Nicolas Lorin
(et Marie-Françoise Diant)
Chacun connait le rapport étroit qu’entretiennent les présidents des Etats-Unis avec la religion puisqu’ils prêtent serment sur la bible et demandent officiellement son aide à Dieu dès le début de leur mandat. N’ayant cependant pas de chapelle privée comme les monarques d’autrefois, pendant toute la durée de leur fonction, ils se rendent pour prier dans l’église St John’s qui fait face à la Maison Blanche et où ils possèdent leur banc attitré. Mais savent-ils que lorsque, tout à leur méditation, ils laissent courir leur regard sur les vitraux qui les entourent, ils admirent en fait le talent d’un Français… que dis-je, d’un Meusien ?
Nicolas Lorin nait d’un père cordonnier en 1833 à Nepvant, dans la Meuse et y passe une bonne partie de son enfance. On ne sait pas exactement à quelle date il quitte sa famille, sans doute pour entrer en apprentissage, mais on sait qu’il revient régulièrement dans son village. Devenu adulte, il travaille dans une fabrique de verre peint, au Mesnil-Saint-Firmin, dans l’Oise, et à trente ans, il a acquis une notoriété suffisante pour qu’on lui demande de réaliser les vitraux de l’église de Samer, dans le Pas-de-Calais et qu’on l’autorise à les signer de son nom. Tout auréolé de gloire et muni du titre de maître-verrier, il revient à Nepvant pour y épouser une fille du pays, Marie-Françoise Diant, puis il va s’installer à Chartres où il projette de créer son propre atelier. Il s’installe d’abord rue Saint-Chéron, (non loin de l’emplacement de la célèbre maison Picassiette qui n’existait évidemment pas à cette époque) puis rachète une ancienne tannerie au bord de l’Eure où il installe ses locaux. Il travaille avec de grands dessinateurs, comme Charles Crauk, et forme lui-même ses collaborateurs, que ce soit pour le dessin des cartons (il ouvre un atelier à Paris) ou le travail du verre (à Chartres). Il se fait connaître d’abord dans sa région, mais très vite il va dépasser les frontières et ouvrir des chantiers dans le monde entier : la cathédrale de Saïgon (actuelle Hô-Chi-Minh-Ville) et la co-cathédrale de Jérusalem, pour ne citer qu’elles. En 1876, contacté par le clergé américain, il se rend aux Etats-Unis et réalise des vitraux pour la cathédrale de New-York et la fameuse « église des présidents » à Washington. D’autres marchés lui sont également proposés, mais il laisse à des collaborateurs le soin de mener ces chantiers à bien et regagne la France, sans doute déjà touché par la maladie qui va l’emporter en 1882, à 49 ans à peine. Il continue cependant à travailler jusqu’à son dernier souffle, participant à l’Exposition Universelle de 1878 à titre d’artisan d’excellence.
Au moment de son décès, ses ateliers emploient plus de 53 employés, mais personne ne s’inquiète pour la pérennité de l’entreprise, même si son fils Charles n’a que 16 ans. Car il a préparé son « après » avec son épouse Marie-Françoise qui a toujours été à ses côtés pour gérer commandes et clients et même, quelquefois, pour renforcer l’équipe des verriers. Contre toute attente, à une époque où les femmes-patronnes sont plutôt rares, Marie-Françoise, secondée par Charles Crauk, va poursuivre l’œuvre de son mari sans que personne y trouve à redire et l’activité ne fléchira pas, ainsi qu’en atteste le fameux « Départ pour la chasse » réalisé pour le château des Ollières à Nice, une des premières œuvres profanes de l’atelier. Marie-Françoise réalisera d’ailleurs elle-même quelques vitraux qu’elle signera « veuve Lorin », comme celui destiné à l’église d’Houlgate, et l’atelier sera une nouvelle fois retenu à l’Exposition Universelle de 1889 pour réaliser la décoration du Palais des Machines. Charles reprendra le flambeau en 1895, mettant un terme à la saga meusienne, mais la lignée des Lorin se poursuivra jusqu’à la mort de François, le petit-fils de Nicolas, en 1970.
Aujourd’hui encore, l’atelier Lorin continue à exister, grâce à des verriers d’exception formés par la maison et qui continuent à transmettre leur savoir-faire. Ils disposent d’archives précieuses comme les fameux « carnets » de Nicolas, carnets de travail dans lesquels sont consignés tous les détails de réalisation et de pose des vitraux, ainsi que les cartons réalisés depuis le début. Ces archives apportent de précieuses indications lors des travaux de restauration des œuvres qui sont sorties de l’atelier Lorin, comme ce fut le cas pour la cathédrale d’Hô-Chi-Minh-Ville en 1960.
Si vous voulez voir tous les vitraux réalisés par Nicolas et son épouse, vous devrez faire un très long voyage : Amiens, Chartres, Ablis, Etampes, Bordeaux, Lyon, Nice, Vienne, New-York… Mais si vous ne voulez pas aller si loin, allez donc à l’abbaye des bénédictins de Saint-Mihiel. Les somptueuses verrières sont elles aussi signées Lorin...
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