Gaston Thiébaut
Lorsque j’ai été nommée à Bar-le-Duc, j’ai mis un certain temps à mémoriser le nom des écoles. Autrefois, on les désignait par le nom de la rue où elles se trouvaient (école de la rue du port, école du quai, etc.). Et puis un beau jour, on les a baptisées du nom de personnalités… que bien peu de gens connaissent aujourd’hui ! L’école où je suis arrivée ne dérogeait pas à la règle et lorsque j’ai demandé innocemment qui était ce Gaston Thiébaut qui lui avait donné son nom, on m’a répondu au pire que c’était un romancier, au mieux que c’était un homme politique. Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité et Gaston Thiébaut a été, je le confesse, mon premier inconnu, le premier dont je me suis efforcée de rechercher la trace.
Gaston Thiébaut naît en 1898 à Samogneux. Ses parents sont cultivateurs, mais lui ne se sent pas attiré par la campagne et préfère aligner les chiffres. Il devient donc comptable et travaille en Meuse, puis dans l’Aisne, avant de revenir en Meuse. Très vite, il se passionne pour la politique et rejoint le parti radical-socialiste à la même époque qu’un certain Mendès-France. En 1932, il se présente une première fois aux législatives à Verdun, mais il est battu par Victor Schleiter. Loin d’être découragé, il se prépare pour les échéances suivantes en se faisant connaître sur le terrain.
Élu conseiller général en 1934, il s’empare de la mairie de Verdun en 1935. Travailleur acharné attaché à sa région, il s’implique dans de nombreuses commissions au sein de son parti. En 1936, un accident tragique va donner un coup de pouce à sa carrière : Victor Schleiter décède lors d’un accident ferroviaire et on doit organiser des élections anticipées. Pour Gaston Thiébaut, cette seconde fois sera la bonne. Il est élu le 26 avril 1936. Muni de la double casquette de député-maire de Verdun, il reçoit de nombreuses personnalités de son époque dans sa mairie, dans le cadre de la mission de souvenir qu’il met un point d’honneur à perpétuer.
C’est ainsi qu’il rencontre Winston Churchill, le sultan du Maroc, Edouard Herriot et le Général Gamelin, mais aussi le Maréchal Pétain, à l’époque encore appelé le « vainqueur de Verdun », et avec lequel il noue de véritables relations d’estime. Après la débâcle de 1940 et la signature de l’armistice, il est convoqué à Vichy, comme tous les parlementaires. On leur demande de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, ce qui revient à supprimer le leur. Ils ne sont plus que 670 sur 846, plusieurs étant morts sur le champ de bataille, et d’autres ayant choisi de rejoindre Londres ou les colonies pour continuer la lutte. De ce fait, beaucoup d’opposants potentiels ne participent pas au vote, et si une vingtaine de parlementaires, comme Herriot, préfère s’abstenir, le gros des troupes s’exécute sans se poser de questions. Seuls 80 parlementaires, malgré les pressions amicales ou les menaces, osent relever la tête et voter non. Gaston Thiébaut est de ceux-là. Philippe Pétain a pourtant tout fait pour l’amadouer, allant même jusqu'à lui proposer une charge ministérielle. Mais malgré son respect pour le Maréchal, Gaston Thiébaut tient bon et reste fidèle à ses convictions républicaines, même s’il sait que cette position risque de lui coûter cher. Un grand nombre de ceux qui ont agi comme lui se feront d’ailleurs arrêter par la suite et plusieurs y laisseront la vie.
Ce ne sera pas le cas pour Gaston Thiébaut, qui s’installe avec sa famille dans l’Indre, au Blanc, sans doute pour se rapprocher de la famille de son épouse. Il ignorera que des ordres ont été donnés pour restreindre sa liberté de circuler et qu’il fait l’objet d’une surveillance constante, jusqu’à ce qu’il décide de rentrer, seul, à Verdun. Au passage de la ligne de démarcation, alors qu’on est en train d’examiner ses papiers, un officier allemand qu’il a connu avant la guerre lui conseille discrètement de retourner au Blanc. Les autorités allemandes possèdent une liste d’indésirables sur laquelle son nom figure et, s’il pénètre en zone occupée, il sera immédiatement arrêté.
Gaston Thiébaut retourne donc au Blanc où il rejoint la résistance locale, se chargeant de cacher des aviateurs anglais pendant que son fils Pierre fait du renseignement sur le trafic ferroviaire. Ils ne reverront Verdun qu’après la victoire. Gaston Thiébaut reprendra son écharpe pour quelques années encore, recevant une nouvelle fois dans ses murs Winston Churchill ainsi que le Maréchal de Lattre, puis il se retirera de la vie publique. Il décèdera en 1982 à Bar-le-Duc. Cet homme discret qui fut « un des premiers résistants de France », selon la formule du Général de Gaulle, est inhumé dans son village de Samogneux qui lui a dédié une rue et une place ; Commercy a donné son nom à la rue où se trouve la gendarmerie, et la ville de Bar-le-Duc lui a attribué une école primaire. Ce sont les seules villes à l’avoir honoré. Bien peu de reconnaissance en vérité pour quelqu’un qui, en pleine guerre, a osé se lever pour refuser la mise à mort de la démocratie !
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