Pourquoi suis-je ici ?
Une parabole soufie rapporte cette courte anecdote :
« Un derviche arriva à la porte du paradis aux termes de sa vie. Il demanda alors au portier les raisons de sa présence. Était-ce d’avoir beaucoup prié toute sa vie ou bien d’avoir souvent jeûné pour mieux vivre sa spiritualité ? Il apprit avec surprise qu’aucune de ces deux raisons ne l’avait conduit ici. Mais il fut encore plus surpris d’apprendre que c’était parce qu’il avait recueilli à Bagdad une petite chatte abandonnée qu’il avait réchauffée dans son manteau une nuit d’hiver très froide, allégeant ainsi ses souffrances ! »
Le propos de nombreuses paraboles semble bien trop simpliste pour ne pas recéler de concepts profonds, tout comme dans les contes où la tournure parabolique indique qu’il s’agit d’aller chercher et tenter de découvrir, à l’aide de symboles, des conceptions et des explications de la vie, d’effectuer donc un travail personnel de véritable connaissance, en se faisant son opinion et non en allant pêcher ici ou là des solutions toutes faites.
Dans cette anecdote, on voit d’entrée que le derviche se trouve, au soir de sa vie, à une adresse spirituelle, puisqu’il est aux portes du paradis de ses aspirations.
Par deux fois, il se méprend sur les possibles raisons de son entrée, la prière et le jeûne n’étant pas celles qu’il pense valables, se rapportant pourtant à un acte de foi propre à tout adepte. Et quelle n’est pas sa consternation d’apprendre que sa réception est due à un événement simple, a priori anodin, insignifiant et isolé, voire si lointain qu’il a été oublié. En outre, il est question d’un animal, donc du représentant d’un règne sans doute non concerné par la spiritualité.
Au-delà de la compassion qu’a eue le derviche pour cette chatte en souffrance (celle-ci étant aussi palpable et identifiable que celle d’un être humain), nous pouvons noter qu’un lien est établi entre deux règnes : celui de l’Homme doté de conscience (parfois appelé animal supérieur) et celui des bêtes. Les liens ténus et parfois imperceptibles entre humain, animal, végétal et minéral existent. Mais on a du mal à discerner leur nature et la nature de leur relation possiblement autre que biologique. Il semble que le domaine du subtil ne soit pas perceptible d’emblée. Il n’y a pas de lien visible, évident entre certains actes, certains faits, surtout si notre pensée rationnelle nous empêche d’en établir par pure raison, par pur raisonnement. Enfin,-et ce n’est pas le moindre des enseignements-, il ne nous échappe pas que l’appelé au paradis accède à celui-ci par totale méconnaissance de l’acte qui l’y a conduit, comme si ce fait mineur lui avait été inaccessible, parce que hors de son champ de conscience et, de toute façon, comme effacé de sa mémoire.
En extrapolant, les actes, personnellement vécus ou non, qui nous paraissent éloignés ou absents de nos préoccupations, de nos aspirations et motivations sont-ils sans effets sur l’ensemble des manifestations de la vie de la planète ?
Voilà qui n'est pas sans rappeler l’impact présumé d’un battement d’aile de papillon sur l’ensemble du monde manifesté. Et si nous tentions un instant d’être ce battement, qu’est-ce que cet essai ferait naître en nous ?
Notes :
Le soufisme est un mouvement ésotérique issu de l’islam dont les préceptes reposent sur la recherche de l’illumination, la sagesse ultime et l’amour de Dieu en son for intérieur. Derrière des formules et des citations difficilement compréhensibles pour les non-initiés, le soufisme est un courant religieux qui tente de trouver Dieu par ses propres moyens et sa richesse intérieure.
* Soufi, mon amour par Elif Shafak
* Rûmî, poète soufi (XIIe siècle)
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