Les écrivains combattants, en Meuse,
au cours de la Grande Guerre (Partie 1)
Ernst Jünger (son passage à Verdun)
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Ce grand écrivain allemand naît le 9 mars 1895 à Heidelberg (Bade-Wurtemberg) et décède à l’âge de 103 ans le 17 février 1998 à Riedlingen, ville située en bordure du Danube (Haute Souabe). Cet homme au parcours littéraire remarquable connaît un destin exceptionnel, blessé à 14 reprises lors de la Grande Guerre, il participe également à la Seconde Guerre mondiale.
Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de celui qui deviendra en 1914 un ennemi de la France, mais de retracer son parcours littéraire exceptionnel. Cette année à l’occasion du centenaire de la publication de son premier ouvrage « Orages d’acier », il me paraît opportun de parler de ce grand écrivain. « Orages d’acier », livre témoignage sur la Grande Guerre, connaît immédiatement un succès dès sa sortie en 1920. D’ailleurs, André Gide écrit dans son journal à la date du 1er décembre 1942, je cite : que ce livre de guerre est incontestablement le plus beau qu’il ait lu. Jünger revient à Verdun à deux reprises, une première fois invité par le maire de Verdun, René Vigneron, le 24 juin 1979 pour le 63e anniversaire de la bataille, où il prononcera un discours désormais ancré dans la mémoire des Verdunois qui commence par cette phrase : « Je m’incline devant ceux qui sont tombés. » Il revient également sur invitation de la présidence de la république le 22 septembre 1984 pour assister aux cérémonies du 70e anniversaire de la déclaration de la Grande Guerre. (Grande cérémonie coprésidée par le chancelier Kohl et le président Mitterrand avec le célèbre échange de poignée de main entre ces deux hommes devant l’Ossuaire de Douaumont en signe de réconciliation, désormais entrée dans l’histoire).
Dès l’enfance, il laisse présager un esprit libertaire et ses parents perdent petit à petit de l’emprise sur ce fils aîné d’une fratrie de cinq frères et une sœur. Cette famille de petite bourgeoisie s’installe à Hanovre où il passe des jours heureux au bord du lac de Steinhude (Basse-Saxe). Son père est pharmacien-chimiste, sa mère est issue de la Franconie. Élève plutôt paresseux et distrait, il préfère la lecture, plus particulièrement celle emplie d’exotisme, il rêve de l’Afrique. Les écrivains ou romanciers qu’il préfère sont Alexandre Dumas, Jules Verne, Edgard Poe et Henry Stanley. Dès qu’il a l’âge de participer à des activités collectives, il adhère à 16 ans au mouvement de jeunesse apparenté au scoutisme en France, le « Wandervogel (oiseaux migrateurs) » où il trouve un épanouissement et sa raison d’être, c’est ce qui l’amène à fuguer en 1913.
Ayant lu dans un journal qu’un jeune homme s’est engagé dans la Légion à Verdun, ce fait divers lui met la puce à l’oreille, et il prépare son escapade. Il quitte discrètement le domicile familial le 28 octobre 1913, muni de quelque argent et d’un pistolet. Il prend le train pour Cologne, direction Trèves pour rejoindre dès le lendemain Metz (ville à l’époque, allemande), le 30 octobre où au cours de cette brève halte d’une journée, il fait connaissance avec la cuisine française encore présente dans certains menus. Le 31 octobre, Jünger en fugue venant de Metz arrive dans l’après-midi à Verdun. Quittant la gare, son premier contact avec cette terre française, fut la vision sur la place éponyme du monument élevé à la gloire de la cité pour son héroïque défense lors du siège de 1870 (déplacé sur l'avenue de la gare et en partie détruit en 1940 par les Allemands). À cet instant, il se dit qu’il se trouve dans une cité illustre. Le baluchon sur son épaule, il entre en ville par la porte Saint-Paul (construite en 1877) et aperçoit une bâtisse imposante avec une inscription sur le côté « Hôtel de la Cloche d’Or » (ancienne procure de l’Abbaye St-Paul. L’inscription, rénovée