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Et c'est celle de...

Fourment hugues 3

Hugues FOURMENT

Note d'intention : Je suis resté un grand gosse. Tout jeune, j'aimais lire des BD de cow-boys (La Route de l'Ouest, Yuma, Carabina Slim), des romans du Far West (Gordon D. Shireffs, Louis L'Amour et surtout Clifton Adams) ou voir des westerns à la télé.
Cette passion demeure, mais je m’intéresse maintenant aux authentiques récits de l'Ouest. Ils sont souvent plus riches, plus surprenants et plus palpitants que les récits de fiction. Alors, j'ai souhaité partager avec vous l'une de ces histoires. Authentique, comme je disais. J'ai repris les noms, les lieux, les dates et les faits avec le plus d'exactitude possible, mais en vous contant cette histoire à ma manière et en essayant de lui donner du sens.

Bonne lecture, mes amis.
Hugues

Le point de vue d'un judas

TEXAS, 1878

 Il devait être deux ou trois heures du matin quand deux types traversèrent les rues sombres et silencieuses de Denton. Celui qui ouvrait le passage était un quinquagénaire baraqué. Il portait un grand chapeau de cow-boy, une étoile de shérif et deux revolvers Remington de calibre 44 à la ceinture. Celui qui le suivait était un garçon de 25 ans à la peau encore douce et délicate, ce que tentait de contredire une grosse moustache de virilité. Il était nu-tête, ne portait pas d'arme, et avait les mains menottées dans le dos. 
Ils arrivèrent à Bolivar Street, à la fois si proche du centre et si proche de la sortie de la ville. Le shérif s'arrêta alors devant une maison. Il frappa deux coups à la porte, l'ouvrit légèrement et passa la tête dans l’entrebâillement.

— J'vous amène le prisonnier, dit-il.
— Vous pouvez le faire entrer, shérif. Merci à vous.

Tandis que le shérif Eagan restait dehors, de guet devant la porte, Jim Murphy, l'homme menotté, pénétra à l’intérieur. Il s'avança et reconnut le gîte et salon de thé de Miss Perkins chez qui il allait parfois boire le thé et manger des biscuits avec son épouse Molly et ses deux petites jumelles.

— Asseyez-vous Murphy, dit une voix masculine.

Murphy reconnut le capitaine June Peack, assis à une table ronde avec, à ses côtés, le chef des Texas Rangers, le commandant John B. Jones en personne ! Il y avait du beau monde pour l'attendre.
En s'asseyant face aux deux hommes qui fumaient, il ressentit l'ambiance secrète et mystérieuse de la rencontre, celle-ci se trouvant renforcée par l'éclairage tamisé, les nuages de fumée de cigarettes, et les visages graves et inquisiteurs des deux officiers.

— Comment allez-vous Murphy ? demanda Peak.

Murphy regarda, de ses yeux sceptiques, la face lisse, rasée et impassible du capitaine. « Il ne ressemble à rien, pensa-t-il. Il est aussi expressif que du fromage ! »

— Alors ? insista Peack.
— Ça va aussi mal que vous le souhaitez. Vous nous avez brisés. Vous avez arrêté mon père, mon frère et moi.  Alors que nous n'avons rien fait...
— Vous êtes les complices de Sam Bass, le pilleur de trains !
— Certains disent que c'est « Robin des Bois », d'autres le surnomment « le bandit bien-aimé ».
— Il n'a pas à être aimé, c'est un bandit ! Et vous êtes de sa bande !
— J'ai jamais volé, ni tiré sur personne. Et c'est encore plus vrai pour mon père, un des bâtisseurs de cette ville. Il va mourir si vous vous acharnez à le garder en cellule.
— Nous le libérerons... si vous nous donnez Sam Bass !

*
*   *

Sam Bass, son pote brigand... Jim se rappela les heures joyeuses. C'était seulement sept ans en arrière, mais ça paraissait si loin. Le trio d'amis : Sam, Frank et lui. Trois jeunes gars qui sortaient ensemble le samedi soir pour trinquer au saloon ou draguer les filles du bal. Ils étaient bien différents de par leurs origines, leurs parcours, leurs caractères, mais ils formaient une bande unie. À la vie, à la mort.
Sam Bass était orphelin. Né dans l'Indiana, il était arrivé à Denton à l'âge de 19 ans pour devenir cow-boy et n'avait
trouvé qu'un job d'homme à tout faire auprès de Papy Eagan, le shérif de Denton. Assez flambeur, il avait fait l'acquisition d'un cheval de course ''Denton Mare'' qu'il montait comme un crack lors des courses régionales. Tout le monde adorait Sam à cette époque. En quelques mois, il était devenu la gloire du pays, le champion charismatique. Et puis le cheval avait vieilli, Sam avait dû le céder et, comme il s'était habitué à la facilité, il était devenu bandit.

