Synthèse du jury
Nous, membres du jury, redoutions que le confinement, éloignant les élèves des établissements scolaires et de leurs enseignants, ne soit fatal à cette rubrique. Nos craintes se sont malheureusement vérifiées, car nous n’avons reçu qu’un seul texte.
Aussi avons-nous décidé de consacrer cette synthèse mensuelle à la mise en commun des analyses individuelles de cet unique poème, parce que son auteure le mérite, d’une part pour le courage d’avoir osé l’envoyer pendant cette période difficile, d’autre part pour sa qualité d’écriture. Certes son poème est un peu court, mais avec des mots assez bien posés, elle a su au-delà d’une simple description, partager sa nostalgie, rendre hommage au labeur et donner matière à réfléchir.
Si du moulin la silhouette griffe toujours le ciel, front fièrement relevé vers les étoiles, sans doute son cœur ne bat-il plus, figé et silencieux depuis la disparition du dernier meunier. La toile de coutil est déchirée et les ailes à jamais immobiles évoquent, plus encore que lorsqu’elles faisaient chanter les meules de pierre, le temps qui passe inexorablement.
Bien des écrivains ont évoqué ces monstres alliés du vent dressés entre ciel et terre, symboles de contemplation, de la fuite implacable des jours rythmés comme par l'Horloge de Baudelaire « dont le doigt nous menace et nous dit : Souviens-toi ! »
Ils peuplent les fabliaux du moyen-âge, Cervantes a envoyé son héros, Don Quichotte, les conquérir dans sa quête d’absolu, Maupassant les a recouverts d’or…
Tandis que devant moi,
Dans la clarté douteuse où s’ébauchait sa forme,
Debout sur le coteau comme un monstre vivant
Dont la lune sur l’herbe étalait l’ombre énorme,
Un immense moulin tournait ses bras au vent.
D’où vient qu’alors je vis, comme on voit dans un songe
Quelque corps effrayant qui se dresse et s’allonge
Jusqu’à toucher du front le lointain firmament,
Le vieux moulin grandir si démesurément
Que ses bras, tournoyant avec un bruit de voiles,
Tout à coup se perdaient au milieu des étoiles,
Pour retomber, brillant d’une poussière d’or
Qu’ils avaient dérobée aux robes des comètes ?
Puis, comme pour revoir leurs sublimes conquêtes,
À peine descendus, ils remontaient encor.
(23-24 octobre 1897)
Poésies diverses
Nous ne pouvons pas omettre d’évoquer le poème empreint de tout le symbolisme morne d’Émile Verhaeren
Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,
Il tourne et tourne, et sa voile, couleur de lie,
Est triste et faible et lourde et lasse, infiniment.
Depuis l’aube, ses bras, comme des bras de plainte,
Se sont tendus et sont tombés ; et les voici
Qui retombent encor, là-bas, dans l’air noirci
Et le silence entier de la nature éteinte.
Un jour souffrant d’hiver sur les hameaux s’endort,
Les nuages sont las de leurs voyages sombres,
Et le long des taillis qui ramassent leurs ombres,
Les ornières s’en vont vers un horizon mort.
Autour d’un vieil étang, quelques huttes de hêtre
Très misérablement sont assises en rond ;
Une lampe de cuivre éclaire leur plafond
Et glisse une lueur aux coins de leur fenêtre.
Et dans la plaine immense, au bord du flot dormeur,
Ces torpides maisons, sous le ciel bas, regardent,
Avec les yeux fendus de leurs vitres hagardes,
Le vieux moulin qui tourne et, las, qui tourne et meurt.
En attendant ce que le mois prochain nous réservera, et pour terminer par quelques lignes ensoleillées, nous vous proposons de revivre le début de l’Installation de Monsieur Daudet au moulin de ses fameuses Lettres :
« Ce sont les lapins qui ont été étonnés !… Depuis si longtemps qu’ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs et la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte, et, trouvant la place bonne, ils en avaient fait quelque chose comme un quartier général, un centre d’opérations stratégiques : le moulin de Jemmapes des lapins… La nuit de mon arrivée, il y en avait bien, sans mentir, une vingtaine assis en rond sur la plate-forme, en train de se chauffer les pattes à un rayon de lune… Le temps d’entrouvrir une lucarne, frrt !... »
Et si l'on ajoute que ce moulin que vous avez devant les yeux est celui de Fontvieille en Provence, dans le département des Bouches-du-Rhône, qui a engendré l'œuvre d'Alphonse Daudet "Les lettres de mon moulin", on ne peut que regretter le confinement qui a empêché les élèves de se confronter à une réalité... littéraire.
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