Par Édith PROT
Jean Dries
(Bar-le-Duc)
La plupart des personnages dont j’ai évoqué la vie n’avaient fait que naître ou passer leur enfance dans la Meuse et on pouvait difficilement attribuer à notre département un quelconque mérite dans leur éventuelle réussite. Jean Dries n’en fait pas partie. La Meuse fut une terre d’asile pour ses grands-parents, des vignerons alsaciens qui abandonnèrent leurs terres en 1871 pour rester français. Bien qu’obligés de quitter la Meuse à deux reprises, pendant la Première Guerre mondiale, par crainte des représailles allemandes (à cette époque, ils s’appellent encore Driesbach), ils y reviennent dès que la situation s’améliore, bel exemple de fidélité à leur nouvelle terre.
Jean naît en 1905 à Bar-le-Duc. Il y fait de brillantes études, mais doit les interrompre après le décès prématuré de son père. Il n’a que 16 ans et entre comme apprenti chez un verrier qui s’est installé quelque temps dans la rue des Ducs. Puis il est victime d’un terrible accident à la colonne vertébrale et doit rester immobilisé pendant huit mois. Il occupe alors ses journées à peindre et à dessiner. Son talent est d’abord remarqué par ses anciens camarades de lycée qui viennent régulièrement lui rendre visite, dont un certain Paul Lemagny qui fera par la suite une brillante carrière de graveur. Mais pas question pour un orphelin sans fortune d’envisager de partir étudier à Paris, me direz-vous ? C’est sans compter avec la solidarité dont les Meusiens sont capables. L’association des élèves du lycée, puis les habitants de la ville de Bar-le-Duc organisent une collecte, et le département lui accorde un prêt d’honneur.
Grâce à cette générosité, Jean découvre Paris et l’École des beaux-arts, la musique classique et les impressionnistes. Il obtient un premier prix de dessin et s’installe dans un atelier de l’île Saint-Louis. Enfin, s’installer est un bien grand mot, car il voyage beaucoup, en France, en Angleterre et en Espagne. Il finit par se fixer à Honfleur où il achète une maison. Puis il se marie en 1939 avec une musicienne. Ne pouvant être mobilisé en raison de l’état de sa colonne vertébrale, il est envoyé en mission en Argentine par le gouvernement français pour organiser le département d’études picturales de l’Université de Mendoza. Après la guerre, les commandes se succèdent, il décore la Cité universitaire de Paris, la Chambre de commerce de Caen et d'Honfleur, et même des cabines de paquebots comme l’appartement Flandres sur le France. Entre-temps, il accepte la charge de conservateur du musée Eugène Boudin, à Honfleur ainsi que la présidence de la société des artistes locaux qui organise un salon annuel.
Tout ceci lui laisse assez peu de temps pour son travail personnel et il doit souvent fuir en Provence pour travailler en paix loin de ses obligations. Cela ne l’empêche pas de produire des œuvres de grande qualité qui lui valent de nombreux prix prestigieux ainsi que la Légion d’honneur pour ses efforts en faveur du développement de l’art. En 1972, il entreprend de faire agrandir le musée d'Honfleur, ce qui va l’obliger à faire de fréquents allers-retours entre Aurel, dans le Vaucluse, où il a installé son atelier, et Honfleur afin d’y surveiller l’avancement des travaux. Il y laissera sa santé et décèdera d’une crise cardiaque en 1973.
On cite rarement Jean Dries quand on parle d’un courant de peinture, car toute sa vie, il a été un touche-à-tout, s’essayant avec autant de bonheur dans le portrait que dans le paysage ou la nature morte et refusant de s’enfermer dans un style. Il préférait utiliser en les mêlant toutes les influences glanées au cours de ses voyages. S’il s’intéressa au cubisme et surtout au fauvisme, il refusa toujours de se lancer dans l’abstrait. Cet artiste inclassable n’est pas facile à admirer, car peu de musées ont acquis ses œuvres, mais on peut en voir plusieurs à Honfleur et à Buenos Aires, ainsi qu’à Bar-le-Duc (La Fédération ou La forêt de Massonge par exemple), si le cœur vous en dit !