Gabriel Tallent est un écrivain américain, né en 1987 à Mendocino en Californie où il a suivi ses études à la Mendocino High School.
My Absolute Darling est son premier roman, best-seller encensé par de grands auteurs, qui lui vaudra de nombreux prix tels que le prix America du meilleur roman étranger (2018), le prix de l’Héroïne de Madame Figaro (2018), le prix Mystère de la critique (2019).

Julia Alveston, surnommée Turtle, est une adolescente de quatorze ans, orpheline de mère, élevée par Martin, père charismatique, mais monstrueux qui abuse de son amour exclusif et de son autorité pour mettre sa fille sous emprise. Dangereusement attiré par le survivalisme, son éducation consiste à préparer l’adolescente au chaos qui attend la planète.

Si la nature sauvage qu’elle parcourt avec pistolet et fusil s’ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familier est étroit, menaçant. Seules quelques personnes de son entourage l’aideront à échapper à son destin mortifère et incestueux en redonnant du sens à sa vie : son grand-père, Anna, mais surtout Jacob et Brett deux lycéens pleins d’humour qu’elle inquiète et fascine à la fois…

Présenté comme un prodige de la littérature, Tallent nous offre un livre prodigieux et rare tant les ressorts romanesques sont ciselés.

L’ambivalence des deux personnages principaux leur confère une grande densité. Martin est écologiste, autodidacte, fin connaisseur des philosophes, mais il manie gentillesse et sauvagerie comme des armes redoutables à l’encontre de son unique enfant, oscillant entre tendresse et haine, mots doux et insultes. Julia est déchirée entre son amour filial et son besoin d’échapper à ce père prédateur : violée, elle refuse de violer son secret. Sous l’emprise de cet adulte manipulateur, elle devient fragile, voire névrotique, mais son incroyable instinct de survie l’aide à surmonter toutes les épreuves qui la métamorphosent en un animal parfois cruel et destructeur. À quatorze ans, Turtle manie les armes comme une guerrière aguerrie, apte à contrer l’adversité et la souffrance, terriblement féroce.

« Elle se sent éventrée, vidée, rien en elle, rien à dire, elle n’arrive pas à penser, ne ressent rien. S’il y a du chagrin quelque part en elle, elle ne le sent pas. Elle a l’impression qu’on lui a arraché quelque chose dans les tripes, les racines et tout le reste, un grand aulne, et à la place ne demeure plus qu’un vide écœurant, mais c’est tout ce qu’elle éprouve, pas de chagrin, rien. Elle serait capable d’infliger de terribles dégâts, si elle le souhaitait. Elle pourrait faire n’importe quoi, il n’y aurait aucune limite à la peine qu’elle pourrait causer, sauf qu’en cet instant, elle souhaite simplement fermer les yeux, faire tourner son esprit autour de ce vide comme on fait tourner sa langue autour du trou laissé par une dent arrachée. »

C’est avec brio que l’auteur décortique de l’intérieur le fonctionnement psychologique d’un être manipulé. Malgré les sévices subis par son père, Julia l’aime d’un amour dérangeant qui peut heurter le lecteur en fracassant son univers rassurant.

Les décors sont fascinants, improbables : une bicoque délabrée plantée sur une falaise, éloignée de la plage par une jungle et des marécages dangereux pour qui s’y aventure à la légère. Sauf pour Turtle qui en connaît les tracés, la flore, la faune, un lieu sauvage au nord de la Californie où elle se prépare à survivre.

L’écriture est somptueuse, sensuelle, minutieuse et s’adapte aux besoins des situations. Style métaphorique pour décrire la nature, réaliste jusqu’à l’âpreté quand s’affrontent père et fille, angoissant dans les scènes de nuit ou de tempêtes, tendre parfois lorsque les personnages bienveillants interviennent.

Avec ce premier roman, à travers une fable vénéneuse et brûlante, Tallent nous lance un uppercut au cœur. Livre poignant dont on tourne les pages avec passion malgré la violence, la barbarie parfois, l’inceste ; livre dérangeant qui bouscule le lecteur en lui proposant une réalité hors norme.

Une pure merveille. À découvrir absolument !