Le commandant soupçonnant un espionnage se laisse persuader par un officier dont Goethe fait l’éloge de faire raccompagner cette jeune personne chez elle par deux de ses hommes. Un peu plus tard cette jeune femme, entourée de ses parents, salue gracieusement les troupes lors de leur passage devant sa demeure.
À l’aller, il passe bien trois jours et deux nuits à Bras-sur-Meuse. Il se réveille après une nuit mouvementée au matin du 1er septembre dans sa dormeuse, la « Schlafwagen ». En effet, il sort de cette voiture pour contempler depuis la côte de Belleville-sur-Meuse dans cette nuit du 31 au 1er septembre le ballet des obus incendiaires et l’incendie qui se propage dans la cité. Dans son ouvrage, il ne fait pas état, ou guère, de la « courrée », cette dysenterie contractée par les soldats, engendrée probablement en buvant l’eau de source. Une centaine d’entre eux ne peuvent participer aux combats et sont condamnés à demeurer sur place. Plus ou moins guéris, ils reprennent la route début octobre en compagnie de leurs camarades vaincus de retour de Valmy. Par ailleurs, le 8 octobre sur la route de Verdun, la voiture-dortoir de Goethe sert d’ambulance pour le valet du duc et un gentilhomme secouru à l’hôpital de Grandpré (Ardennes).
Dans son ouvrage, il décrit le suicide d’un soldat français qui refuse de capituler « À l’approche des Prussiens, ce soldat du 9e régiment de Chasseurs à cheval dissimulé dans une maison de la rue Saint-Victor déchargea sur eux son fusil, croyant avoir affaire pour l’un d’entre eux au roi. Il s’était trompé sur l’uniforme porté par le comte Henkel, lieutenant de hussards qui est tué sur le coup. Aussitôt capturé, il fut laissé en garde en attendant son sort à proximité du pont Sainte-Croix (devenu Beaurepaire puis aujourd’hui Legay). Ce beau jeune homme au regard franc et déterminé prétextant un besoin, échappa à la surveillance, enjamba le parapet et se jeta dans la Meuse où il se noya. ».
Concernant les vierges de Verdun, il en fait peu de cas, parlant seulement de 14 jeunes filles très belles, venues à la rencontre du roi entrant dans la ville pour lui apporter des fleurs, des fruits et des dragées. Cette démarche décidée par les notables dans le but de sauver Verdun du pillage et des exactions se solde en définitive par la mort de 11 d’entre elles suite à leur condamnation par le tribunal révolutionnaire de Verdun. Elles sont guillotinées le 6 floréal An II (25 avril 1794) sur la place de la révolution (aujourd’hui, place de la Concorde) à Paris.
À cette époque, au grand dam de ses lecteurs, Goethe s’intéresse à la science, plus particulièrement à la théorie des couleurs. Il découvre ce phénomène en scrutant le fond de l’eau d’un entonnoir de 33 pieds de diamètre, soit une dizaine de mètres (serait-ce la fontaine du goulot ?) où des soldats pêchent de petits poissons pour améliorer l’ordinaire. Cette apparente réfraction multicolore sur ces poissons est due à des éclats de poteries parsemées au fond de l’onde qui présentent les plus belles couleurs prismatiques. Il s’amuse à dire que des professeurs s’enferment avec leurs élèves depuis un siècle dans une chambre noire pour comprendre ce qu’il vient tout naturellement de voir. Si tel est le cas, cette fontaine du goulot est enchanteresse.
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