Résumé
Enfant non désiré, Corentin est traîné par sa mère de foyer en foyer jusqu’au jour où elle l’abandonne définitivement chez Augustine sa grand-mère qui habite au milieu des forêts. Une vie peut recommencer avec cette vieille femme, plutôt silencieuse, d’apparence austère, mais au cœur généreux. Pour suivre ses études, Corentin part pour la ville dont il savoure les lumières et l’atmosphère festive. Autour de lui, la planète agonise dans la chaleur qui assèche les sols, détruit les arbres, tarit les cours d’eau. La grande faucheuse rôde. La nuit où tout implose, Corentin, caché sous terre, survit miraculeusement. Lorsqu’il revient à la surface, solitaire et angoissé, il ne reste rien qu’un univers dévasté. Une sorte d’instinct le pousse vers les forêts de son enfance et les bras bienveillants d’Augustine. Il entreprend alors une quête désespérée vers ses origines avec l’obsession que tout est perdu à jamais…
En investissant le genre post-apocalyptique, Sandrine Collette nous livre une fois encore un récit coup-de-poing qui n’est pas sans rappeler La route de Cormac Mac Carthy (clin d’œil explicite lors de la rencontre de Corentin avec un père et son fils poussant un caddie). Le souffle incendiaire qui ravage la terre n’est pas décrit de façon brutale ou spectaculaire, mais à la façon d’un masque mortuaire inexorablement annoncé. À la surface, tout n’est que cendres et fumées, odeurs nauséabondes, impact de pluies acides, d’orages de neige. Le soleil a disparu derrière un rideau gris et opaque. Caché sous le macadam pour faire la fête avec ses amis, Corentin n’a rien vu du chaos, mais quand il en émerge, il est seul… affreusement seul. Ses compagnons, sortis trop tôt, ont succombé. Comment survivre, alors dans un monde aussi dévasté ? C’est la question que pose l’auteure… Pour Corentin, la solution est simple : retrouver les forêts. En compagnie d’un chien aveugle, rescapé comme lui, il entame son voyage, l’effroi au ventre. Sandrine Collette parvient à faire ressentir au lecteur un horrible sentiment de peur primale pour une survie aléatoire.
Au début du roman, Corentin et son chien handicapé sont les seuls personnages qui évoluent dans cet univers crépusculaire. En endossant la peau du rescapé, on cherche avec lui des stratégies de survie : rentrer dans les maisons, enjamber les cadavres pour récupérer l’eau et la nourriture, dénicher un toit pour dormir, trouver son chemin là où tous les repères ont disparu. « Une nuit étrange commença à tomber. Le ciel était gris et plein de cendres. Corentin marchait dans la Grande Ville, à si petits pas, et si inutiles, qu’il avait tourné en rond sans doute, mais il n’en était pas sûr, toutes les rues se ressemblaient, tous les immeubles calcinés, toutes les maisons soufflées, tous les macadams crevés. » Jusqu’au jour, enfin, où Corentin atteint son but : les forêts et le logis d’Augustine. Il retrouve la grand-mère encore vieillie en compagnie de Mathilde une amie d’enfance. Avec ces deux femmes, la vie reprend, toujours aussi éprouvante, mais avec l’obsession - ou l’instinct - de perpétuer l’espèce humaine. Tout d’abord violée, Mathilde porte le premier-né du couple, puis elle accepte tacitement de ressusciter la vie : la famille s’accroît de six enfants dans une masure transformée en bastion stratégique, car l’ennemi est là, alentour, qui guette… Le danger redouté d’autres survivants en proie à la même question existentielle. Quelques armes et une meute de chiens sont les premiers éléments de défense. Lorsque l’attaque survient, terrible, meurtrière… ils sont débordés, mais tiennent grâce aux enfants, héroïques de courage pour sauver leurs parents et leur humble vie. La lignée de Corentin est prête à reprendre le flambeau, à garder l’espoir, malgré tout.
Dans un décor dégradé, en ruine, la forêt devient une quête, un havre à rejoindre coûte que coûte pour se poser et voir venir, dans l’attente d’une régénération. La moindre pousse, la moindre feuille est traquée comme l’ultime espérance que la nature n’est pas totalement morte.
L’écriture de Collette, phrases courtes, retours à ligne, ressemble à une respiration souvent oppressante, haletante qui renforce le climat d’angoisse ressenti par des personnages brisés. Une sorte d’urgence entretenue grâce à un style lapidaire et saccadé.
Ce livre s’inscrit dans le fil d’une actualité « brûlante » et retrace la chronique d’une mort annoncée, celle de l’espèce humaine dans une planète à feu et à sang. Récit qui laisse peu d’intervalles pour une perspective heureuse. L’auteur entrouvre pourtant une minuscule fenêtre finale : partir vers l’ouest. Aucune précision sur cet endroit sans doute chimérique, juste une petite lueur dans la nuit. Fable écologique aux dimensions prophétiques qui s’envole parfois en métaphores poétiques.
« La seule couleur était celle du sang.
Corentin s’aperçut en s’écorchant la main à un morceau de bois, un soir qu’il faisait du feu. Cela roula sur sa paume. Cela coula sur ses doigts. Dans son esprit chaviré, cela prit des teintes d’automne flamboyantes, des lueurs de rubis, des incandescentes d’un vermillon inouï. Cela refléta le soleil disparu. »
Du grand Sandrine Collette, comme toujours. Une auteure inclassable, hors-norme qui sait renouveler ses thèmes en flirtant avec les sujets les plus graves. Aucun pathos, aucune concession, mais des personnages immenses dans leur modestie et un amour infini de la nature érigée en mythe, un écrin pour ce ″conte″ noir.
À lire, ABSOLUMENT ! Pour vibrer, réfléchir à ce monde coupable d’un consumérisme destructeur. À l’heure où la température atteint des sommets inquiétants, où les arbres brûlent, où les glaciers fondent… ce livre est un accélérateur de conscience. À l’échelle de l’histoire humaine, reste-t-il seulement quelques brèves minutes à l’espèce avant l’extinction finale ?
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