Les écrivains combattants, en Meuse
au cours de la Grande guerre
Maurice Genevoix (1890-1980)
(Partie 1/3)
Au cours de l’été 2011, je reçois une invitation de la part de l’organisme « Mission histoire » du Conseil Général de la Meuse. La surprise est de taille, car il est mentionné que je suis convié pour accompagner la fille de Maurice Genevoix, Sylvie. En effet, cette dame désirant lui rendre un dernier hommage effectue un pèlerinage mémoriel en septembre à la Vaux-Marie et aux Éparges, deux sites où son père a combattu et que je connais très bien. Au cours de ces visites, nos échanges cordiaux et enrichissants permettent d’approfondir mes connaissances sur l’écrivain et sur l’amitié indéfectible vouée au sous-lieutenant Robert Porchon. Quant à mon questionnement sur le rapprochement désiré par Ernst Jünger, « ce dernier devenu le Grand romancier que l’on sait », son ennemi d’hier, elle demeure fuyante et peu éloquente.
Genevoix, ce Solognot est né le 29 novembre 1890 à Decize (Nièvre). Fils de commerçants, particulièrement doué pour les études, il entre à l’École Normale Supérieure en 1911 et au cours de cette même année, effectue son service militaire au 44e régiment d’infanterie de Bordeaux. En 1913, il soutient un mémoire d’études supérieures sur Maupassant, un de ses auteurs préférés. Préparant son agrégation pour enseigner à l’étranger au moment de la déclaration de la Grande Guerre, il est contraint d’abandonner ses études. Il rejoint comme sous-lieutenant de réserve le 106e régiment d’infanterie. Il est alors âgé de 23 ans. Le 24 août 1914, à Châlons-sur-Marne, il prend le train avec un détachement pour débarquer à Charny (une dizaine de kilomètres au nord de Verdun). Il vient de mettre pied dans la Meuse et la quittera définitivement le 25 avril 1915. À cet instant, il ne sait pas encore qu’il rédigera « Ceux de 14 ». Cet ouvrage, connaissant une notoriété certaine, est l’œuvre qui le lance la carrière du futur grand écrivain.
Sitôt arrivé à Charny, son détachement rejoint le 106e R.I à Gercourt. Durant ce court périple, il traverse plusieurs villages (Marre, Chattancourt, Haucourt, Malancourt…) où il est marqué par l’étalement de gros tas de fumier devant les fermes, et par le fait que les habitants refusent de partir malgré le son du canon qui gronde. À Montfaucon, il reçoit le baptême du feu de l’artillerie ennemie. Je le cite « Une détonation lointaine, que je reconnais : artillerie lourde allemande. Au sifflement, je me rends compte tout de suite que l’obus vient droit sur nous. Je regarde Montfaucon, je vois, près de l’église, une gerbe de flammes et de fumée qui jaillit ; deux secondes, et la détonation nous arrive, brutale et lourde ».
À peine installé en position défensive, le régiment reçoit l’ordre de faire mouvement vers le sud du département en contenant la poussée ennemie. Il parcourt avec sa section les paysages meusiens qui le saisissent par leurs caractères, vallons, grandes prairies, forêts et plaines fertiles qu’il décrit si bien dans son ouvrage « Ceux de 14 ». C’est la retraite stratégique en passant par la vallée de la Cousances (Brabant-en-Argonne, Julvécourt, Ippécourt…) jusque dans la région de la vallée de l’Aire (Courcelles-sur-Aire, Chaumont-sur-Aire…) Condé-en-Barrois où il reste quelques heures, et Seigneulles où il rencontre des commerçants ambulants venus de Bar-le-Duc vendre leurs produits meusiens ; notamment la confiture de groseilles, ainsi devenue sa gourmandise et celle de son ami Robert Porchon. Puis, sur ordre de Joffre, c’est la contre-offensive, celle qui permet de repousser les Allemands vers le nord et le nord-est.
Nous sommes dans les prémices de la première bataille de la Marne qui débute le 6 septembre. Son régiment reçoit l’ordre de se porter dans le secteur de Rembercourt-aux-Pots afin d’enrayer avec d’autres unités l’offensive ennemie. C’est notamment dans le secteur de la Vaux-Marie (proximité de Rembercourt-Sommaisne), que d’âpres combats se déroulent du 9 au 11 septembre. Il se rend compte désormais des horreurs de la guerre, lui-même confronté aux redoutables soldats allemands du Comte de Wurtemberg où un certain lieutenant Erwin Rommel[1] lui fait face.
