L'autruche
Étrange animal que l’autruche ! En effet, cet oiseau, à défaut de pouvoir voler en raison de son poids et de ses petites ailes, n’a d’autres recours que de courir. Mais son originalité ne se résume pas à cela. Tout le monde pense qu’elle enfouit sa tête dans le sable lorsqu’elle sent le danger. Pourtant cette croyance est fausse !
Quand ce grand oiseau coureur a peur, il s’enfuit, adoptant une attitude somme toute assez courante dans le monde animal, homme compris.
Justement, j’en étais à me demander si l’homme n’était pas enclin à s’ensabler la tête, non pas forcément et uniquement en cas de danger, mais aussi, et surtout lorsque se présentent des situations délicates qu’il préfère éviter, éluder, contourner. Voilà qui justifierait parfaitement l’expression « faire la politique de l’autruche », pratique qui s’avère être un leurre donnant l’illusion de changer une situation difficilement tolérable, mais ne permettant que de l’éviter pour un moment. Se donner l’illusion. En effet, privé de la vue, de l’ouïe et de la parole (dur d’articuler dans le sable !), on ressemble aux trois singes si connus qui nous invitent à ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire. Marque de sagesse, de prudence ?
Autour de nous, tout nous invite à être vu, entendu et commenté. Faut-il faire le choix du silence sur d’innombrables événements et s’en montrer indifférent ? Peut-être, si l’on souhaite avoir la paix, comme on dit, si l’on ne se sent pas la force, si l’on veut éviter l’embarras de se questionner, d’opérer un choix et de formuler une opinion. Peut-être pas si l’on se sent concerné de près ou de loin. En cela nous avons toute liberté, celle de penser, celle de choisir et celle de s’exprimer. Ensuite, nous nous nous forgerons une opinion que nous communiquerons ou non, que nous partagerons peut-être avec d’autres. Cela nécessitera de s’impliquer, de s’engager et de s’exposer de fort différentes manières.
Notre voix porte notre parole, notre parole notre pensée, nos idées, opinions et convictions. Se faire entendre, s’exprimer ne signifie pas forcément que notre avis est prépondérant et prévaut sur un autre. Il commence à devenir important, non pas pour qu’il soit adopté, mais parce que, formulé puis écouté, il peut alors être confronté aux autres, de façon à faire évoluer des opinions et des conceptions pour des réalisations communes. Et peu importe si cet avis est minoritaire. Tout ce processus peut se nommer une attitude consensuelle.
Pour parvenir à de tels résultats, il importe d’utiliser toutes les libertés, de celle de penser jusqu’à celle de réaliser. Pour cela, il faut des mots permettant la communication. On sait bien que ne pas formuler, ne pas acquérir le langage, c’est rétrécir la pensée au point qu’elle ne dispose plus de champs d’expression et de communication. Tout ensuite peut devenir un cercle vicieux, l’appauvrissement du vocabulaire conduit à celui de la pensée, de la pensée qui s’étiole peut-être jusqu’à ne plus ressentir le besoin ni avoir le moyen de dire.
L’imagination et la créativité sont de puissants moteurs de la pensée qui s’exprime sous des formes très diverses et à travers des individus tout aussi divers dont la rencontre peut s’avérer être une richesse en raison de cette diversité.
On a coutume de dire que la fonction crée l’organe et que certaines fonctions ont été activées puis développées dans la longue histoire de l’humanité, en s’adaptant progressivement aux situations qui se présentaient.
Dans La pensée sauvage, Claude Lévi-Strauss parle de la pensée de l’état sauvage qui est présente dans tout homme — contemporain ou ancien, proche ou lointain — tant qu’elle n’a pas été cultivée et domestiquée à des fins de rendement. À prendre en compte.
Enfin, pour en revenir à l’autruche, il est exact que cette dernière possède un estomac capable d’héberger les objets les plus hétéroclites, plus particulièrement s’ils sont brillants. Cette propension bien réelle et vérifiée lui confère-t-elle quelque chose d’humain ?
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