à l’occasion, y figure toujours). D’un pas alerte, il entre dans cet établissement et demande à la tenancière, en l’occurrence Mme Piron, d’être hébergé pour quelques jours. Surprise par l’arrivée de ce jeune et fringuant étranger, elle acquiesce et lui donne une chambre à l’étage munie d’un lit à baldaquin. Il va vivre dans cet hôtel durant trois jours au cours desquels il partage les repas (omelettes arrosées de vin rouge) et participe aux discussions avec les soldats en quartier libre, affectés au service de garde à la porte Saint-Paul. Il devient en quelque sorte le jeune protégé de Mme Piron. Le troisième jour, se promenant en ville, il aborde un gardien de la Paix et lui demande où se trouve le centre de recrutement de l’armée. Celui-ci lui demande pourquoi. Il répond « Parce que je veux m’engager dans la Légion », le policier rétorque « Ah ! Tu fais une sacrée bêtise, là, mais ça te regarde ! » et lui indique le chemin pour aller à la citadelle haute où se situe à l’époque ce centre. Il se débarrasse de son reste d’argent et de son pistolet qu’il jette dans un égout. Arrivé au poste de garde, il demande à être reçu. Il est alors introduit au bureau de l’officier recruteur qui le questionne, notamment sur son âge. Jünger sentant le piège, triche et avoue avoir le bon âge pour s’engager. À l’issue de l’entretien il passe une visite médicale préliminaire qui s’avère excellente, il signe alors un contrat de cinq ans au sein de la Légion et apprend sans surprise qu’il est affecté en Algérie ; son vœu est exaucé. Il ne retourne pas à l’hôtel et est conduit avec d’autres dans une caserne à Verdun dans l’attente d’un transfert à Marseille.
Peu de temps après, il quitte Verdun pour rejoindre Marseille où il passe sa visite médicale définitive avant d’embarquer le 10 novembre pour Oran. Il est définitivement admis dans la Légion, il se réjouit d’avoir triché sur son âge en se donnant deux ans de plus. C’est à Sidi Bel Abbes qu’il est affecté, au 1er R.E.I, 6e compagnie du 2e bataillon. Peu de temps après, au cours de l’instruction dévolue aux jeunes recrues, en compagnie d’un camarade, il déserte. Ces deux fuyards partent en direction du Maroc. Recherchés, les fugitifs une fois rattrapés sont conduits à nouveau au régiment où ils sont mis aux arrêts et connaissent la prison. La rigueur militaire ne pardonne pas ce genre d’incartade, surtout dans cette Arme d’élite.
Son père, affecté par sa disparition, effectuant des recherches alerte le ministre des affaires étrangères allemand et le fait intervenir auprès de l’ambassade et de plusieurs consulats français. Grâce à cette voie diplomatique, il réussit à récupérer son fils par l’intermédiaire de l’arbitrage de la cour permanente de La Haye. Son contrat est alors cassé et sa libération est ordonnée par une dépêche ministérielle en date du 9 décembre 1913. Libéré le 23 décembre, il rejoint l’Allemagne en passant une nouvelle fois dans l’Est, mais cette fois-ci par Nancy.
Revenu dans son foyer parmi les siens, il est encouragé par son père à poursuivre ses études et à passer le Zeugnis der Reife (équivalent au baccalauréat). Si jamais il réussit dans ce domaine, il lui promet de lui laisser une liberté certaine pour mener sa vie de jeune homme. Il réussit cet examen le 16 août 1914, soit treize jours après la déclaration de guerre à la France. Il met à profit la promesse de son père et s’enrôle contre l’avis de ce dernier dans l’armée. Engagé comme Kriegsfreiwillige (volontaire pour la guerre), il rejoint le 73e régiment de fusiliers au sein duquel il suit la formation d’élève officier. C’est ainsi que le jeune Ernst Jünger entre dans cette effroyable aventure.
(Suite de son histoire le mois prochain)
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Jünger adolescent |
En tenue de légionnaire |
Son premier ouvrage
publié en 1920 |
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