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La contribution d'un(e) abonné(e) au Porte-Plume

Ce mois-ci, le lauréat composé d'un binôme féminin
classé deuxième au concours de nouvelles 2020 de PLUME

Thème : "À la recherche des origines"

Messaien
Patricia Messiaen et Mylène Muller

Patricia Messiaen

Née à Verdun le 5 août 1969, Patricia a deux enfants et un petit fils. Elle vit en concubinage avec son conjoint depuis plus de 20 ans. Elle exerce le métier d'assistante de vie à domicile depuis plus de 15 années. Elle a la chance de pouvoir ponctuellement enseigner et  former des stagiaires à ce beau métier dans des centres de formation professionnelle. 
Mylène Muller et elle-même sont très proches. Elles partagent beaucoup de choses, telles que la danse africaine, ce qui leur permet d’organiser plusieurs représentations chaque année.
Elles ont aussi tenté l’aventure de l’écriture et leur cinquième place au concours de PLUME 2019 leur a donné l'envie de récidiver ; elles forment un beau binôme et sont fières de vous faire partager leurs écrits ainsi que leur belle amitié. 

Mylène Muller

Née le 11 avril 1978 à Amnéville, Mylène est maman de deux enfants et est enseignante depuis environ 17 ans.
Elle est présidente de l'association ­« La voix du fleuve » qui fait découvrir la culture africaine par la danse et la musique.
Passionnée de lecture dès le plus jeune âge, c'est à l'adolescence qu’elle rédige ses premiers écrits. Depuis elle n’a jamais cessé, sans pour autant oser les publier.
Partageant ces passions avec son amie Patricia, elles décident de se lancer dans l'aventure PLUME en 2019, avec un résultat honorable qui les encourage à récidiver en 2020.
Elles sont fières de l'amitié qui les lie et les fait écrire à deux mains. Elles sont prêtes aujourd'hui à poursuivre sur cette voie et à ouvrir ensemble un nouveau chapitre de leur vie.


Ecriture

Les yeux de Paupiette

Assise à sa table depuis bientôt deux heures entre une tasse de café amer froid et un petit beignet largement entamé, Sophie désespère à la lecture des quelques pages qu’elle vient péniblement d’écrire. Elle retire la clé USB. Rabat l’écran de l’ordinateur en soufflant. Elle doute.

— Mais quelle idée j’ai eue de m’inscrire à ce concours de nouvelles? Ne suis-je déjà pas assez débordée comme ça? Des heures de travail pour finalement accoucher de ça… nulle, nulle, nulle !!! bougonne Sophie.

Elle souffle encore et encore. Fait les cent pas.

— Non, je ne peux décemment pas rendre ça. Mais c’est tout ce que j’ai...

Elle doute encore, n’a pas envie de décevoir. Elle se rassoit et pense, laisse son esprit divaguer.
C’est alors qu’elle entend le vieux combi Volkswagen pétaradant.

— Tiens, voilà Maman ! se dit-elle, il serait temps qu’elle se débarrasse de cette vieille boite de conserve d’un autre temps.

C’est un véritable ouragan qui déferle alors dans la cuisine.
Très cultivée et d’une infinie sagesse, Marcia débarque. Un look hors du commun, un sourire enjôleur, elle ne passe jamais inaperçue. Originale et maladroite, aérienne dans sa longue jupe fluide que font danser ses jolies rondeurs, cette professeure de philosophie au doux visage finement dessiné ne se déplace jamais sans son furet, confortablement installé dans un sac fuchsia qu’elle porte en bandoulière. D’une couleur indéfinie, il exhibe deux gros yeux globuleux, l’un qui joue au billard, l’autre qui compte les points comme diraient certains. Aussi moche qu’espiègle, Paupiette est le fidèle compagnon de Marcia depuis des années. 