Frank Jackson - un vrai Texan celui-là ! - était également orphelin. Il était un des cow-boys du Ranch Murphy. C'était le plus jeune de la bande, le plus attachant, le plus courageux, et... le plus barjot, ce qu'attestait la violence de son premier meurtre en 1876 : un égorgement en règle sur la personne du voleur de chevaux Henry Goodall.
Quant à lui, Jim Murphy, qui était-il ? Des trois, il était l'enfant gâté. Il gérait le ranch de son prestigieux père, le pionnier et grand artisan des affaires commerciales de Denton. Il avait des parents, des frères, des sœurs, des amis, une épouse, deux filles et une bonne situation. Qu'est-ce qu'il irait se perdre à braquer des trains ?

*
*   *

Murphy considéra la déco rassurante de la pièce : les murs en papier peint jaune couverts d'assiettes décoratives, les rideaux de velours rouge, le vaisselier garni, le poêle en faïence...

— Qu'est-ce que vous faites chez miss Perkins ? demanda-t-il aux officiers. C'est un salon de thé ici, pas une caserne des Texas Rangers.
— Justement, répondit Peack. Nous logeons ici, à l'écart du centre, pour éviter de nous faire provoquer par les partisans de Sam Bass.
— Vous préférez les arrêter, c'est plus simple.
— Exactement !
— Les gens d'ici aiment Bass parce qu'il leur redonne une fierté, expliqua Murphy. Il est le symbole de la résistance à l'Union. Vous devriez le comprendre, vous êtes Texan, non ?
— Je suis d'abord un Texas Ranger. Pour moi, c'est l'ordre qui prime.

Le commandant Jones amorça un geste qui aurait été imperceptible s'il avait émané d'une personne ordinaire : l'index de sa main immobile se leva pour demander le silence. Et il l'obtint aussitôt ! « C'est le pouvoir des hommes forts », pensa Murphy qui aurait donné cher pour pouvoir en faire autant.

*
*   *

Parmi ses connaissances, il y avait bien un autre gars qui exerçait une telle influence sur son entourage : Sam Bass ! Il mettait les gens dans sa poche en claquant des doigts. La force, l'audace, la légèreté... Quand il avait été poursuivi l'année précédente par toutes les brigades de police après l'attaque du train d'or Union Pacific, il s'était payé le luxe de discuter avec les commandants de patrouille qu'il croisait. Son truc, c'était qu'il ne se dissimulait jamais, il avançait toujours en pleine lumière. Et personne ne le suspectait d'être un voleur, tout le monde tombait dans son petit jeu.

*
*   *

— Si on allait à l'essentiel, dit sobrement Jones.

Le commandant portait un costume civil sombre, presqu'assorti à celui de Peak. Il avait dans les 45 ans, les cheveux bruns plaqués et l'incontournable grosse moustache des hommes de l'ouest. Mais c'est son regard qui impressionnait. Beaucoup disaient qu'il transperçait l'âme des personnes qui se présentaient à lui.

— Vous vous souciez de votre père, reprit-il. C'est honorable. Mais je vous rappelle que M. Henderson Murphy est suspecté d'avoir aidé le fugitif Sam Bass et qu'il sera emprisonné au moins jusqu'au verdict de son procès.
— Mais il est malade, commandant ! répondit Murphy avec véhémence. Mon frère et moi pouvons patienter en cellule dans l'attente d'un procès. Mais lui... il mourra si on ne le sort pas de prison.
— J'y viens... C'est l'heure du choix, mon garçon. Entre nous, je veux bien croire que vous n'avez jamais braqué de banque ou de train. Mais je sais que vous avez aidé Sam Bass. Vous l'avez caché et ravitaillé. Ce qui est un crime, un crime qui peut vous valoir la prison à perpétuité... Alors que tout peut se résoudre ! Si vous acceptez de collaborer avec nous, si vous nous donnez juste un petit coup de main pour stopper le gang Bass, alors on retirera les charges contre vous et votre famille. Et votre père sera sauvé.
— Vous me demandez de trahir mes amis.
— À votre place, je n’hésiterais pas : je préférerais sauver les miens que tout sacrifier pour d'anciens amis devenus criminels.

