Mme C. Lamotte
Rue des jardins
Bèze-en-Ville
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M. Germain Leste
Rue des jardins
Bèze-en-Ville
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Bèze, le 13 octobre 2020
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Monsieur,
Il y a cinq ans, au jour de ma retraite, j’ai préféré quitter l’agitation de la capitale et me retirer dans un petit village. J’ai longtemps hésité entre une ferme isolée et une résidence en lotissement. Je pense avoir fait le bon choix. Ni trop près, ni trop loin….
Depuis toutes ces années, nous entretenons des relations courtoises. Mais depuis un certain temps, je ronge mon frein…
Vous avez sans doute constaté que je passais un temps certain à faire en sorte que mon terrain soit impeccable. Le vôtre n’est pas mal non plus !
J’aimerais cependant attirer votre attention sur quelques points :
- depuis plusieurs années, je mène une lutte impitoyable contre les rejets de toutes sortes. Le nombre de pousses de mirabelliers m’a interpellé au printemps dernier. Le votre est magnifique et pourtant éloigné de notre clôture mitoyenne. Alors, cet été, derrière mes persiennes, je vous ai observé.
- Depuis l’imminence de la maturité de vos fruits, je vous ai vu les goûter chaque jour et, à chaque dégustation, balancer les noyaux sur ma pelouse. Votre comportement m’éclaire sur un autre phénomène : dès potron-minet, je m’évertue à évacuer les nombreuses pommes de pin qui tombent au pied de mon arbre. Chaque jour, je dois parfaire mon travail en début d’après-midi. Et là, je vous ai aperçu, lors de votre tournée d’inspection, me rejeter celles qui étaient tombées chez vous !
Si on ajoute les bribes de fleurs artificielles du cimetière que le vent d’est m’apporte, j’ai l’impression de passer mes journées à quatre pattes !
Je sais, vous étiez là avant moi, mais cela ne vous confère aucun droit sur le traitement de vos déchets verts.
« À chacun sa merde ! » dirait votre petit-fils qui enjambe régulièrement la clôture pour rechercher son ballon de foot.
Je vous encourage donc à respecter ma quiétude (bien que vos heures de tonte coïncident avec celles de ma sieste).
Dans l’espoir de ne pas vous voir froissé et souhaitant que nous continuions à voisiner en bons termes, je vous prie d’agréer mes salutations distinguées.
C. Lamotte
M. Germain Leste
Rue des jardins
Bèze-en-Ville
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Mme C. Lamotte
Rue des jardins
Bèze-en-Ville |
Bèze, le 14 octobre 2020
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Madame,
Je m’empresse aujourd’hui de vous répondre, car je ne voudrais pas vous laisser dans l’insatisfaction et, partant, faire en sorte que nos belles relations de voisinage se détériorent progressivement au rythme des saisons.
Je vous vois souvent travailler au jardin afin de le rendre charmant tant à la vue qu’à l’odeur. Que dis-je ! Votre petit coin de nature embaume des subtils parfums des fleurs que vous y hébergez et dont mes narines se ravissent. En même temps, je vous remercie du compliment que vous m’adressez pour la tenue de mon petit coin de nature.
Mais venons-en aux faits. Il est vrai que j’ai surveillé chaque jour avec gourmandise et impatience le mûrissement de mes mirabelles. Il est donc tout à fait possible que, venant en goûter, j’aie distraitement jeté quelques noyaux dans votre terrain, mais je pense que le vent parfois violent et les oiseaux friands ont fait le reste.
Pour ce qui est des pommes de pin, je veillerai à ne plus les renvoyer dans votre propriété et je les garderai précautionneusement comme combustible à barbecue, ce qui conférera à la viande un fumet particulier. Je note au passage qu’il est plus facile de projeter ce genre de fruit que de modestes noyaux.
Ensuite, comme vous le dites, c’est bien le vent d’est qui vous apporte les fleurs artificielles venues d’un autre monde. Ouf ! je l’ai échappé belle, et pour longtemps, je l’espère, car mon passage outre-tombe ne manquera peut-être pas de me valoir quelques reproches de votre part, que je trouverai injustifiés dans une relation de voisinage qui sera alors au point mort.
Enfin, pour ne pas perturber vos siestes, je vous propose de m’en indiquer l’heure et, mieux, je me ferai un plaisir de m’occuper de votre gazon à votre demande.
Je vais rapidement faire l’acquisition d’une table de ping-pong et encourager mon petit-fils à pratiquer cette discipline sportive moins dévastatrice de parterres floraux et autres buissons ornementaux. Vous verrez, chère madame, tout va changer ; vous le constaterez bientôt de visu depuis votre fenêtre. Ainsi vous pourrez délaisser la déambulation quadrupédique, dont je serai privé.
Sachez que vous ne m’avez en rien froissé et que j’ai tenté de répondre à votre courrier avec un humour proche de celui que je sens vôtre.
Et pour clore, si vous l’acceptez, je ne manquerai pas de vous inviter à venir chez moi déguster quelques délicieuses mirabelles, fraîches à l’été, au sirop, en liqueur ou en eau-de-vie, à l’hiver. Vous en repartirez sans pommes de pin, à moins que vous n’insistiez… Ainsi, j’espère que nous continuerons à voisiner en bons termes.
Recevez, madame Lamotte, mes salutations distinguées.
G. Leste
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