Cet étrange évènement, à Revigny
Le 6 juin 1975 à 21h35, un gendarme de l’escadron de Revigny-sur-Ornain, dans la Meuse, fut témoin de la présence d'une « soucoupe volante » en bordure de la D 103. Il eut le temps de prendre deux photos de l'étrange appareil qui repartit à une vitesse « énorme » et disparut aussitôt dans le ciel.
Son témoignage fut renforcé par celui d'un collègue du même escadron mobile, celui-ci affirmant avoir fait, en novembre 1974, la même observation au même endroit.
Mais ce que la presse ne nous dit pas... C'est que dans ce même secteur, le 13 juin 1975, soit 7 jours après l'apparition de la 2e soucoupe volante, eut lieu un autre événement mystérieux. Aux premières lueurs du jour, un cultivateur qui traitait ses champs découvrit un petit homme, affamé, hagard, en tenue de cosmonaute. L'homme demandait, dans un français approximatif, assistance et asile. Il fut arrêté et interné...
L'histoire de cet individu, je la connais bien puisque c'est moi qui me suis occupé de lui. Je suis le docteur Albert Nestier, directeur à cette époque de l’hôpital psychiatrique de Fains. Revenons donc, si vous le voulez bien, 44 ans en arrière et découvrons ce que fut mon contact avec celui que j'appelle désormais « Le migrant de Revigny ».
I
– Asile politish, asile politish ! s'exclama-t-il en pénétrant dans mon bureau.
Il n'était même pas assis. Un petit homme tout petit, tout nerveux, tout excité. Installé à mon bureau, une cigarette fumante entre les doigts, je lui désignai le fauteuil qui me faisait face.
– Cigarette ? demandai-je en tendant négligemment mon paquet après qu'il ait pris place.
– Asile politish ! Giscard d’Estaing ! Giscard d’Estaing !
Un bon client, apparemment. Je regardai Bernard, l'infirmier taillé dans le roc. Il était au fond de la pièce pour assurer ma sécurité. Sa présence me rassurait. Pourtant, j'aurais pu aisément maîtriser l'éventuelle crise de démence de l'inconnu, un trentenaire maigrichon qui devait à peine mesurer un mètre 50.
– Vous êtes Russe ? Bulgare ? Roumain ? lui demandai-je.
Il toussa, visiblement allergique à la fumée, puis répéta avec passion :
– Asile Politish !
– Soviet Suprem ? Vladimir Ilitch ? KGB ? Politburo ?
– Niok.
Comme il toussait de nouveau, je me levai, la cigarette au bec, et ouvris la fenêtre pour aérer. Son accent me semblait être celui d'un homme de l'Est. Je comprenais qu'il voulait l'asile politique, il l'avait suffisamment répété. Alors, que pouvait-il bien faire ici, dans un asile psychiatrique ? Pourquoi n'était-ce pas l'immigration qui le prenait en charge ? Je jetai un œil sur son dossier, rempli n'importe comment par un gendarme de Revigny, visiblement spécialiste des fautes d'orthographe.
– Vous êtes M. Gluck, n'est-ce pas ?
– Gluck, Gluck, ami France. Giscard d’Estaing !
– Oui, oui. Mais Giscard d'Estaing, il est pas là. Il est à un concert d'accordéon.
Il commençait à me gonfler avec Giscard. Je regardai Gluck qui portait une drôle de combinaison, dans le style des « Thunderbirds », ces petits hommes de l'espace qu'on voyait à la télé.
– Vous êtes pilote d'avion ? De Mig ? Vous avez franchi la frontière en chasseur ? Quand même pas en fusée !?
Je pointai le plafond du doigt pour qu'il comprenne.
– Vous venez du CIEL !!!
– Yok, Yok ! trépigna Gluck. Ciel, ciel !
– C'est clair, dis-je à Bernard. Cet homme est un pilote de chasse du pacte de Varsovie. Il a franchi la frontière Est-Ouest avec son appareil et il demande l'asile politique. Le vol a dû être exténuant et tendu, c'est pourquoi il est un peu perturbé. Amenez-le à sa chambre, servez-lui une tisane, un Blaxomil, et laissez-le dormir. C'est ce dont il a le plus besoin. Demain, il s'expliquera mieux.
– Entendu docteur, dit Bernard.
Il ajouta, impressionné :
– Vous êtes très fort.
– Je suis médecin.