*
*   *

Murphy était à cheval, en route vers le repaire du gang Bass, au « Elm Bottom », la vallée verte et fertile du Comté de Denton. Les Rangers s'étaient de nombreuses fois cassé les dents en y cherchant le brigand bien-aimé. Il est vrai que Sam Bass, ancien pisteur et convoyeur, connaissait le coin comme sa poche.
Donc, pour Murphy, ce n'était pas la peine de vraiment chercher dans tous les recoins. Fallait juste tourner en rond, se mettre en évidence et compter sur la curiosité ou l'amitié de Sam pour le faire venir. Le deuxième soir, il s'installa ainsi sur les bords d'une rivière, sortit de la viande séchée d'une sacoche et commençait à manger lorsqu'il vit arriver à lui trois cavaliers au grand galop. Bien sûr, c'était eux.

— Tu n'as même pas fait de café, râla l'un des arrivants.
— Frank !

La poussière soulevée par les chevaux n'avait pas eu le temps de retomber. Jim se leva et se précipita pour saluer son vieil ami dont le visage exprimait une joie sincère. Il en fit de même avec Sam, qui resta étrangement froid. Enfin, Seaborn Barnes, le type qu'il appréciait le moins, fit semblant de ne pas voir sa main tendue, ce qui augurait du débat difficile à venir.

— Jim, que viens-tu faire ici ? demanda Sam Bass en se plaçant debout face à lui, quasiment tête contre tête. On te croyait en prison.
— Eh bien, j'ai payé ma caution et j'ai décidé de filer avec vous !
— En abandonnant femme et enfants ?

Le massif, brutal et primaire Seaborn Barnes se mit à ricaner méchamment :

— Il ment, Sam ! s'exclama-t-il. Il bosse pour les Rangers, il vient ici pour nous trahir !
— Ton histoire n'est pas logique, dit Bass à Murphy. Tu as tout à perdre en te joignant à nous.
— C'est parce qu'il n'y a plus rien à sauver ! Je passerai ma vie en prison, si je ne me tire pas d'ici !
— Hum...

Barnes se plaça à la droite de Murphy. Il sortit son colt du ceinturon et pointa l'arme sur l'oreille du supposé traître. Ce dernier comprit que c'était sérieux. Il implora Sam Bass :

— Sam, arrête-le ! C'est pas drôle du tout !
— J'sais pas... Essaye de me convaincre qu'il a tort. Essaye. Donne des arguments. Des bons !

Murphy reconnut le cliquetis d'armement du colt. Barnes avait levé le chien et s’apprêtait à tirer pour lui faire sauter la cervelle. Y'avait urgence à réagir.

— Mais je t'ai toujours aidé, bon sang ! Sam, arrête-le ! supplia-t-il.

C'est Frank qui mit fin aux hostilités. Le jeune bandit était rouge de rage et, posant les mains sur la crosse de son révolver, dit ceci :

— Les gars, je vous ai laissé jouer assez longtemps. Maintenant c'est fini ! Jim est un vieil ami. Je sais qu'il ne nous ment pas et je m'en porte garant. Alors, vous arrêtez tout de suite. Car celui qui voudra le liquider devra d'abord me passer sur le corps. Et je vous rappelle que je tire mieux, beaucoup mieux que vous !

*
*   *

Quelques semaines plus tard, un télégramme arriva au quartier général des Texas Rangers, à Austin. Le caporal Wilson vint le porter au commandant Jones dont il était le commis.

— Mon commandant, un message pour vous. Il émane de Jim Murphy.
— Enfin ! Moi qui pensais qu'il nous avait trahis !  En fait, tout le monde le méprise, mais il a du cran. Il en fallait pour nous envoyer ce télégramme. Car si les autres l'avaient vu faire, ils l'auraient descendu.

Le général déplia la feuille et la lut en silence. Le message était le suivant : « Nous sommes en route pour Round Rock pour voler la banque. Pour l'amour de Dieu, soyez-là pour l'empêcher. »

*
*   *

Le vendredi 19 Juillet 1878, Sam Bass, Frank Jackson et Seaborn Barnes se promenaient à Round Rock pour repérer les lieux en vue du hold-up de la banque prévu le lendemain. Ils avaient laissé Jim Murphy acheter de la nourriture pour les chevaux à l'épicerie locale en le chargeant de s'informer sur l'éventuelle présence policière en ville.
Précisément, deux adjoints du shérif, A.W. Grimes et Maurice B. Moore, conversaient sur le trottoir quand ils virent passer les trois étrangers. L'oeil affuté de Moore donna un tour plus professionnel à leur discussion :

— Je crois que l'un de ces hommes est armé, fit-il remarquer. Celui de droite.
— Je vais aller voir, répondit Grimes.

L'adjoint rejoignit le trio avec l'assurance tranquille du policier expérimenté qui a multiplié les contrôles sans jamais connaître de coup dur.

— Excusez-moi messieurs, je suis l'adjoint Grimes, dit-il paisiblement. Je dois m'assurer que vous n'avez pas d'arme, c'est interdit dans notre cité.