La bataille de la Vaux-Marie est un combat d’une rare violence au cours de laquelle les belligérants s’entretuent, où la haine de l’autre surgit du tréfonds de l’être humain. La vision de l’église en flamme de Rembercourt-aux-Pots le perturbe, le désole, je le cite « À partir de trois heures, l’artillerie allemande bombarde Rembercourt. À cinq heures, le feu prend à l’église. Le rouge de l’incendie se fait plus ardent à mesure que les ténèbres augmentent. À la nuit noire, l’église est un immense brasier ». L’artillerie allemande se déchaîne sur tout le secteur et empêche nos troupes de pousser plus en avant leur effort. Puis l’artillerie cesse son œuvre de destruction. Alors, Français et Allemands sous une pluie battante, s’étripent, parfois au corps à corps ; au cours de cette mêlée, il échappe de peu à la mort en abattant trois feldgraus. Cette terre jonchée de cadavres devient rouge. Les blés entourant la petite station de chemin de fer et la ferme isolée sont maculés de ce sang recouvrant les gerbes et les blessés agonisants laissés à leur propre sort, les brancardiers ne pouvant tous les ramasser. Mais ces braves Français des 25e, 26e, 29e B.C.P[2] et les éléments du 106e R.I se ressaisissent et arrêtent les Allemands sur cette ligne de front. Trois jours et nuits de durs combats, parfois à l’issue incertaine, marquent les hommes dans leur chair et leur âme, mais le courage et la pugnacité ont raison des troupes ennemies : la première bataille de la Marne est gagnée.
Les Allemands décrochent et remontent vers le nord et le nord-est. Genevoix avec sa compagnie rejoint à nouveau la région de Charny en parcourant la vallée de l’Aire puis celle de la Cousances. Les hommes peuvent enfin s’égayer dans cette rivière et s’y laver. Ils empruntent des chemins bordés de vergers. Les fantassins en profitent pour faire le plein de pommes et de quetsches, beaucoup découvrant ces succulents fruits lorrains. Ils progressent jusqu’à l’orée du bois des Caures où ils cantonnent à Louvemont et traversent la zone boisée d’Haudraumont, prélude à leur installation dans les Hauts de Meuse qui dominent la plaine de la Woëvre. Puis, faisant mouvement vers le sud, ils traversent Douaumont, Fleury où ils cantonnent, Eix, Moulainville, Haudiomont, traversent de longues forêts dont celle d’Amblonville où le régiment doit faire face à des accrochages avec l’ennemi. De petits combats tuent quotidiennement ici et là. Les hommes souffrent de plus en plus des sévices de la guerre. La progression les amène vers Belrupt, Mont-sous-les-Côtes où il est hébergé chez une certaine mademoiselle Thérèse (était-ce de l’amour ?), Sommedieue, Dieue-sur-Meuse où ils sont logés chez l’habitant, Rupt-en-Woëvre où il passe quelques jours de repos et son premier Noël de guerre.
Lors de ces journées dites « de remise en condition », des permissions à la journée sont attribuées aux officiers. Il en profite pour se changer les idées et rejoint à plusieurs reprises Verdun. Il se balade en ville, se fait prendre en photo « Chez Léon » rue Mazel, déjeune dans un restaurant de cette artère principale, puis flâne le long des quais. Empreint d’une certaine morosité, pense-t-il à son devenir avant de quitter cette cité ? Je le cite « Peut-être avant de rentrer, retournerai-je flâner sur les bords de la Meuse, pour regarder dans l’eau les reflets des maisons penchées et les enseignes papillotantes… ».
Hélas, cela ne dure qu’un temps, la guerre reprenant son cours. Le régiment fait mouvement vers Mouilly, franchit la Calonne non loin du secteur où a été tué Alain Fournier, l’auteur du « Grand Meaulnes » pour arriver à Trésauvaux. Ces villages des côtes de Meuse que Maurice Genevoix dépeint si positivement. Je le cite, « je laisse mes yeux vagabonder par la plaine somptueuse et douce. Toute la Woëvre s’offre à eux, vaste comme la mer et vivante comme elle… ». Une telle description venant de la part de cet Homme, ne peut engendrer que la fierté d’être Meusien. Dans ce dernier village mutilé, il est hébergé dans une des rares maisons encore debout. Il y passe quelques jours de repos qu’il met à profit dans ce calme précaire pour se ressaisir en écrivant son ressenti dans son carnet de guerre.
Trésauvaux, village dominé par la colline des Hures et celle de Montgirmont, situé non loin de la butte des Éparges, qui bientôt sera celle de la souffrance et de l’horreur. En effet, il perd sur cette butte maudite son grand ami Robert Porchon. (Partie 2 le mois prochain)
[1] Erwin Rommel sera blessé en Argonne en 1915 et combattra ensuite dans les Balkans, sera décoré de la Croix pour le mérite et combattra à nouveau lors de la 2ème guerre mondiale. Devenu un général de renom, il commandera l’Afrika Korps sous l’appellation de renard du désert. Soupçonné d’avoir participé au coup d’état contre Hitler le 20 juillet 1944, il sera obligé de se suicider en octobre.
[2] B.C.P : bataillon de chasseurs à pied, arme d’infanterie d’élite créée en 1838 par le Duc d’Orléans, Ferdinand-Philippe, le frère du roi Louis Philippe.
|
|
|
La gare de Charny où il arrive le 25 août 1914
|
La ferme de la Vaux-Marie après les combats
|
La rue Mazel à Verdun, qu’il arpente lors de ses courtes permissions
|
|
|
|
Photo prise chez « Léon » rue Mazel lors d’une permission peu de temps avant Noël |
Village de Mont/côtes où il est hébergé chez Thérèse
|
Village de Rupt/Woëvre où il passe son 1er Noël de guerre
|
(Toutes les photos peuvent être agrandies d'un simple clic)
|