Par Édith PROT
Henri Cordebard
En 1965, après avoir assisté à un match de football, un supporter se fait arrêter par la police qui le soumet à un contrôle d’alcootest, le tout nouveau procédé qui vient d’être mis en place. Le résultat est positif, ce que notre supporter conteste d’une voix pâteuse. Certains d’avoir affaire à un conducteur en état d’ébriété, mais pas encore convaincus eux-mêmes de la fiabilité du nouveau dispositif, les policiers l’emmènent à l’hôpital tout proche pour lui faire subir un test sanguin. Celui-ci se révélera négatif, mais permettra par chance de diagnostiquer à temps une rupture d’anévrisme chez l’amateur de football. Sauvé grâce à un contrôle d’alcoolémie ! Il peut remercier Henri Cordebard ! Pourtant, Henri Cordebard n’est ni le policier, ni même l’infirmier qui l’a pris en charge. D’ailleurs, il n’est même pas présent sur les lieux. Alors, qui est-il ? Un Meusien, pardi !
Henri Cordebard naît en 1891 à Gondrecourt-le-Château. Il est le cinquième fils de la famille, mais peut suivre des études secondaires au lycée de Bar-le-Duc. Il ne se montre pas particulièrement brillant, mais obtient ses deux bacs en 1908. Il commence alors des études de pharmacie, mais ne peut terminer son cursus, car lorsque la guerre éclate en 1914, il lui reste encore une année à faire. Comme beaucoup à cette époque, il pense que la guerre sera finie rapidement et qu’il reprendra ses études dès sa démobilisation. Il ne sait pas encore que cette guerre va changer son destin. Comme ils ne sont pas diplômés, plusieurs de ses anciens condisciples se retrouvent incorporés dans l’infanterie. Il est donc plutôt satisfait d’intégrer une section d’infirmiers militaires et espère pouvoir faire valoir ses compétences au sein d’une ambulance, nom donné à l’époque à des sortes d’hôpitaux de campagne. Très vite, le nombre de blessés est si important que de simple brancardier en 1914 il accède à un poste de médecin auxiliaire et obtient la Croix de Guerre en 1916 pour son dévouement. En 1917, devant la nécessité de trouver de nouveaux médicaments pour soigner les multiples infections bactériologiques dont souffrent les blessés, l’état-major décide de créer à l’École de pharmacie de Nancy un groupe de pharmaciens-chercheurs placé sous le commandement du docteur Bruntz. Celui-ci réclame la présence à ses côtés d’Henri Cordebard dont il a apprécié l’esprit analytique. Henri quitte donc le front et se consacrera jusqu’à la fin de la guerre à la recherche et à la formation des pharmaciens de l’armée française et de quelques infirmiers américains. Une fois la paix revenue, il retourne à la faculté pour obtenir son diplôme, car il envisage toujours d’ouvrir une Officine à Bar-le-Duc.
Mais sa notoriété est devenue telle qu’on refuse de le laisser partir et qu’on lui propose d’assurer les cours d’analyse chimique à la Faculté de Nancy. Il obtiendra par la suite une chaire de chimie analytique et toxicologique. C’est à ce titre que le gouvernement fait appel à lui après la Seconde Guerre mondiale. Le nombre d’accidents dus à des conducteurs en état d’ébriété devient préoccupant vu l’augmentation du nombre de véhicules individuels et il est difficile de légiférer, car aucun système ne permet de déterminer avec précision la dose d’alcool contenue dans le sang. Henri Cordebard se penche sur le problème et met au point une méthode dite « nitrochromique » permettant de doser avec précision la quantité d’alcool, ainsi qu’un tableau indiquant les conséquences prévisibles sur la vigilance d’un conducteur à chaque stade : pas de signes d’ébriété à moins de 0,5g, ivresse avérée à 1,5g et coma éthylique au-delà de 4g.
Son travail est jugé concluant après plusieurs essais et sa méthode est adoptée en 1955. La suite sera bien entendu du ressort des législateurs, mais le texte de loi qui fixera les sanctions applicables se basera sur son tableau. Certes, il ne fixe de délit qu’à partir de 1,2g dans le sang, mais c’est un premier pas dans une France où la consommation d’alcool fait encore partie de la vie quotidienne à tous les niveaux de la société. Mais ce n’est plus le problème d’Henri Cordebard qui retourne à son travail d’inspecteur des pharmacies du département des Vosges et à ses étudiants de la Faculté dans la ville de Nancy où il décède en 1977.
Aujourd’hui, c’est évidemment l’éthylotest qui est le plus souvent utilisé pour contrôler les conducteurs, mais en cas de doute, on peut encore avoir recours à la méthode Cordebard, ainsi que le firent les policiers dont je parlais au début du texte. Cependant, il faut reconnaître qu’on l'utilise de moins en moins, excepté dans les affaires criminelles.