La bulle et le tonneau
Même si l’on ne s’appelle pas Diogène, on a dû très vite se confiner totalement ou presque, avec tout ce que cela sous-entend de pratiques quotidiennes, voire routinières, à abandonner ou accommoder. Tous nos comportements sont remis en cause et nous devons nous adapter rapidement à une situation inédite. Cela ne va pas sans quelques difficultés car, pris au dépourvu, nous n’avons guère eu le temps d’élaborer des stratégies ou même un plan de campagne, diront ceux qui ont adopté un vocabulaire guerrier.
Cela ne va pas sans frustration pour certains, puisque les boutons sur lesquels nous avions l’habitude d’appuyer fréquemment en obtenant des réponses automatiques sont devenus inactifs. Les solutions, même simples, nous devons les inventer sur-le-champ, en même temps que l’adaptation doit, si possible, être brève et rapide.
Outre les risques encourus s’il n’est pas respecté, le confinement peut être vécu de différentes façons. D’abord, nous pouvons pester, maugréer, soupirer, nous lamenter, broyer du noir, paniquer, angoisser… Sinon, nous avons le choix de prendre cette situation exceptionnelle comme une occasion supplémentaire ou inespérée de voir les choses de façon positive. Pour celles et ceux qui sont dans cette façon d’être quotidienne, et malgré les difficultés inhérentes, il n’y aura guère de problèmes ou, en tout cas, ces derniers seront vus et traités autrement.
Chacun de nous a en effet le choix de s’isoler dans son tonneau en remâchant et en maudissant sa toute nouvelle vie de reclus sanitaire ou bien de vivre cet isolement en positivant, avec enthousiasme, tout en restant réaliste et en prenant en compte la situation.
On peut s’installer dans sa bulle, celle dont la paroi est si fine qu’on peut la quitter en toute occasion. La bulle est translucide, transparente. Tout autour, on aperçoit la nature, on voit le jour et la nuit, on sent les variations de température, et l’on n’est pas coupé du monde. D’ailleurs, les autres sont proches, vous les voyez, vous les entendez, vous pouvez leur parler, même si ces actes de communication sont plus rares et plus lointains.
Dans le tonneau épais et opaque, c’est le noir (parfois nécessaire pour aller au tréfonds de soi ou faire germer le grain), celui qu’on peut broyer. Dans la bulle, c’est tout différent. Nous pouvons aussi bien y être à la fois isolés et en contact. Fermer les yeux et rester en soi quelque temps peut aider à faire le point, à réfléchir, philosopher, imaginer : tous ces actes que nous accomplissons peut-être moins quand la vie ne fonctionne pas au ralenti. Nous pouvons aussi porter plus d’attention à notre entourage, penser au type de relations que nous entretenons avec lui. Par entourage, n’entendons pas que les membres de la famille, les amis, les voisins, les collègues de travail. Il y a les animaux, la nature, l’air, le ciel...
Quand on sort de sa bulle, on peut avoir envie de changer des choses en tous domaines, de mettre en place des situations différentes de communication, de fonctionnement, de création. Ce ne sont pas l’espace restreint ni de confinement qui peuvent entraver cette démarche très progressive vers d’autres modes de vie. En même temps, cette réflexion appliquée à ce qui nous est extérieur et lointain peut nous amener à méditer sur notre philosophie de la vie, sur les engagements que nous avons, à considérer de façon critique tout ce qui constitue et crée, à nos yeux, un ensemble de dysfonctionnements dont les répercussions sont palpables en tous domaines.
Lorsque l’on quitte sa bulle personnelle, on s’aperçoit rapidement que l’on se trouve dans une autre bulle, où sont installés ceux de notre entourage proche avec lesquels il y a tant à faire : échanger, créer, innover, bricoler, apprendre…
C’est le moment de penser alors à tous ceux qui vivent dans un isolement forcé, précaire et angoissant, qui n’ont d’autre horizon que la survie.
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