II
Le lendemain, je retrouvai Gluck en salle de jeu. Une foule de patients était amassée autour de la table où il officiait, car il y écrasait aux échecs le « professeur », notre rondouillard champion des jeux cérébraux. Des mats en moins de 10 coups. Mais ça ne me choquait pas : je savais que les gens de l'Est étaient forts aux échecs.
– Il joue des coups incroyables, me murmura le professeur avec incrédulité. Meilleur que le champion du monde, Bobby Fischer ! Et sa variante sur l'ouverture Caro-Kann, c'est du jamais-vu.
– Vous vous cherchez des excuses.
Je priai Gluck de me suivre jusqu'à mon bureau pour un deuxième entretien. Il abandonna sa place sous les acclamations des malades. Je fus surpris qu'il suscite tant d'émulation et lui demandai, chemin faisant :
– Vous voulez toujours l'asile politique ? C'est réalisable si vous nous dites qui vous êtes...
– Gluck !
– C'est vraiment votre nom ?
– Yok.
– Et votre prénom ?
– Gluck !
– Non, votre PRE-NOM. FIRST NAME !
– Gluck... Gluck Gluck !
– Ben voyons.
Ce jour-là, j'ouvris le dossier de mon nouveau patient : M. Gluck Gluck, de nationalité inconnue, et âgé, selon ses dires, de 2448 ans. Je fus obligé d'admettre qu'il avait davantage sa place dans mon établissement qu'au commissariat, mais je demandai qu'on m'envoie un traducteur russe pour établir un dialogue digne de ce nom.
III
Aucun traducteur ne fit l'affaire. Gluck ne parlait ni russe, ni bulgare, ni roumain. Heureusement, il faisait des progrès stupéfiants en français. Toutefois, nos conversations continuaient d'achopper quand je l'interrogeais sur ses origines. Enfin, le 25 juin, il consentit à lâcher un nom : « Antalia ».
– Antalya ? En Turquie ?
– Antalia. C'est loin, très loin.
Et il entra soudain en déprime, refusant de donner le moindre détail supplémentaire. Quelques jours plus tard, j'eus l'occasion d'en savoir plus. Ce fut durant « la nuit étoilée », créée et animée par le professeur. Ce dernier avait enseigné jadis l'astronomie et aimait partager sa science avec les autres résidents, qu'il s'agisse de malades ou de soignants.
– Ce soir, la Terre croise une région de son orbite où il y a beaucoup de particules, expliqua-t-il. Nous devrions donc assister au passage de nombreuses étoiles filantes.
– Yok !
Pour l'occasion, j'avais emprunté des télescopes que j'avais disposés dans la cour de l’hôpital. La nuit était belle et beaucoup de patients se prenaient au jeu en comptant les étoiles filantes. Certains autres écoutaient les explications du professeur :
– L'espace, disait-il, ne se trouve pas dans l'altitude. Mais dans la vitesse. Pour tourner en orbite circulaire, à 300 km de la terre, un satellite doit se déplacer à 28 000 km/h !
– 28 440,24, précisa Gluck. Votre satellite fera alors le tour de la terre en 90 minutes.
Tandis que le professeur grommelait, Gluck s'empara du télescope et en changea la visée, comme s'il cherchait quelque chose de précis. Je me rapprochais de lui et demandais :
– Vous fixez quoi, Gluck ?
– Espace.
Il se releva et me désigna poliment le télescope. Je mis l'œil dans le viseur et regardai. Mais il n'y avait rien à voir : tout était noir.
– Mais... c'est quoi ça !?
– Antalia.
– Antalia !?
– Antalia est là. Au centre de l'image, cachée dans le noir de l'infini.
IV
Gluck venait donc de l'espace. Du moins le prétendait-il. Ayant l'habitude des affabulations de mes patients, je n'en croyais pas un mot, mais je me gardais de le contredire, de peur qu'il se referme comme une huître.
J'ai retrouvé la bande d'enregistrement de la conversation que nous avions eue sur ses prétendues origines extraterrestres. Je vous la retransmets ici, in extenso :
– Gluck, vous dites venir d'une planète dont le nom serait Antalia. Que pouvez-vous m'en dire ?
– Antalia était une planète de paix et de partage. Mais un jour les Antaliens considérèrent que la richesse et le pouvoir étaient plus importants que l'amitié et la vie. Les territoires se déchirèrent, les sécessions se multiplièrent, les guerres se succédèrent. Peu à peu, Antalia fut ravagée. Aujourd'hui, les gens prennent la fuite. Ils partent à bord des dernières soucoupes et migrent vers d'autres planètes.
– Et la terre, c'est mieux ?
