Le privilège des riches
Il fut un temps éloigné où le sport national, voire international, qu’est le football m’intéressait. En 1998, comme des millions de Français, j’ai vibré lorsque l’équipe à Zidane a décroché sa première étoile, confortée deux ans après par le titre de championne d’Europe. Quelle aventure !
Puis les salaires des joueurs ont augmenté. Et avec cette hausse, les résultats ont décliné…
Coupe du monde 2002 en Corée et au Japon : défaite 1-0 face au Sénégal dans le match d'ouverture de la compétition. L’équipe de France quitte le sol asiatique au terme du premier tour, sans victoire et sans avoir inscrit le moindre but en 270 minutes.
Coupe du monde 2006 en Allemagne : dans un petit sursaut d’orgueil et surtout avec le retour de Zidane, l’équipe de France est battue en finale par l’Italie dans la séance de tirs au but.
Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud : grand fiasco avec une grève d’entraînement de la part des joueurs et élimination dès le premier tour.
Je crois que c’est à partir de ce moment-là que j’ai éprouvé une profonde lassitude à suivre les rencontres de football. Et la cerise sur le gâteau qui a définitivement enterré mon intérêt pour le foot, ce sont les achats de joueurs par millions d’euros, jusqu’à plus de deux cents millions pour que le PSG s’octroie les services d’un certain Naymar.
Pour moi, la coupe était pleine, mais pas de la même façon que celles du PSG qui se sont accumulées et remplies d’or : champions de ligue, champions de France, coupes de France 2015, 2016, 2017, 2018... jusqu’à ce samedi 27 avril 2019 où les joueurs se sont cassés les dents contre un mur breton, Rennes, qui met un coup d’arrêt à la série de victoires parisiennes. Le petit a fait tomber le grand.
Oh, bien sûr, je n’ai pas regardé le match, il est devenu pour moi rédhibitoire de regarder courir des millionnaires suffisants. Naymar n’a-t-il pas donné un coup de poing en réponse à une critique d’un supporter ? Pendant que je suivais un autre programme à la télévision, j’ai tout de même zappé sur France 2 vers la fin du match, dans l’espoir que le petit Poucet avalerait l’ogre. 22h30… score : 2/2 donc prolongation. Je reviendrai voir vers 23h00.
Une demi-heure plus tard, retour sur France 2 et là : séance de tirs au but. J’entre dans le suspense à l’image des supporters rennais. Les tirs s’enchaînent jusqu’à celui manqué par le dernier joueur de Paris, déclenchant une euphorie générale jusque dans les plus petits villages de Bretagne.
Voilà comment j’ai vécu cette coupe de France 2019, ravi que les millionnaires mettent un genou à terre. Après tout, c’est le jeu. Bravo à Rennes !
Là où cela va prendre pour moi une tournure des plus fâcheuses et des plus désagréables, c’est le lendemain, 28 avril 2019, à la lecture du journal « Aujourd’hui en France dimanche ».
Comme d’habitude, j’extrais un exemplaire du journal de son présentoir à la Maison de la Presse, le règle à la caisse, et sors du magasin pour m’attabler sur la terrasse d’un bistro voisin. Je commande un café au serveur et déplie le journal pour découvrir en une, le titre glorieux que j’imagine :
RENNES VAINQUEUR DE LA COUPE DE FRANCE
Et là, en première page, non seulement le titre n’existe pas, non seulement RENNES n’est pas mis à l’honneur, mais un tout petit encart en haut à gauche, présente en quelques mots l’échec du PSG :
J’hallucine, pas un mot sur la victoire de RENNES en une. Je soupire, imagine que les délais étaient trop courts (quoique !) pour un gros titre en première page, et je suppose, naïvement que les vainqueurs seraient encensés par les journalistes sportifs en pages intérieures. Je tourne fébrilement les pages jusqu’à la rubrique sportive et pour la deuxième fois, je n’en crois pas mes yeux. On ne parle encore une fois que de l’échec du PSG :
Rien ! Pas un titre de gloire ! Pas une allusion à la victoire ! Juste quelques entrefilets minuscules sur la valeur des joueurs au cours du match. Je replie le journal et le pose sur la table, dubitatif.
Puis, je me dis dans un dernier espoir que la une du lundi 29 avril sera enfin consacrée à Rennes et sa coupe de France... Et sidéré, le lendemain, je tombe sur cette page :
Alors à cet instant, je conclus qu’être riche est un privilège au-delà de ce qu’on peut imaginer. Soyez riches et on parlera de vous, même dans les moments difficiles de l’existence. Soyez pauvres et on vous ignorera, même dans les moments de joie et de bonheur.
Parler de smicards un jour de gloire ne fait pas vendre !
Parler de millionnaires dans l’échec, si !
Le quotidien « Aujourd’hui en France » joue sur ce terrain.
Aujourd’hui ?
Il perd un lecteur.
Définitivement.
Moi.
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