— Alors quoi de neuf Poulette? Ça avance cette nouvelle ? C’est quoi le thème cette année ? Tu as fini ? Tu me fais lire ?” questionne le tourbillon coloré sans reprendre son souffle.
— Oh non maman c’est trop nul. Je ne suis pas inspirée. « À la recherche des origines », je ne sais pas quoi raconter, moi. J’ai d’abord pensé à une jeune fille adoptée qui recherchait ses parents biologiques, mais c’est déjà tellement lu et vu, puis à un fils d’immigrés sous une dictature qui retourne dans le pays natal de ses parents à la recherche de réponses, mais thème amplement abordé aussi… je suis perdue, lâche Sophie dans un soupir.
— Mais pourquoi ne traites-tu pas ce sujet de façon plus large? L’origine du monde, de l’Homme avec un grand H, l’œuf ou la poule etc... Je ne sais pas… propose Marcia pleine d’entrain, comme à son habitude. Attention, le prof de philo a parlé, on va bientôt avoir droit aux citations de Kant  ou de Descartes !
— Mais, Maman, on n’est pas en train de faire une dissert’ là, c’est une nouvelle, ça doit être prenant, surprenant même, il ne s’agit pas de faire un essai sur l’origine d’une bestiole, l’œuf ou la poule, quelle question !!! Dans les deux cas, ils finiront dans mon assiette, fin de l’histoire ! Tu parles d’une chute surprenante ! s’emporte Sophie.
— Ne t’énerve pas Sophie, j’essaie simplement de t’aider. L’Homme est curieux de nature et il est légitime qu’il cherche à savoir d’où il vient vraiment. Création de Dieu, Big Bang… Il y a tellement de possibles… Tu fais partie de cette génération connectée qui obtient tout à coup de clics, tape donc « origine du monde » sur ton clavier et cherche une citation ou une histoire qui t’inspire, dit doucement Marcia.

Sophie s’exécute, « origine du monde ». Clic.

— Oh ben oui, voyons, Gustave Courbet, ah pour ça oui, il ne s’est vraiment pas cassé la tête celui-là, une femme à poil, un titre, trois mots, mystère résolu ! Sérieusement, ça ne mène à rien ! s’emporte Sophie.

Elle pose les coudes sur la table, plonge le menton dans ses mains, ses joues plissant dans une moue d’enfant.

—  C’est bon, j’abandonne ! marmonne-t-elle.

C’est alors que Paupiette, jusqu’alors très agité dans son petit sac, s’immobilise soudainement et semble, malgré son strabisme évident, fixer un objet sur la table, mais allez savoir lequel. Il s’élance alors hors de son sac tel une gazelle prise en chasse et s’empare de la clé USB contenant les longues heures de travail de Sophie puis le malotru détale à une vitesse fulgurante, emportant le précieux objet entre les dents.

— Oh non, non, non, Maman rattrape ta bestiole, là, il y a ma nouvelle dessus !!! s’écrie Sophie, en proie à la panique.
— Je croyais qu’elle était nulle ! plaisante Marcia.
— Oui, mais bon, ce sont des heures de réflexion là-dessus, je ne veux pas tout refaire non plus, rattrape ta bête je te dis !!!

Les voilà qui poursuivent Paupiette frénétiquement. Mais courir après un furet si agile, dans une vieille maison de campagne, ce n’est pas de tout repos, surtout avec des tongs aux pieds, Marcia, Maman hippie jusqu’au bout ! Un vrai sport olympique !
Elles arrivent au grenier. Immense, il regorge de vieux objets poussiéreux, la plupart non identifiés.
Les chasseuses s’organisent.

— Vite! Par là, prends par la gauche, je prends par la droite, on va l’encercler, chuchote Sophie. Cours, cours !

Mais, trop tard, Paupiette est introuvable et silencieux. Il faut marcher à pas de loup, tendre l’oreille, retenir son souffle... Rien.
Soudain une corde résonne.

— Là, la guitare, vite Maman ! lance Sophie.
— Ah ? Tu joues de la guitare, toi, maintenant ? s’étonne Marcia.
— Non, c’était déjà là quand on a acheté la maison, répond Sophie d’un ton agacé.
— Ah, eh bien, à la recherche des origines de la guitare, serait peut-être un tit… lance Marcia, amusée.
— Maman arrête ! l’interrompt Sophie.

La jeune fille plonge la main dans l’instrument de bois pour saisir Paupiette et lui soustraire la clé, mais apeuré il l’aura sans doute fait tomber dans sa course. Elle a beau fouiller, rien. Elle plonge encore plus loin, espérant toujours retrouver le fruit de son travail. Rien.

— C’est fichu ! se dit-elle désespérée en pensant à la déception de ses proches.

C’est alors qu’en extirpant sa main, elle sent un tissu duveteux glisser sous ses doigts.

— Mais c’est quoi ce truc ? Il y a quelque chose dans la guitare ! s’étonne-t-elle.
— Tu es sûre que ce n’est pas une vieille souris morte ? questionne Marcia.
— Sérieux, Maman, je t’adore, mais tu me fatigues, je te jure, je devrais écrire sur les origines de ta personnalité si loufoque, j’en écrirais sans doute 5 tomes ! s’exclame Sophie devant sa mère hilare.