– La terre vit encore.
– Mais il y a aussi des conflits sur la terre...
– Oui, vos armes peuvent tout détruire. Il faut les supprimer et imposer la paix. Pour cela, il faut unir tous les pays en un. Créer un État mondial.
– Rien que ça ! C'est pas gagné... Faudra l'accord des Basques, des Bretons et des Corses.
– Tout est possible aux « êtres de bonne volonté ».
– Et sinon, comment ça s'organise un voyage sur Terre ?
– Il faut payer passeurs. Voyage dangereux.
– Pourquoi la Terre ? Il doit exister d'autres planètes avec de la vie...
– Deux avantages : d'abord la terre est proche d'Antalia, à seulement 3 milliards d'années-lumière.
– Ah ouais, effectivement.
– Ensuite le physique est proche : les Antaliens sont comme les humains, mis à part l'existence du troisième testicule. Vous voulez voir ?
– Surtout pas.
– Comme ça, vous aurez preuve entité extraterrestre.
– Non, ça prouverait rien. Et puis j'ai aucune envie de palper.
Fin de la bande.
V
« …et à l'issue du défilé du 14 juillet, le président de la République, M. Valéry Giscard d’Estaing, recevra des personnalités du monde militaire, politique et sociétal, lors de la « garden-party » de l'Elysée. L'événement se fêtera en musique, une animation assurée cette année par un orchestre de Perpignan. »
– Yok ! »
Passionné par les reportages télés, Gluck faisait une fixation sur Giscard. Un vrai fan. Il apprenait même l'accordéon, l'instrument de musique du président. Tout cela aurait été fort drôle si Gluck n'avait pas eu des soucis de santé. Il s'épuisait au moindre effort et avait du mal à respirer. Le généraliste disait qu'il faisait de l'asthme et lui avait prescrit de la Ventoline.
Mais ça ne marchait pas. Notre patient déclinait chaque jour. En outre, son attitude devenait étrange : il s'isolait et écrivait des notes sur un livret.
– Ça va Gluck ? lui demandai-je.
– Oui. Je travaille. Demain, je regarderai défilé avec vous en salle télé.
– Bien sûr. Mais pas d'efforts inutiles. Le docteur dit que vous devez vous ménager. Il m'a suggéré de vous envoyer en cure dans les Pyrénées, l'air y est très pur.
– Inutile, c'est l'air de la terre qui me tue.
VI
Le lendemain, j'allais retrouver Gluck dans sa chambre quand je découvris qu'il n'y était pas. Un petit mot était posé sur son lit : « Je vais mourir aujourd'hui. Merci ami docteur. Signé Gluck. »
Affolé, je faisais chercher Gluck dans tout l'hôpital. Mais c'était trop tard, il s'était volatilisé. Son ami et rival, le professeur, avait mené sa propre enquête. Il avait récupéré dans une poubelle des brouillons du manuscrit de Gluck :
– Regardez docteur, me dit-il. Il y a là le titre et le plan de son livret.
Je découvris alors ceci :
À l'attention de M. le Président de la République française, M. Valéry Giscard d'Estaing :
Méthode pour assurer l'avenir de la planète Terre
par Gluck, réfugié d'Antalia, 7e système solaire
I - L'expérience d'Antalia.
a/ Grandeur et décadence d'une planète.
b/ L'erreur principale : La division.
II - Un plan pour la terre.
a/ Les humains :
Liberté, égalité, fraternité.
Éducation, civisme et justice.
b/ L'organisation Mondiale :
Créer une Europe Fédérale, puis un Monde Fédéral, puis un État unique : la Terre.
Suppression des concepts nationaux et régionaux.
III - Conclusion : Des humains unis autour d'un seul et même projet, pour l'écologie, la paix et la prospérité partagées.
– Sacré programme ! dit le professeur. Qui se résume en un mot : communisme.
– C'est un testament, répondis-je. Gluck lègue à la Terre son savoir et livre ses conseils.
– Ah, ah ! Vous le croyez maintenant !
– Je crois quoi ?
– Qu'il vient d'une autre planète !
– Non. Mais je le suis dans son raisonnement.
– Alors docteur, puisque vous lisez dans son esprit, vous devez savoir où il est parti...
– Oui, je le sais.
VII
Nous étions trois. Moi, Bernard et le professeur. Arrivés de Bar par le premier train, nous avions assisté aux cérémonies parisiennes du 14 Juillet. Tassés dans la foule, face à la tribune d'honneur, nous avions constamment surveillé à la jumelle le président qui trônait au milieu des ministres.
