Frédéric de Lorraine
Oui, je sais, certains grognent en lisant cette rubrique. « C’est vrai, quoi, il y en a marre de ces Meusiens ! À vous lire, on pourrait croire qu’il y en a eu partout et à tous les postes, faut pas exagérer, quoi, pourquoi pas au Vatican, tant que vous y êtes ? »... Que leur répondre, à part « Ben… si ! » ?
Frédéric de Lorraine (on l’appelle aussi Frédéric d’Ardenne) naît vers 1020 à Dun-sur-Meuse. Il est le fils cadet de Gothelon 1er de Lotharingie (à cette époque, la Lotharingie comprend deux parties, la Haute-Lotharingie qui correspond grosso modo à la Lorraine, et la Basse-Lotharingie qui regroupe les territoires qui deviendront la Belgique et les Pays-Bas). Comme tous les cadets, il doit laisser à son aîné Godefroy (dit Godefroy le barbu) la responsabilité de succéder à leur père et se tourner vers une carrière religieuse. Il devient donc moine dans un couvent de Liège, puis chanoine et enfin archidiacre. À ce titre, il assiste au synode de Mayence en 1049 et rencontre le pape Léon IX. Celui-ci est venu dénoncer deux fléaux qui selon lui gangrènent l’Église, le nicolaïsme (le mariage des prêtres) et la simonie (trafic de reliques et de sacrements contre espèces sonnantes et trébuchantes). Frédéric, appartenant à l’ordre des Bénédictins de Cluny, est sensible au discours réformateur du pape autant que celui-ci est séduit par la détermination et l’intelligence du jeune homme. Il le convainc de l’accompagner à Rome et lui offre le poste de bibliothécaire de l’Église romaine. Peu à peu, il devient un des conseillers préférés du Pontife avec un autre moine bénédictin, Humbert de Moyenmoutier. Ils seront tous deux à l’origine d’un projet de coalition visant à chasser les Normands qui ont institué un duché au sud de l’Italie. Cette campagne militaire échoue à l’issue de la bataille de Civitate, en 1054 et le pape lui-même est capturé. Après avoir été libéré en échange de la reconnaissance du duché normand, il conserve cependant sa confiance à ses deux conseillers et les envoie à Constantinople pour convaincre le patriarche de l’Église d’Orient de rouvrir les églises latines dont il a ordonné la fermeture. L’entrevue se passe fort mal et tourne court. En effet, profitant de la mort de Léon IX et de la vacance de la papauté, le patriarche fait entériner le schisme entre les Églises d’Orient et d’Occident et renvoie les légats chez eux. Un peu abattu, Frédéric se réfugie dans l’abbaye du Mont Cassin. Le nouveau pape, Victor II, le nomme abbé, puis cardinal, avant de mourir à son tour. Par un intéressant concours de circonstances, l’Empereur d’Allemagne, qui s’est octroyé la prérogative de nommer les papes depuis un certain Charlemagne, est dans l’incapacité de le faire puisqu’il n’a que 7 ans. Les habitants de Rome qui, depuis longtemps, réclament un retour à l’élection du pape par acclamation du peuple et du clergé sautent sur l’occasion pour procéder seuls à l’élection du nouveau Pontife, en 1057. Ce sera Frédéric, au grand dam des Tusculum, une famille d’aristocrates romains qui espéraient bien faire élire un membre de leur famille. Sitôt élu, Frédéric, devenu Étienne IX, s’entoure de conseillers bénédictins proches de ses idées réformatrices et choisit le plus fervent d’entre eux, Hildebrand, comme archidiacre. Tous ont le même but : mener à bien la réforme commencée par Léon IX en éradiquant les pratiques douteuses de l’Église, dont le mariage des prêtres, l’achat de certains sacrements et le trafic de reliques qui enrichit honteusement plusieurs membres de l’Église. Comme si ce programme ne suffisait pas à lui créer assez d’ennemis, il tente de nouer une nouvelle coalition contre les Normands et, cerise sur le gâteau, s’emploie à faire cesser la domination allemande sur l’Italie au profit de son frère Godefroy devenu l’époux de la duchesse de Toscane. On murmure même qu’il songerait à faire de son frère le nouvel empereur. Lorsqu’il tombe malade à Florence, huit mois après son élection, il ne se fait pas d’illusions sur l’origine de sa maladie : on l’a empoisonné. Comme il pense connaître les coupables, il tente d’utiliser ses dernières forces pour contrecarrer leurs projets. Avant de rendre l’âme, il demande donc aux cardinaux d’élire à son poste son fidèle Hildebrand, seul capable selon lui de s’opposer à ses ennemis. Hélas, Hildebrand arrive trop tard et les Tusculum, qui ont accéléré la procédure, ont placé sur le trône de St Pierre un membre de leur famille, Jean de Tusculum, dit le Simplet, qui porte hélas bien son surnom. Le pape défunt, quant à lui, est inhumé dans la cathédrale de Florence, la Santa Reparata.
L’histoire ne s’arrête pas là. Dès son retour, Hildebrand dénoncera cette mascarade et fera introniser un autre souverain pontife, Nicolas II. Les deux papes cohabiteront jusqu’à ce que Godefroy, le frère du pape défunt, prenne les choses en main et déloge le simplet du Vatican. Nicolas II restera le seul pape légitime jusqu’à son décès et Hildebrand lui succédera sous le nom de Grégoire VII, réalisant avec un peu de retard le vœu d’Étienne IX.
Vous ne pourrez pas aller vous recueillir sur la tombe de ce pape meusien. De la cathédrale Santa Reparata ne reste que la crypte qui se trouve aujourd’hui sous le magnifique Duomo. Le tombeau d’Étienne IX s’y trouvait jusqu’au 17e siècle, mais depuis, il a mystérieusement disparu. Mais qu’importe, ayant été canonisé, Frédéric-Étienne doit logiquement siéger en bonne place au paradis… ou pas ?
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