Déjà tout petit, sous le soleil de Toulon, Gilbert François Silly court partout, tape sur tout ce qui lui tombe sous la main, particulièrement sur les touches du piano familial. Il y reproduit les airs entendus dans les rues, les manèges ou les kiosques à musique.

La « musique ! »

Mme Silly l’inscrit à cette bonne école ; Ignace Paderewski, ancien pianiste virtuose y enseigne et, dès l’âge de 7 ans, l’élève joue devant un public. Il aime ça, la scène est le lieu où il peut donner libre cours à son énergie passionnée.
Il suit les cours du conservatoire de Nice.
À la Libération, il retrouve le conservatoire, à Paris cette fois, où il devient également pianiste d’ambiance dans des cabarets, des clubs.
Est-ce à ce moment-là qu’il prend le nom du compagnon de sa mère, M. Bécaud, lui qui a élevé les trois enfants de la famille, en l’absence volontaire du père ? C’est une belle reconnaissance.
Le patron d’un de ces endroits serait d’accord pour lui donner le travail, mais il exige une cravate. Mme Silly déchire alors le bas de sa robe à pois, lui noue autour du cou. Le tour est joué. (Toute sa vie, en souvenir de ce moment, il portera sur scène une cravate à pois; il fera aussi couper légèrement les pieds arrière de son piano, sans que cela ne le gêne dans son jeu, pour être en osmose avec la salle.)
Ces emplois lui laissent du temps pour composer.
Sa première musique de film Babette s’en va en guerre est déposée à la SACEM en 1947.
Mais surtout, c’est là qu’il rencontre ses futurs paroliers comme Maurice Vidalin, Pierre Delanoë, et, plus tard, Louis Amade, son parolier fétiche et son mentor.
Il a 20 ans, il accompagne Marie Bizet, chanteuse de variété, en tournée où son talent d’homme de scène se révèle à tous, volant même la vedette à Mireille, à Alger.
Dans les années 50, il part avec Jacques Pills, de l’Amérique du Sud au Canada. Ils écrivent pour Édith Piaf Je t’ai dans la peau. Elle tombe amoureuse de la chanson et de Pills. Ils se marient. Charles Aznavour, en visite chez Piaf, se trompe et demande à Gilgert si c’est lui le nouveau mari. Débute alors une forte amitié entre les deux jeunes chanteurs qui composeront une cinquantaine de titres ensemble.
En 1953, ses premiers grands succès Les croix, puis Mes mains sonnent la fin de ses années d’accompagnateur.
Il achète une belle propriété près de Versailles, mais il se réfugie dans une cabane du jardin pour commencer avec Pierre Delanoë et Louis Amade l’écriture de l’Opéra d’Aran, drame lyrique en deux actes qui sera présenté au théâtre des Champs Elysées en 1962.
Il joue également le premier rôle dans le film de Marcel Carné Le pays d’où je viens.
33 fois il montera sur la scène de l’Olympia où, un soir de février 1955, son dynamisme entraîne le public dans une véritable hystérie collective : les fauteuils volent en petits morceaux !
Le voilà baptisé Monsieur Dynamite, le Météore ou encore, par un journaliste américain, Monsieur 100.000 volts, surnom qui lui restera toujours.

Malgré la période yéyé, pendant plus de trente ans, il enchaîne les tournées et les succès : Nathalie, bien sûr, et d'ailleurs depuis cette chanson, il existe un café Pouchkine à Moscou dont il est le parrain,

Les marchés de Provence, née d’une ballade dans le marché du vieux Nice,

Salut les copains, titre donné à l’émission radiophonique de Daniel Filipacci en 1959. 

Quand il est mort le poète en hommage à Jean Cocteau, décédé en 1963,

Et maintenant, (What now my love) chanté par Elvis Presley, Frank Sinatra, Sonny and Cher…

Mais aussi Le petit oiseau de toutes les couleurs, Je t’appartiens,  Dimanche à Orly, L’important, c’est la rose, Je reviens te chercher, Le pianiste de Varsovie, Croquemitoufle, Le jour où la pluie viendra, Un peu d’amour et d’amitié...

La liste est incomplète.

Il reçoit en 1982 la médaille d’or de la SACEM pour l’ensemble de sa carrière.

Mais celle-ci n’est pas terminée. Il compose avec les jeunes auteurs comme Didier Barbelivien, écrit la musique de Madame Roza (Z en américain) d’après le roman de Romain Gary La vie devant soi, comédie qui triomphera à Broadway en 1986 avant de revenir en France.

Il donne son dernier concert, à Fribourg (Suisse), le 15 juillet 2000 avant de nous quitter le 18 décembre 2001.

Dans la plupart de ses chansons on découvre une ambiance différente et chaque fois tellement réussie que l’on vit l’histoire.
Que dire de La vente aux enchères où le violon, instrument diabolique, de Mr. Pointu fait corps avec l’interprétation de l’acteur-chanteur Bécaud.
Et de l’orchestration magnifique de La corrida, au rythme changeant, écriture déjà utilisée dans Nathalie, mais avec une fougue renouvelée ici.
Dans L’orange, c’est la voix exceptionnelle de la chanteuse qui entraîne la foule raciste vers cette envolée insensée, martelée par la répétition du Qui a volé ?
Récemment, j’ai redécouvert une chanson passée inaperçue au milieu de tous ces bijoux, mais  je l’aime bien parce que les paroles en sont un peu folles et la musique en est légère, sans grande orchestration. Elle pose sur mes lèvres un sourire complice à chaque écoute.
C’est Le pommier à pommes écrite en collaboration avec Pierre Delanoë et que je partage volontiers encore une fois avec vous.

LE POMMIER À POMMES

Pourquoi pas qu'on s'assoit sous un pommier à pommes
Bien assis, bien à soi, on attend qu'elles tombent
Pourquoi pas qu'on boira de l'eau de la rivière
Dans le creux de ses doigts, dans le lit de la pierre
Y fait comme il voudra, l'avion Paris-Stockholm
J'ai besoin de personne quand l'pommier pommera

Pourquoi pas qu'on ira labourer dans la neige
Quand la neige fondra, y aura le blé qui lève
Je prendrai mon fusil pour chasser du chemin
La mauvaise compagnie des chasseurs et des chiens
Y fait comme il voudra, l'avion Paris-Stockholm
J'ai besoin de personne quand mon blé lèvera

Pourquoi pas qu'on cassera la pendule de la gare
Comme ça tout le monde y s'ra ou trop tôt ou trop tard
Ça gênerait pas le coq ni ses cocoricos
Ni l'appétit du loup, ni la peur de l'agneau
Y fait comme il voudra, l'avion Paris-Stockholm
Y s'ra l'heure qu'on voudra sous le pommier à pommes

Pourquoi pas qu'on fera un ou deux petits drôles
Un pour toi, un pour moi sous le pommier à pommes
J'te jouerai du violon pendant que t'accoucheras
Ça t'paraîtra moins long, je crierai avec toi
Y fait comme il voudra, l'avion Paris-Stockholm
J'ai besoin de personne excepté de toi

Pourquoi pas qu'tu casseras toutes tes méchantes machines
Ta télé pyjama, ta demoiselle en leasing
Et tu détourneras l'avion Paris-Stockholm
Qui te déposera sous le pommier à pommes