Les usoirs
L’habitat en Meuse n’a guère évolué depuis le milieu du XVIIIe siècle. Même les guerres successives de 1870, 1914 et 1940 ont peu changé la physionomie typiquement lorraine du fait d’une reconstruction à l’identique tout en respectant les différents types : village-rue, village-tas, village en étoile, village quadrangulaire, village perché.
À cet effet, les usoirs n’ont jamais disparu de toutes ces configurations de villages.
En Lorraine, l’usoir est devenu l’élément caractéristique de nos contrées. Il est plus communément appelé « le devant de porte », « le parge », « le lieu d’aisance ».
D’où vient le mot « usoir ». Ce terme est issu du mot « usuaire » qui n’est plus usité et vient du latin « usarius » signifiant « dont on a l’usage, la jouissance ».
Même si l’on remonte au temps de l’époque gallo-romaine, l’origine de l’usoir contemporain remonte à la création de nouveaux villages ou reconstruits après la guerre de Trente Ans (1618-1648). Les villages lorrains ne correspondent pas à une réglementation ou à un plan bien établi. Leur évolution architecturale suit la démographie locale et les besoins des résidents, fermiers, artisans, viticulteurs, commerçants, etc. L’espace vital est primordial pour le bien-vivre car les maisons lorraines sont pratiquement dépourvues de cours et d’espaces à l’arrière des habitations. La façade principale donne toujours sur une rue et les maisons sont quasiment uniformes et mitoyennes, y compris pour les fermes. Cet espace vital créé entre la maison et la chaussée devenu nécessaire est appelé l’usoir. Chaque riverain selon les us et coutumes maintes fois séculaires peut en jouir comme il l’entend. C’est-à-dire, le cas échéant, pour permettre le libre accès à la cave (trappe dont la longueur excède 1 mètre), le stockage de matériels agricoles, du fumier, du bois et le stationnement du véhicule personnel. Parfois, on y voit même des poulaillers, etc. Il sert parfois de dépotoir pour y stocker ferrailles, bois usagés, vieux outils ou machines délabrées, etc… Il peut aussi servir d’espace de travail pour les artisans tels que le maréchal-ferrant, le menuisier, le bourrelier, le forgeron, le charron, le tonnelier, le vannier. Des édicules y sont parfois construits (puits, abreuvoirs, fontaines, lavoirs, oratoires…). Il est également un espace de jeux pour les enfants, comme une sorte de cour de récréation qui longe toute une rue. Selon le voisinage, il est également un espace pour les réunions de villageois qui s’évertuent sur un banc privé à refaire le monde, surtout en été, ce qu’on appelle communément « le couarail », car le lien social à cette époque est nécessaire et très prisé.
En règle générale, le statut juridique de cette surface relève de la commune qui en est la propriétaire domaniale ou privée. Les cadastres ancestraux, notamment celui de 1830 dit napoléonien ne mentionnent pas les usoirs. Les cadastres suivants selon leurs révisions ou leurs modifications mentionnent ou non le droit de propriété communal. Les usoirs relèvent donc le plus souvent de règles coutumières. Celles-ci ont été codifiées voici quelques décennies par la chambre d’agriculture puis soumises au conseil général en application du code rural. Cependant, la commune laisse libre cours à son usage sans rémunération sous la condition que le riverain en assure l’entretien et laisse le passage libre aux piétons ou autres usagers. Si par un temps, certaines communes ont institué une taxe pour le droit à l’usage, elles ne purent dans ce cadre taxer le passage devant la maison, nécessaire à l’ouverture des volets. La commune ne peut revendiquer la propriété de cet espace usuellement appelé « le tour de volet ».
Cependant malgré les us et coutumes, l’usoir défini ainsi comme propriété communale a été contesté en 1748 à Saint-Germain-sur-Meuse. En effet, le maire et les habitants de la partie française du village eurent un différend quant à la présence des tas de fumier « devant leur porte ». En revendiquant la propriété de l’usoir qu’ils considèraient ne pas faire partie du domaine communal, ces paysans défendirent leur droit de propriété dans les actes d’acquisitions hautement critiqués. Le curé rejoignit la municipalité en luttant contre la présence des tas de fumier qui hygiéniquement étaient de nature à polluer l’habitat par l’odeur, les écoulements nauséabonds et présentaient une vue peu chatoyante lors des processions, mariages, communions, rites religieux. Cependant, l’ordonnance ducale de 1763 imposa l’établissement des tas de fumier sur l’aisance ou le parge et non dans les maisons. Ce cas laisse à penser que l’usoir était la propriété des riverains de l’époque. Ces acquisitions non prouvées ne constituant pas une règle, ces contentieux instruits par le procureur du Roi de la prévôté de Vaucouleurs, confirment ainsi le droit de propriété communal. Encore aujourd’hui, si le riverain conteste ce droit de propriété municipal, il doit apporter la preuve notariée de son bien.
Selon la configuration du village, il y a plusieurs types d’usoirs : l’usoir créneau (compris entre deux maisons, une sorte de cour fermée sur 3 côtés), l’usoir-place situé souvent au centre du village, l’usoir-cour (compris entre deux maisons éloignées l’une de l’autre, l’usoir étroit, surtout devant les maisons de manouvriers, l’usoir enherbé, l’usoir à chemin de pierres sous lequel coule un ruisseau, l’usoir brut, l’usoir empierré, l’usoir-dépotoir.
Dans les années 1900, l’usoir est le lieu de l’activité des villageois et constitue le prolongement de l’habitation, des fermes et des ateliers, voire des commerces. C’est un espace continu qui longe les rues. En 1922, la règlementation prescrit la construction de plateformes bétonnées à fumier et de fosses à purin afin d’assainir ces déchets organiques.
Dans les années 1950, la mécanisation et la modernisation des techniques agricoles tendent à modifier l’emploi de l’usoir, il se transforme en espace plus privatif avec fleurissement et est jalonné par un caniveau, des poteaux électriques, des bordures etc. Les maisons abandonnées sont transformées en hangars. C’est le commencement de la disparition des tas de fumier, un arrêté préfectoral du 20 février 1959 stipulant que ces plateformes ou fosses ne peuvent plus être édifiées sur le domaine public, communal, départemental ou national. Cet arrêté contribue dès lors, à changer la physionomie des rues.
Aujourd’hui, l’activité agricole et l’élevage, d’une manière générale ont quitté les rues des villages pour s’installer en périphérie pour plus d’espace et d’aisance. Les usoirs devenus des espaces libres sont ainsi transformés en surfaces privatives. Les riverains avec l’accord de la mairie peuvent procéder au fleurissement, au gazonnage, à la plantation d’arbustes ou d’arbres décoratifs, au pavage, à l’installation de jardinières, à l’implantation d’une clôture ou d’une barrière.
Ces usoirs ainsi urbanisés deviennent plus personnels et participent depuis quelques années à l’amélioration de l’habitat et à l’embellissement généralisé de nos villages. Ces derniers, plus accueillants et offrant une agréable qualité de vie attirent désormais les citadins.
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