Les écrivains combattants, en Meuse
au cours de la Grande guerre
Maurice Genevoix (1890-1980)
(Partie 3/3)
Genevoix, à l’issue de cette dure épreuve vécue en février, quitte avec quelques survivants cette « sale » butte pour un repos bien mérité au village de Mouilly. Dans les fermes qui les accueillent, les rescapés de cette première offensive sont hagards, bouleversés. Ils n’ont même pas la force ni l’envie d’écrire à leur parenté toutes ces horreurs qu’ils viennent de vivre. Genevoix, lui-même après avoir longuement hésité, écrit son ressenti ; il a besoin d’extérioriser, de faire connaître cette effroyable machine à tuer. Sont-ce là ses débuts d’écrivain ? Car écrire, peut se révéler un remède, une catharsis. Il tente de se purger, d’écrire l’ignoble, je le cite : « Lors de ce violent bombardement, je reçus sur ma tête des paquets d’entrailles et sur mon bras une langue qui pendait, encore accrochée à l’arrière-gorge, mon Dieu ! mon Dieu ! ». Écrivant cela, il pense à son Ami Porchon, tué sur cette butte martyre.
De mars à la mi-avril, les combats pour le contrôle de la crête des Éparges perdurent dans un effroyable chaos. Au début de mars, retour dans l’horreur « vais-je m’en sortir ? ». Les combats reprennent avec acharnement, chaque belligérant ne veut pas céder un pouce de terrain. L’Écrivain se prend à rêver d’un ailleurs, il n’en peut plus de cette crête, il veut en partir, la quitter et ne plus y retourner. Mais il fait face : surtout, ne pas montrer son désespoir à ses hommes, ils doivent lui faire confiance. Alors, ne laissant rien paraître, il commande dignement et humainement ses subordonnés. Sur les cadavres allemands, lors des fouilles, les Poilus relèvent des courriers récents. Certains ont écrit que leur moral n’était pas folichon, que la guerre est longue, que la nourriture ne suit pas. Bref, l’ennemi lui aussi peine à retrouver de l’allant au combat.
De la fin mars à la mi-avril, pas de grand changement, la crête est toujours en partie aux mains des Allemands. Les régiments français s’efforcent de les déloger, ils grignotent le terrain et réussissent à reprendre la moitié de cette butte. Le point « C »[1] est conquis difficilement et malgré les contre-attaques allemandes, reste dans les lignes françaises. Puis, ce sont les assauts répétés en vain sur la pointe Est de la butte, le point « X »[2] qui demeure aux mains des Allemands jusqu’au 13 septembre 1918. À l’issue de ces assauts répétés, le régiment de Genevoix est relevé et gagne le village de Dieue-sur-Meuse pour quelques jours de détente. Le temps de compléter les effectifs pour mieux repartir au combat. En effet, le répit est de courte durée, les Allemands se montrent à nouveau menaçants. Genevoix et ses hommes repartent vers l’horreur.
Puis vient le jour où !!!
Ce 25 avril 1915, les Allemands bloqués sur la crête des Éparges tentent de percer les lignes françaises dans le secteur de la tranchée de Calonne. Sur la côte de Senoux (tranchée de la Calonne) au début de l'après-midi, Genevoix arrivé à la rescousse, place ses hommes en position de tir dans des tranchées improvisées. Il parcourt la ligne en recommandant de s'abriter et d'économiser les cartouches. Il donne ses ordres debout, défiant le pire, ne redoutant pas d'être décelé et continue à haranguer sa section. Un tir nourri des Allemands atteint plusieurs de ses soldats. Il est meurtri de voir quelques compagnons touchés à mort. Un de ses hommes le prie de se mettre à couvert, trop tard, il est touché à trois reprises par deux balles au bras gauche et une sur le côté gauche au niveau supérieur de la poitrine. Il s'affaisse, met un genou à terre et se rend compte qu'il ne peut plus se relever. Je le cite « Je suis tombé un genou à terre. Dur et sec, un choc a heurté mon bras gauche ; il saigne à flots saccadés, je voudrais le ramener à moi, je ne peux pas, il tressaute à nouveau au choc d’une deuxième balle, du sang en sort par un autre trou. Je ne peux me relever, mon genou pèse sur le sol, comme si mon corps était de plomb ; ma tête s’incline et sous mes yeux un lambeau d’étoffe saute au choc mat d’une troisième balle. Stupide, je vois sur ma poitrine, à gauche près de l’aisselle, un profond sillon de chair rouge. Il me faut me lever, me traîner ailleurs, je pousse des gémissements rauques…». Il vient de se rendre compte qu’il va falloir quitter ses camarades de misère, ceux qu'il appréciait. Enfin secouru, il est amené dans un abri proche où il est pansé par le médecin aide-major Larrigue. C’est dans le fracas d’un bombardement allemand qu'il est ensuite évacué sur Mouilly où une ambulance le transporte à Rupt-en-Woëvre. Dans une grange improvisée « poste de secours », il reçoit des soins plus sérieux, puis est transféré à la gare de Verdun où il est jugé intransportable. Vers minuit, il est finalement dirigé sur un hôpital militaire de cette cité pour y être opéré le lendemain matin.
La guerre est terminée pour lui. Au cours de sa convalescence, chez lui, à Châteauneuf-sur-Loire, débutera sa carrière d’écrivain[3]. Incidemment, le même jour dans le même secteur (?) Ernst Jünger (également futur grand écrivain), soldat au 73ème régiment de fusiliers qui faisait face au 106e RI, sera blessé par un éclat d'obus à la cuisse. Il est l'auteur de l'ouvrage témoignage "Orages d'acier" (voir articles de février et de mars).
Je termine par deux de ses citations, d’abord celle qui rend hommage à tous les Poilus « Ce que nous avons fait, c’est plus qu’on ne pouvait demander à des hommes, et nous l’avons fait » et sa plus belle « Si l'humanité n'était faite que de romanciers, il n'y aurait pas de guerres. »
[1] Un Monument y fut érigé en mémoire de la 12ème division d’infanterie dont le106ème RI de Genevoix fait partie, appelé également « monument du Coq ».
[2] Un autel y est érigé avec une fresque sculptée par Louise-Mina Fischer en mémoire de « ceux qui n’ont pas de tombes ».
[3] Il est soigné sept mois durant, conduit d'un hôpital à l'autre : Verdun, Vittel, Dijon et Bourges. Les blessures reçues au bras et au flanc gauche le marquèrent pour le restant de sa vie. Il est réformé et perd l'usage de la main gauche. À l’issue de sa convalescence, il retourne alors à Paris où il assure un service bénévole à la Father's Children Association. Le nouveau directeur de l'École normale où il loge l’invite à reprendre ses études afin de présenter l'agrégation. Il refuse afin de continuer la rédaction de son témoignage de guerre.
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