Il s'approcha de Bass dont il remarqua le bas de chemise bombé.

— Je crois que vous avez un pistolet dissimulé, fit-il remarquer en faisant mine de vouloir le fouiller.
— Oui, bien sûr, j’ai un pistolet. Et je m'en sers ! répliqua Bass en joignant le geste à la parole.

Les coups de feu tirés simultanément sur Grimes à bout portant, par Sam Bass, Frank Jackson et Seaborn Barnes, le tuèrent presque instantanément. Le shérif adjoint reçut cinq balles dans le corps. Il n'avait même pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Son collègue Moore dégaina dans la foulée, mais touché à la poitrine, il s'écroula à son tour sur le trottoir.
À quelques pas de là, le Texas Ranger Dick Ware était assis dans la salle d'attente du coiffeur. Entendant les coups de feu, il se précipita dans la rue et tomba nez à nez sur les bandits. Ceux-ci ouvrirent le feu dans sa direction, et une de leurs balles frappa un poteau d’attelage qui projeta des éclats de bois sur le visage de Ware. Celui-ci, insensible au mal, riposta aussitôt. C'est à ce moment-là que le commandant Jones, qui était venu en personne à Round Rock suite au message de Murphy, se joignit à la bataille, en compagnie de deux autres Texas Rangers.
Désormais en minorité et pris sous des feux croisés, les trois brigands tiraient dans tous les sens, tout en reculant jusqu'à leurs montures. Mais la mitraille ennemie devenait trop dense : touchés par les balles de Dick Ware et d'un autre ranger, Barnes et Bass s'écroulèrent. Le premier était mort, le second sérieusement blessé. Frank Jackson prit alors les choses en main. Tout en tirant de la main droite, il se servit de la gauche pour relever Bass et l'aider à monter sur son cheval. Puis, il monta à son tour sur son propre destrier et fila, suivi de son partenaire.
Alerté par le bruit de la fusillade, Jim Murphy, qui était toujours au magasin, l'oeil collé au judas de la porte, les vit passer au grand galop. Il remarqua que Bass avait la veste ensanglantée et qu'il vacillait déjà sur sa selle.

— C'est fini, murmura-t-il. Il est fichu.

*
*   *

Seulement quelques jours après l'affrontement de Round Rock, Jim Murphy s'était vu affubler d'un nouveau surnom : Judas. De l'avis général, c'était uniquement à cause de lui si le gang était tombé et si Sam Bass, le héros du sud, était mort de ses blessures deux jours après la fusillade.

Murphy était désormais libre, gracié par les autorités, mais il ne cessait de croiser des regards accusateurs et était rongé par le remords. Le shérif Papy Eagan vint le voir, un jour d'automne, au ranch des Murphy. Il lui trouva mauvaise mine et entama la conversation :

— Jim, dis-moi... tu penses quoi de Frank Jackson ?
— C'est mon meilleur ami, shérif.
— Méfie-t'en désormais. Il traine encore dans le coin. Et... Il aurait dit qu'il resterait ici tant qu'il ne t'aurait pas tranché la tête.
— Tant qu'il ne m'aurait pas tranché... la tête ?!

Murphy se sentit défaillir. Il repensa à ce pauvre Henry Goodall, égorgé comme un cochon par Franck deux ans plus tôt. Ce fichu Frank, il était capable du meilleur comme du pire.

— Ça doit être vraiment son intention, pesta-t-il. Je peux rentrer avec vous, shérif ? Y'a de la place pour moi dans votre prison ?
— Ben oui, mais...
— Je serai plus en sécurité en cellule que dans mon lit ! Emmenez-moi, s'il vous plait.

*
*   *

Murphy mourut un an plus tard à la prison de Denton en ingurgitant de l'atropine. Il s'agissait d'un produit qu'il utilisait pour soigner ses yeux malades et dont il connaissait l'effet mortel s'il était bu. Encore aujourd'hui, on ignore s'il s'est suicidé ou si c'est son ami Frank qui le lui a administré de force...

« La moitié d'un ami, c'est la moitié d'un traître. »

Victor Hugo

Sam bass

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Commentaires

  • Brigitte MONCEY

    1 Brigitte MONCEY Le jeudi, 07 janvier 2021

    Bravo l'ami Hugues !
    Cette nouvelle est digne des fabuleux westerns que je dévorais dans ma jeunesse.
    Tout au long de cette lecture, je me trouvais avec tes personnages, chevauchant dans les grandes prairies de l'Ouest Américain.
    Si je savais dessiner, j'en ferais une bande dessinée !
    Si j'étais cinéaste, j'en ferais un film !
    Brigitte

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