Le premier espionnage téléphonique de l'histoire militaire
(Deuxième partie)
Un sous-officier se consacre également aux écoutes, il s’agit du maréchal des logis Morin, affecté au 2ème bureau, service d’espionnage de la IIe armée commandée par le général Pétain dont l’état-major est à Souilly. Il assume la responsabilité des postes d’écoute devant Verdun et devient à ce titre, un personnage énigmatique pour l’ennemi.
Au fur et à mesure de leurs agissements stratégiques, les Allemands se doutent que les Français se renseignent sur leurs intentions, et c’est lors d’une attaque d’une position française le 6 mars 1916 dans le secteur de Forges-sur-Meuse qu’ils tombent sur un poste d’écoute venant d’être détruit. Le sergent responsable de ce poste, qui a été fait prisonnier, envoie plus tard une carte postale via la Suisse à son responsable, le maréchal des logis Morin. Il écrit en langage codé « Mon cher ami, sache que la montre que tu m'as confiée a été détruite dans le bombardement qui a précédé notre capture. Je pense que tu ne m’en voudras pas et je t’envoie ainsi que mes camarades notre meilleur souvenir ». Les Allemands ne se doutent pas que ce message rend compte de la destruction du poste en question. Leur censure pourtant très opérationnelle n’y prête aucune attention. Cependant, l’ennemi ramène quelques documents intacts et c’est ainsi qu’ils découvrent après traduction que plusieurs notes de service mentionnent des consignes particulières, voire secrètes rédigées par un certain maréchal des logis Morin. Ils commencent à s’intéresser de plus près à ce personnage. Constatant que les Français les écoutent, sans déceler la technique, à partir de ce jour, les Allemands diffusent des ordres ou des consignes en langage crypté. Les écouteurs français doivent se rendre à l’évidence et apprendre au fur et à mesure des écoutes à édifier un système de décodage en transposant des termes comme « apparat (appareil) » voulant dire « pièce de batterie), « platte, (plaque) » voulant dire « But », « bild (image) » voulant dire « Obus », etc.
L’ennemi réagit et exploite le système en installant un poste d’écoute à Flabas, village situé au nord-est de Verdun. Dès lors, ce dispositif s’étend sur la ligne de front et les belligérants s’emploient à diffuser de fausses informations, ce que l’on appelle « l’intox ». Mélangeant le vrai et le faux, les renseignements diffusés nécessitent des vérifications minutieuses.
La paternité des écoutes.
Le maréchal des logis Morin, responsable des équipes d’écoute est nommé sous-lieutenant à la mi-avril 1916 par le général Pétain qui le félicite à cette occasion pour la pertinence des renseignements obtenus. Morin a sous ses ordres des officiers d’infanterie, des adjudants et des sous-officiers du même grade. Comme dans la hiérarchie militaire, il n’est pas concevable qu’un subordonné puisse donner des ordres à des officiers même subalternes, et vu ses qualités, ses mérites, les services éminents rendus, Pétain régularise cette situation pour le moins anormale en nommant Morin au premier grade d’officier, sous-lieutenant.
En juin 1916, lors d’un bombardement aux obus toxiques de la côte du Poivre située au nord-est de Verdun, Morin est gazé à son poste d’écoute. Refusant d’abandonner son poste, assurant sa mission, blessé puis évacué, il perdra progressivement la vue à cause de ce nuage chimique et terminera la guerre atteint de cécité.
Incapable de reprendre son emploi civil en raison de ce handicap à la fin de cette tragédie humaine, marqué à vie comme beaucoup de ses camarades, il milite dans des associations d’anciens combattants.
Après-guerre, une association des anciens écouteurs est créée. Henri Morin, croyant pouvoir revendiquer la paternité des écoutes, décide de livrer ses récits à Pierre Andrieu dans un ouvrage intitulé "À l'écoute devant Verdun" écrit par Pierre Andrieu, auteur de plusieurs opus. Dans ce livre qui paraît en 1938, il fait part de sa découverte datée de janvier 1915 en ce qui concerne les premiers postes d'écoute installés aux Éparges, à la Tranchée de Calonne et au Bois Bouchot. Ces affirmations sont vivement critiquées par H.Barrès, un disciple de Delavie. Je le cite « lui ayant fait part de mon incrédulité, il reconnaît son erreur après avoir consulté le lieutenant Thomas (il faisait partie de son équipe) qui assiste aux premières écoutes et causeries de Mr Delavie sur le système ». Se rendant compte que cette paternité revient à son collègue Delavie, Morin écrit « Le lieutenant Delavie est le promoteur et le père des postes d'écoute ». Cette déclaration n’enlève rien au lieutenant Morin sur son rôle, ses qualités et ses capacités. Il reçoit pour ses précieux services rendus, la Légion d’honneur, la Médaille militaire, la Croix de guerre et la Military Cross.
Le lieutenant Delavie né à Vayres en Haute-Vienne le 27 juin 1882 est un élève brillant. Doué pour les études, il devient professeur de sciences et effectue son professorat au collège de Vierzon. À la déclaration de la guerre, il est mobilisé comme sergent au 95ème R.I à Bourges. Puis, promu lieutenant, il est muté au 210ème RI à Auxonne au sein duquel, il commande sur le front en octobre 1914 une section de la 24ème compagnie. Alors que l’emploi des gaz n’est pas encore d’actualité, en janvier 1915, il présente à l’état-major une étude sur les obus asphyxiants, mais aucune suite n’est donnée. Contrairement à Fritz Haber, l’histoire ne dit pas s’il est vraiment le précurseur de l’emploi de cette nouvelle et effroyable munition. Il passe le restant de la guerre comme responsable des écoutes téléphoniques de son régiment. Il sert à Flirey (54), à Remenauville (54), à Moncel-sur-Seille (54). À l’issue de l’armistice, il participe avec son régiment à l’occupation du Palatinat, il sert à Landau et est promu capitaine le 26 mars 1919.
Le haut commandement en reconnaissance de ses aptitudes, de sa conduite sous le feu et de cette découverte, le cite à l'ordre de l'armée en novembre 1917, ce qui se traduit par l’attribution de la Croix de guerre avec palme et de la Légion d’honneur. Nous pouvons affirmer qu’il est le précurseur de la guerre électronique.
Démobilisé, il rejoint sa famille (son épouse et ses trois enfants). Il reprend sa fonction de professeur au collège technique de Puteaux où il forme plusieurs générations d’élèves jusqu’à sa retraite en 1945. Il s’éteint le 3 avril 1951.
Pour conclure, les écouteurs, grâce à l’exploitation des renseignements obtenus sauvèrent des dizaines de milliers de vie françaises.
(Toutes les photos peuvent être agrandies d'un simple clic)
|