Sophie parvient enfin à récupérer l’objet crasseux.

— Oh la vache ! s’écrie-t-elle, entre étonnement et émerveillement.

Totalement hypnotisée par cette découverte, elle se laisse tomber sur le vieux plancher sec et s’agenouille tel un enfant qui empile des briquettes de Lego, concentré devant la beauté de sa création. Consciente de l’importance et de la solennité de cet instant, Marcia, d’ordinaire si volubile, se retrouve muette. Elle prend place aux côtés de sa fille sans dire un mot. L’instant est magique. La clé USB n’a plus d importance. Paupiette a disparu. Le temps s’est arrêté.
Sophie prend une grande inspiration et souffle délicatement sur sa trouvaille. Un nuage de poussière presque séculaire prend son envol, illuminé par les quelques rayons de lumière qui jaillissent à travers les tuiles fendues de ce vieux toit qui plie sous les années, laissant ainsi découvrir un tout petit livre, précieux, relié au fil d’or, de magnifiques enluminures ornant les coins.
Mais qu’est-ce donc ?
Une bible ? Elle qui cherchait désespérément des réponses à ses questions.
Non, cela n’y ressemble pas. En fait, cet ouvrage ne ressemble à aucun autre, il est trop précieux pour contenir des récits mythologiques, des myriades d’aventures, des réflexions philosophiques, scientifiques ou des courses poursuites entre un furet bigleux informe et deux hystériques...
Non, ce livre, c’est autre chose.
Bien que visuellement défaillant, Paupiette avait vu juste en choisissant cette cachette.
Toujours silencieuse, Sophie caresse précautionneusement la couverture et sent sous ses mains les caractères gravés dans le cuir craquelé. La poussière roule sous la pulpe de ses doigts, laissant découvrir l’inscription « KOVO-KOVO » en lettres capitales. « KOVO-KOVO ». Que cela peut-il être? Ces deux mots sonnent comme une formule magique. Sophie les répète à haute voix, comme envoûtée. Elle ne tient plus. Elle saisit doucement, du bout des doigts, le bord tanné et commence à ouvrir le précieux ouvrage qui, elle en est persuadée, révèle tous les secrets qui l’ont toujours tourmentée. C’est sûr, il contient LA réponse.
Soudain, alors qu’elle tourne la page fine et délicate qui file entre ses doigts, elle est saisie d’un sentiment incroyable, une confusion totale l’envahit tel un courant électrique parcourant tout son corps, ses membres désarticulés s’agitent dans tous les sens, puis elle s’effondre lourdement dans un long bruit strident.

6h00. Le réveil sonne, sonne, sonne. Allongée par terre, une jambe prise au piège dans les draps de flanelle, Sophie, écartelée entre son édredon et sa table de chevet, parvient péniblement à frapper son radioréveil d’une main lourde, faisant tomber le cadre-photo où Marcia, rayonnante, son excentrique furet sur l’épaule et un foulard dans les cheveux, pose l’air rêveur. Elle trouve à tâtons l’interrupteur de la lampe de chevet et, le regard encore embué de ce sommeil agité, ramasse ce doux souvenir d’une belle journée d’été et plonge ses yeux dans ceux de Paupiette.

— « KOVO-KOVO »… Je l’avais entre les mains... Je ne connaîtrai jamais la réponse... Quelques secondes de plus, juste quelques secondes de plus... songe Sophie, abasourdie.
— Ce que tu ignores vaut parfois mieux que ce que tu sais ! aurait dit Marcia. Continue à chercher, c’est le propre de l’Homme !

— Vite, un stylo ! s’écria Sophie, emparée d’une soudaine fièvre brûlante d’écriture...

Ecriture

Rendez-vous dans cette rubrique "Porte ouverte" du Porte-Plume de juillet-août pour découvrir la lauréate classée troisième : Marie-Thérèse ARMAND
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Commentaires

  • Dejovilliers

    1 Dejovilliers Le mardi, 02 juin 2020

    Bravo pour ce texte amusant et bien construit ! J'ai aimé cette lecture. Le premier paragraphe rend curieux d'en savoir plus et l'intérêt ne faiblit pas ensuite. La manière dont vous avez traité le thème m'a semblé originale. Les personnages de la narratrice et de Marcia sont bien campés, les dialogues, les rebondissements nous conduisent jusqu'à la chute inattendue qui relance sur de nouvelles perspectives grâce à l'inspiration qui surgit enfin alors qu'on ne s'y attendait plus ...

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