Il y a quelque temps, j'ai visité un village incroyable dont on m'avait parlé. J'aimerais vous faire partager cette découverte...
C'est un village, tout ce qu'il y a de plus tranquille. Les villageois, affairés à leur tâches quotidiennes, se saluent dès leur première rencontre de la journée. Il faut dire que dans un village avec moins de 1000 habitants, tout le monde se connaît. Ou presque.
Chacun vaque à ses occupations. Les deux derniers agriculteurs du village sont aux champs. Le boulanger termine sa cuisson du jour pendant que son épouse vend le pain dans la boutique. Le garagiste gère les réparations des voitures qui lui ont été confiées. Les plus anciens boivent le coup en terrasse des cafés-hôtels. Le tramway dépose ses voyageurs, puis d'autres montent. Les instituteurs des quatre classes, en tout 192 élèves, filles et garçons du village et de villages voisins, progressent dans leur programme pédagogique. Certains hommes sont allés au bord de la rivière pour taquiner le goujon. Les enfants non scolarisés jouent auprès de leurs mères qui taillent une bavette... Bref, tout ce qui fait la vie d'un village paisible !
Il se situe en Haute-Vienne, au nord-est de Limoges.
Ce village avec sa vie, son quotidien, je l'ai imaginé d'après lecture.
Il a un lourd passé. Il s'appelle Oradour-sur-Glane.
Bien sûr, vous en avez entendu parler. Comme moi...
Je m'étais toujours promis, en hommage aux 642 personnes massacrées par la compagnie de SS "Der Führer" le 10 juin 1944, d'aller à la rencontre du passé en déambulant dans les ruines intactes du village.
Ce fut au cours de ce mois de juillet 2020.
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Crédit Photo Yann Arthus-Bertrand |
Crédit Photo André Abolo (France Télévision) |
À l'entrée du site, je découvre tout d'abord le musée du souvenir qui, non seulement relate les faits, mais explique la montée du nazisme depuis 1933 jusqu'à ce jour funeste de 1944, marqué pour l'éternité par l'horreur, la barbarie, et l'inhumanité.
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Crédit Photos Dauphiné Libéré |
Ce samedi 10 juin 1944, les alliés ont débarqué en Normandie depuis 4 jours. Sans doute des ordres venus "d'en haut", ont incité les troupes allemandes à retourner au pays, mais en terrorisant les Français de manière à les dissuader de s'en prendre à eux dans la débâcle, et couvrir ainsi leur repli.
Quoi qu'il en soit, la compagnie SS "Der Führer", issue de la Panzerdivision "Das Reich", (après avoir pendu 99 otages à Tulle en représailles aux attaques des maquisards qui veulent ralentir leur progression vers la Normandie) encercle le village et donne l'ordre au garde-champêtre d'annoncer à la population de se réunir sur le champ de foire pour un banal contrôle d'identité. Hommes, femmes, enfants sont rassemblés puis séparés.
450 femmes et leurs enfants, dont certains en bas âge, sont conduits et enfermés dans l'église du village, tout comme les élèves de l'école et les institutrices.
Pendant ce temps, les hommes de plus de 14 ans sont répartis dans 5 ou 6 granges par groupes de 10 ou 15. Dans chacune d'elles, les SS leur tirent dans les jambes à coups de mitraillettes pour les empêcher de fuir. Morts ou blessés, donc vivants pour certains, les hommes au sol sont recouverts de paille et de bois auxquels les SS mettent le feu. Dans les granges seront retrouvés plus de soixante corps carbonisés.
Dans l'église, une caisse emplie de gaz est placée à l'intérieur avec des mèches qui dépassent. Elles sont allumées. L'objectif est d'asphyxier tous ceux qui sont enfermés. Mais la caisse explose et provoque fumée et incendie. C'est la panique. Les SS tirent sur tout le monde et mettent le feu. Femmes, enfants, bébés sont assassinés. Une grenade explose dans un landau. Deux enfants de 9 et 10 ans seront retrouvés enlacés, une balle dans la nuque. L'incendie est intensifié par les SS de manière à faire disparaître les corps. La plus âgée des victimes est une femme de 90 ans. Une seule femme en réchappera en s'enfuyant par un vitrail cassé derrière l'autel. C'est seulement grâce à elle que sera connue l'horreur de ce massacre. Dans la tuerie, elle perd son mari, son fils, ses deux filles et son petit-fils âgé de sept mois.
Des centaines de corps carbonisés seront retrouvés dans ce village martyr, jusqu'à ceux d'une famille, père, mère et leurs trois enfants dans le four de la boulangerie... J'imagine l'inquiétude de ce père d'un village voisin dont l'enfant n'est pas rentré de l'école, qui vient le chercher à l'école d'Oradour et apprend...
Avant de partir, les SS pillent le village, assassinent les vieillards impotents et handicapés alités pour ne laisser aucun témoin, et incendient toutes les maisons.
Je déambule, une boule à l'estomac, dans les ruines intactes du village tel qu'il a été trouvé après le départ des allemands. Je parcours la rue principale jusqu'à ce qu'entre deux murs à moitié démolis, je me retrouve face à l'église...
Crédit Photo PL
... symbole du massacre. Je reste figé pendant cinq minutes, incapable de faire le moindre pas, juste me dire "C'est là que ça s'est passé" et avoir une pensée de recueillement en hommage aux 450 victimes.
Pour terminer la visite de ce village au passé si lourd, je me dois de passer au Mémorial dans le cimetière. Lorsque je lis les mots sur la plaque du tombeau, j'ai beaucoup de difficultés à cacher mon émotion.
Crédit Photo PL
Ce qu'il reste des 642 victimes est là, devant moi. Les 642 noms sont gravés dans le marbre en arrière-plan. De chaque côté de la plaque, deux urnes funéraires vitrées avec des restes humains retrouvés dans le village...
Aucun superlatif n'est assez puissant pour exprimer l'horreur et la barbarie de ce 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane.
Après 3 heures de visite, je prends le chemin de la sortie, le coeur gros et un vague sentiment de devoir de mémoire accompli.
Une dernière image restera figée à jamais en moi. En quittant le village, je passe devant le champ de foire où toute la population a été rassemblée. 76 ans après, la carcasse d'une des voitures incendiées est toujours là...
Crédit Photo PL
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