Hommage à une Grande Dame
Soeur Gabrielle
Clermont-en-Argonne ne saurait être dissociée d’un personnage qui a vécu quelque 18 années dans cette belle localité meusienne, dont 4 années à servir avec détermination et courage au sein de l’hospice communal, durant cette effroyable guerre de 14.18.
Née le 2 janvier 1872 à Saint-Jean-des-Ollières (Puy-de-Dôme), Marie Rosnet reçut une insigne éducation religieuse et, respectant sa foi, rejoint à 19 ans l’ordre des filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul où elle choisit le nom religieux de Sœur Gabrielle. Au cours de son premier poste à Lyon, au sein de cette congrégation, elle s’initie au métier d’infirmière. Elle rejoint, après avoir passé quelque 18 années dans la capitale des Gaules, l’hôpital de Clermont-en-Argonne en 1909 et, en 1921, elle en est nommée mère supérieure.
Au cœur de la Grande Guerre, elle s’illustre par son courage, son dévouement, sa dévotion ; mais surtout par son tempérament bien affermi qui lui permet de résister, de s’opposer aux exactions de l’armée allemande, ce qui lui vaut d’être plusieurs fois menacée d’exécution par le commandement allemand.
Le 2 septembre 1914, les troupes françaises refluent vers le sud du département, laissant des blessés et des agonisants aux mains généreuses de Sœur Gabrielle. Avec ses consœurs, elles font le nécessaire, mais, hélas, avec le peu de moyens dont elles disposent, elles ne réussissent pas à sauver tous ces braves soldats. Le 3 septembre, la menace allemande se faisant de plus en plus grande, le maire décide de faire évacuer l’hospice, mais quand Sœur Gabrielle arrive avec ses 42 vieillards, le chef de convoi refuse de les prendre en charge. N’écoutant que son courage, elle les installe dans les sous-sols de l’hospice afin qu'ils soient protégés des bombardements en cours et futurs. Ces derniers eurent lieu dans la nuit du 3 au 4 septembre et Clermont devient la proie des flammes. À l’aube, les Allemands occupent la localité et 3 officiers, après avoir menacé de leurs armes Sœur Gabrielle, prennent possession de l’établissement. Le plus gradé déclare solennellement que cet hôpital est désormais la propriété de l’Allemagne. Les médecins et infirmiers allemands aident ainsi les religieuses à soigner les blessés, surtout allemands.
Le 5 septembre, les Allemands s’adonnent au pillage et incendient les ruines, apportant la désolation et la détresse chez les habitants qui n’ont pu être évacués. À cause de l’incendie de la gendarmerie attenante, l’hôpital risque également de prendre feu. Sœur Gabrielle intervient énergiquement auprès du colonel allemand, celui-ci dépêche les pionniers qui abattent la charpente et les murs fumants pour éviter le pire, ainsi, l’hôpital est sauvé.
Le 6 septembre, un ou plusieurs coups de feu sont tirés depuis le mont Sainte-Anne. Le colonel allemand accuse sœur Gabrielle de complicité en ne dénonçant pas l’auteur, et décide de la faire fusiller. Il organise son exécution qui est reportée au 7 septembre à l’aube. Cette courageuse femme ne se laisse pas atteindre moralement et continue son œuvre de charité humaine envers les blessés ennemis et français. Vu les négations répétées de cette héroïne et les services rendus, le colonel allemand revient sur sa décision.
À l’issue de la bataille de la Marne, notamment des combats de la Vaux-Marie (proximité de Rembercourt-Sommaisne), les Allemands chassés par les troupes françaises refluent et repassent à Clermont. Ils y laissent des blessés et demandent de l’aide en nourriture, eau, etc. Malgré l’arme pointée sur elle par un officier supérieur allemand qui exige de l’eau, sœur Gabrielle, suivant son bon cœur, donne satisfaction à cet homme aux abois.
Les Français occuperont désormais Clermont jusqu’à la fin de la guerre et l’hôpital sera affecté aux services sanitaires militaires. Afin de prêter main-forte à d’autres services sanitaires, elle sera affectée temporairement avec trois consœurs, Maria, Louise et Jeanne à l’ambulance 3/5 (ambulance n°3 du 5e corps d’armée) à Froidos qui reçoit jusqu’à 400 blessés par jour, cette dernière localité étant située à quelques kilomètres au sud de Clermont sur la route de Bar-le-Duc.
Compte tenu de son courage et de son abnégation, cette religieuse sera citée à l’ordre de la troisième armée, proposition faite par le général Sarrail qui en assurait le commandement. Puis le 10 septembre 1916, elle sera élevée au rang de chevalier de la Légion d’honneur par le ministre de la guerre Millerand. Ces deux récompenses seront remises par le président Poincaré le 13 septembre 1916, lors d’une cérémonie en présence de notables militaires, civils et religieux.
Elle continuera à servir cette belle cause humanitaire au profit des civils et militaires le restant de la durée de la guerre et bien après. Nommée mère supérieure en 1921, elle continuera son œuvre jusqu’en 1927, année de sa demande de mise à la retraite due à un état d’épuisement très important. Elle rejoindra le couvent des filles de la Charité à Paris. D’une santé précaire, elle y décèdera le 19 septembre 1927. La nouvelle arrivant à Clermont, les résidents de cette localité réclament son corps afin qu’elle soit inhumée au cimetière de la cité dans le caveau réservé aux bonnes sœurs. Les obsèques se dérouleront le 24 septembre 1927 en présence des notables, des autorités de la région, dont le général Valdant ayant commandé la 10e DI en Argonne (Vauquois), du sous-préfet, de l’évêque[1] de Verdun et d’une foule nombreuse.
Cette femme d’un caractère bien trempé, courageuse, patriote, restera présente dans l’esprit des Clermontois, mais aussi à l’instar d’autres héros, héroïnes, elle demeurera dans la grande histoire de cette effroyable guerre. Ses actes seront colportés par la presse et ainsi, des BD, cartes postales, livres, seront édités en sa mémoire. Il est opportun ici de rappeler sa devise « Pour être bon assez, il faut l’être trop ».
[1] Il s’agit de Monseigneur Ginisty, l’instigateur de l’Ossuaire de Douaumont.
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