Le puits
Cela fait plusieurs années que monsieur Alois, ainsi que sa femme et ses enfants se sont installés dans un hameau. Ils ont été les premiers à faire revivre ce lieu délaissé au fil de l’histoire mouvementée de la région.
Ayant demandé l’accord du maire en fonction, à l’époque, pour clôturer sa propriété, ce dernier se dérangea et constatant que le chemin reliant deux rues s’était déplacé au fil des années avec, en bordure d’un côté, un talus garni de ronces et de rejets d’arbres divers, le maire demanda à monsieur Alois s’il lui serait possible de le nettoyer et de récupérer le bois coupé. En fouillant dans les broussailles, une tête de puits fut mise à jour.
— En voilà une trouvaille… ! Qu’est- ce que l’on peut en faire ?
Il trouva vite la solution :
— Quand elle sera dégagée, je la ferai déplacer au bout de votre propriété, sur l’espace communal libre, à vous ou à d’autres d’y mettre des fleurs, de la garnir, cela vous va ?
— Oui bien sûr, mais ça ne sera peut-être pas forcément tout de suite.
— Cela n’a pas d’importance, elle est là depuis un bon moment, alors !
— D’accord, mais vous savez s’il y en a d’autres ?
— Des puits ? Il y en avait un grand nombre auparavant, ils ont été comblés lorsque l’adduction d’eau potable a été réalisée, les terres du plateau sont imperméables, il y a de la glaise partout. D’ailleurs, les parcs à bestiaux ne sont pas plats, mais ondulés pour faciliter l’écoulement des eaux de pluie vers des petits ruisseaux d’évacuation. Regardez bien, en vous promenant !
— Je l’avais remarqué et maintenant j’en connais la raison ! Merci.
— Bon, trêve de bavardage, nous allons reculer la borne du coin B pour aligner le chemin principal. Pour la clôture, c’est d’accord, je vous ferai parvenir les papiers dans la semaine. Vous pouvez y aller, au revoir.
— Au revoir, monsieur le maire, merci de vous être déplacé !
Il est vrai que monsieur Alois tarda à garnir la tête de puits et ce n’est qu’au bout de deux ans qu’il envisagea de la fleurir. Il commanda divers arbres d’ornement pour lui-même et un cognassier du japon pour garnir la tête de puits. Entre temps, il y eut des élections et le conseil municipal changea… Nouveau maire et nouveaux conseillers…
Un soir en rentrant du travail, il se rendit compte que la tête de puits n’était plus là !
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’interrogea-t-il.
Une courte recherche, un suivi de traces sur le sol et il constata que la tête de puits était chez le voisin… Il se demanda pourquoi. Ce fut un peu en colère qu’il téléphona à monsieur le maire, nouvellement élu.
— Bonsoir, Monsieur le maire ! Je viens de constater le déplacement de la tête de puits mise près de chez moi par votre prédécesseur. Elle se trouve maintenant chez mon voisin !
— Pas du tout ! Elle se trouve sur le territoire de la commune…
— C’est faux ! Vous n’avez qu’à venir voir, je vous montrerai les bornages. C’est du détournement de bien public, de plus je ne vois pas pourquoi la déplacer, sans en parler aux autres intéressés, il y a du copinage là-dessous… Je peux porter plainte…
— Attendez, ne faites rien, je m’occupe de cela et je vous tiens au courant. Bonsoir !
Il n’a pas l’air très content, pensa le maire.
Quelques jours plus tard, la tête de puits fut de nouveau déplacée et monsieur Alois reçut un courrier qui lui précisait que l’objet du litige provenait de l’ancien château. Le contraire, hélas, était impossible à prouver.
Le puits fut installé sur la place du village, près de la mairie. Décision arbitraire qui calma les esprits et le différend, mais pas les rancœurs. Monsieur Alois, lui, tourna la page.
La tête de puits… ?
Elle est toujours au même endroit, esseulée, sans fleurs ni arbustes pour la mettre en valeur… Ce qui est bien dommage !
Le cognassier du japon, lui, fut planté dans la propriété de monsieur Alois…
Il est de toute beauté.
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