– Aucune apparition de Gluck, lâcha le professeur, dépité.
– Et la cérémonie est terminée, ajouta Bernard. Il est onze heures !
– Il reste un espoir, dis-je : la garden-party.
Nous nous rendîmes à pied jusqu'au Palais de l'Elysée. Le chemin fut long et difficile, tellement les rues étaient remplies de passants. Enfin, nous arrivâmes à destination. À l'entrée, il y avait la queue et le service d'ordre. J'allai voir directement le chef de la sécurité, lui montrai mes papiers et expliquai :
– Je suis le docteur Nestier, directeur de l'hôpital psychiatrique de Fains. J'ai des raisons de penser qu'un de mes malades s'est introduit à l'Elysée pour parler au président. Il n'est pas dangereux, mais il pourrait créer une situation fort embarrassante.
– C'est impossible qu'il soit entré, dit-il. On filtre les entrées.
– Allons voir, je viens avec vous pour l'identifier.
– Pas question.
– Si vous refusez et qu'il se passe quelque chose, peut-être de grave, vous serez responsable !
Impressionné, l'homme accepta. Nous laissâmes le professeur et Bernard sur le perron et marchâmes d'un pas rapide, traversant la cour de l'Elysée avant de nous retrouver dans les jardins.
– Mon Dieu !
Il y avait 2 ou 3000 personnes à la garden-party ! J'avais le sentiment de devoir chercher une aiguille dans une meule de foin.
– Le président, dis-je au chef de la sécurité. Où est le président ?
– Par là.
Nous fendîmes la foule et j'aperçus un crâne à demi-chauve qui survolait la grande mêlée.
– Le président ! m'exclamai-je, le président !
Enfin, arrivé à une trentaine de mètres, je découvris Giscard qui hochait la tête en cadence face à l'orchestre de Perpignan qui finissait son « paso doble ». Puis, un des musiciens fit un pas en avant et commença à jouer la Marseillaise à l'accordéon.
– Gluck, murmurai-je.
Le président, comme hypnotisé à la vue de l'accordéon, avança vers le petit homme qui jouait avec la maestria d'une Yvette Horner. Le morceau terminé, Gluck échangea quelques mots aimables avec le chef de l'Etat et lui remit son livret.
– Mon cahier de doléances pour la paix, dit Gluck.
– Je le lirai avec attention, promit Giscard.
– Il y a plein d'idées précieuses !
On remit alors un accordéon au président et celui-ci entama « Musette à tout va », en duo avec Gluck, tandis que quelques couples se mettaient à danser autour d'eux. Les bras m'en tombaient.
– C'est quand même pas cet homme que vous cherchez !? me demanda l'agent.
– Si, si, répondis-je d'une voix lasse.
Il était trop tard pour intervenir. À la fin du morceau, Giscard se retira pour parler au président Bokassa et à sa femme (j'appris par la suite que c'était surtout à sa femme qu'il avait à dire). Et l'homme de la sécurité s'empara de Gluck qui s'écroula aussitôt d'épuisement.
– Couchez-le ! m'écriai-je. Il a besoin d'air.
Gluck était livide, sa respiration était plus sifflante que jamais. Les gens en smoking fumaient leurs gros cigares autour de lui et le regardaient mourir avec curiosité.
– Mais reculez ! leur criai-je. Laissez-le respirer, il étouffe !
Puis, je dis à mon ami :
– Gluck, tenez bon. Une ambulance va arriver.
– Trop de pollution à Paris, docteur. C'est fini pour moi.
– Mais non, voyons !
– Mais j'ai réussi : le président Giscard va lire mon projet... et l'appliquer ! C'est un grand homme. Il va créer l'Europe, puis le grand Etat mondial. Et il va abolir les armes, imposer la paix et protéger la nature. Il va le faire !
– C'est possible, mentis-je. Il en est capable.
– Alors, la Terre survivra et Gluck aura réussi.
– Il en sera ainsi.
– France, pays des droits de l'homme...
Ce furent les derniers mots de Gluck. Il était mort pour nous ou plutôt... il n'avait pas voulu mourir sans avoir fait quelque chose pour nous. Était-il vraiment un extraterrestre ? On n'en saura jamais rien. J'ai bien fait le rapprochement entre Gluck et les passages d'OVNI sur Revigny. Mais ça ne prouve rien... Je crois par contre que, dans son rapport remis au président, il y avait plein d'idées lumineuses. Elles brillaient comme ces étoiles, dans le ciel...
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